Gilets bleus et crêpe noire
La grand-mess annuelle de l’économie maritime se réunit à Brest. Plusieurs centaines de personnes se retrouvent pour parler de l’économie maritime dans toute sa longueur, allant du portuaire à la pêche en passant par les énergies marines renouvelables. Si l’an passé, les Assises de l’économie de la mer ont coïncidé avec le Cimer, cette année, le Cimer a pris de l’avance en se tenant quelques jours plus tôt. Une réunion gouvernementale qui a posé les bases d’une politique maritime et portuaire nationale. Depuis le temps et les quinquennats que le monde maritime et portuaire attendait une telle décision. Le Premier ministre n’a même pas eu à faire face à des gilets bleus trop revendicatifs. Il a su dire aux professionnels ce qu’ils attendaient. La notion de cluster portuaire, défendu depuis de nombreuses années dans d’autres territoires, pourrait devenir une réalité concrète dans notre pays. Nous ne parlerons plus des sept Grands ports maritimes métropolitains mais plutôt des clusters portuaires de bassin du nord de la France, de la Seine, de l’Atlantique et de la Méditerranée. Face aux gilets jaunes, le président de la République a semblé faire un discours sur le thème de « Je vous ai compris », sans véritablement aller plus loin dans les faits, pour les gilets bleus, le discours a été sur le terrain de mesures concrètes. Enfin, pour le moment il s’agit de propositions. Nous devrons attendre l’année prochaine pour voir si les mesures se concrétisent véritablement dans une politique portuaire et maritime nationale.
Alors, tous réunis à Brest en cette fin novembre, les professionnels de la mer, les gilets bleus, ne tarissent pas d’éloge en relisant les conclusions de ce Cimer. À n’en pas douter, si un prix littéraire existait pour les œuvres maritimes, les opérateurs portuaires et maritimes décerneraient à ces conclusions le prix Goncourt.
Pas besoin de gilet bleu pour les opérateurs qui n’ont pas à revendiquer des souhaits déjà exhausser mais, pour d’autres, la fin de l’année risque bien de voir fleurir les crêpes noirs. Ces tissus un peu rugueux qu’arborent les personnes souffrant d’un deuil. Parce qu’il faut être certain que la fusion des trois ports de la Seine ne vont pas se faire sans dégât social. Lors de la création de Haropa, Antoine Rufenacht, ancien maire du Havre et instigateur du concept, déclarait à l’Association de développement des ports français, qu’à terme les trois ports fusionneront. Il ajoutait de suite : « évitez de le dire aux journalistes ce serait déclencheur de mouvements sociaux ». Du côté syndical, lors de la création d’Haropa, les responsables ont veillé à ce que ce regroupement se limite à des optimisations techniques mais pas sociale. Ce qu’un maire du Havre a commencé à faire, un autre le continue et voilà que nous n’aurons plus deux Grands ports maritimes et un port autonome sur la Seine mais un seul ensemble portuaire. Il reste que la fusion de ces trois ensembles va avoir des conséquences sociales sur les postes en doublon, même si certains ont déjà commencé à être « optimisé ». L’autre question, en filigrane, va être du devenir des ports. Nous pouvons le constater quotidiennement : une grande partie des flux conteneurisés ont été transférés de Rouen au Havre, sous une justification de rationalité. Est ce que les trafics rouennais vont continuer d’être aspirés par l’un des deux ports à l’extrémité du fleuve ? Du Havre à Montereau Fault Yonne et Bruyères sur Oise, qui seront les gagnants de cette fusion ? À n’en pas douter, pour le chargeur, et donc le consommateur final, la marchandise ne devrait pas gagner en productivité. Qui sortira gagnant de ce regroupement ? D’autant plus que, depuis plusieurs mois, des dissensions internes à Haropa transpirent à l’extérieur. Une guerre entre directeur serait, selon certaines sources, ouverte depuis longtemps. Encore une fois, comme le disent les africains : « quand les éléphants se battent, les fourmis trinquent ». Ce pourraient être des crêpes noirs plutôt que des gilets bleus que la ministre en charge des ports devra affronter en 2019. Avant toute déclinaison de la fusion de ports sur d’autres façades, il faudra observer avec attention les gains et les pertes enregistrés sur la Seine.