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Terminal multimodal du Havre : la Cour des comptes critique un projet lancé dans la hâte

La Cour des comptes a publié le 26 juillet un référé sur le montage financier et l’exploitation du terminal multimodal du Havre. Après enquête, la haute juridiction administrative et financière critique les chemins pris par les parties concernées et propose des recommandations qui doivent s’inscrire dans la politique portuaire française.

Le terminal multimodal du Havre a fait coulé plus d’encre que d’eau sous les ponts. Dans son enquête sur la constitution et les premières années de fonctionnement, la Cour des comptes analyse les différentes options prises par les intervenants pour en dresser un bilan qui doit servir à construire la future politique portuaire.

La décision de créer un terminal multimodal au Havre, pour compenser la difficulté d’accéder par voie fluviale aux terminaux, a été prise par la direction du GPMH (Grand port maritime du Havre) en 2008. Le projet comprenait deux phases avec deux sociétés. La première phase, construction et financement du projet, a été confiée à LH2T (Le Havre Terminal Trimodal). Une fois construit, ce terminal a été loué à LHTE (Le Havre Terminal Exploitation) pour son exploitation avec une obligation de trafic minimum. Dès les premières années, et avec la baisse des volumes de trafic liée à la crise économique de 2008 et « la hausse des coûts dus à la main-d’œuvre docker, qui n’avait pas été anticipée », explique la Cour, « le modèle économique de la société a été fragilisé ». Avant le démarrage de l’activité du terminal, les « futurs actionnaires de LHTE ont tardé à préparer l’exploitation du terminal, cherchant plutôt à se libérer de leurs engagements. Ce sont l’intervention de l’État et de nouvelles concessions financières du GPMH, fin 2014 et début 2015, qui ont finalement permis la constitution de LHTE le 30 janvier 2015. » Dès son démarrage d’activité en juin 2015, le terminal multimodal du Havre a essuyé des échecs. Plusieurs raisons expliquent cette situation selon la Cour. « Le manque de coordination entre le gestionnaire du terminal et celui de la navette ; le retard dans la mise en place des systèmes d’information ; enfin, le sous-calibrage des financements de LHTE. Les associés de LHTE ont consacré l’essentiel de leur énergie à renégocier les conditions financières des conventions et beaucoup moins à préparer le démarrage réel de l’activité. »

Alors la Cour juge que ce projet « a été monté à la hâte sans une analyse préalable ».Et elle va plus loin en constatant que « aucune analyse juridique n’a été réalisée avant de lancer l’appel à projets de juillet 2008, qui aurait permis de s’assurer qu’il ne convenait pas d’appliquer une procédure relevant de la commande publique. »De plus, elle souligne le déséquilibre dans le montage de ce projet. Elle note que les risques financiers sont pris par les collectivités publiques. Et, comme de bien entendu, le bilan financier de ce terminal s’avère déficitaire depuis son exploitation. Au final, ce projet a coûté 147,8 M€, soit 10 M€ de plus que prévu. Il ne devrait être rentable qu’à l’horizon 2046. Les pertes pour les acteurs privés sont considérées comme minimes par la Cour en comparaison de ce qu’à perdu le port.

Dans ce contexte, la Cour propose de prendre des mesures pour redresser le bilan de ce terminal. En premier lieu, elle recommande l’unification de la gestion du terminal et de la navette ferroviaire entre ce terminal et les terminaux de Port 2000. Elle propose que soient revues les deux concessions de ce terminal. Ensuite, elle rappelle ses préconisations tirées du rapport annuel de 2017, sur l’amélioration urgente de l’hinterland ferroviaire du port.

Cette enquête a aussi permis à la Cour des comptes de se pencher sur la politique portuaire française et la gouvernance des Grands ports maritimes. Elle appelle au renforcement des capacités de régulation des terminaux par les ports. « Les conventions de terminal entre les grands ports maritimes et les manutentionnaires, instituées par la réforme portuaire de 2008, ne donnent à l’autorité portuaire que des moyens limités pour assurer la régulation des terminaux maritimes. Il convient de renforcer les outils juridiques à la disposition des grands ports maritimes pour qu’ils puissent assumer leurs responsabilités. » La Cour regrette que le comité d’audit, outil issu de la réforme portuaire de 2008, ne soit pas suffisamment utilisé par les GPM. La Cour explique que la tutelle des Grands ports maritimes s’exerce plus en amont des projets comme celui-la. En outre, ce cas d’espèce du terminal multimodal « pose aussi la question de la capacité de l’État à définir une politique globale pour l’ensemble des grands ports maritimes en affirmant des priorités en matière d’investissement. » Cela signifie qu’il doit définir ses priorités mais aussi avoir une attitude cohérente sur le long terme vis-à-vis de ces décisions.

A peine l’encre sèche de cette décision que se pose les questions sur les investissements à Dunkerque et au Havre. Doit-on investir dans l’agrandissement du terminal à conteneurs de Dunkerque pour créer une concurrence franco-française ? Le projet de « chatière » fluviale devra attendre la rentabilité du terminal multimodal avant d’être envisagé ?

La décision de la Cour des comptes a surtout le mérite de poser un véritable sujet sur la table : quand pourrons nous disposer d’une politique portuaire française claire à un horizon dépassant les prochaines échéances électorales.