Démolition de navires : le sous-continent indien demeure le premier chantier à ciel ouvert
Dans son rapport annuel, Shipbreaking Platform souligne l’importance de la déconstruction de navires sur les plages du sous-continent indien. Des sites où la transition écologique et le respect du droit social sont oubliés.
La transition écologique est devenue un leitmotiv pour tous les opérateurs de la chaîne logistique maritime. Les armateurs participent activement à ces changements. L’utilisation de nouveaux moyens de propulsion, le refus de charger des produits comme le charbon ou encore utiliser l’électricité de quai pendant les escales permettent de réduire les émissions de CO2 et de particules.
763 navires déconstruits
Ces « bonnes actions » cachent, chez certains armateurs, des pratiques dont l’impact environnemental s’avère important. Chaque année, Shipbreaking Platform publie son rapport annuel sur les pratiques de certains armateurs pour la fin de vie de leurs navires. Le 2 février, l’édition du bilan 2021 a été diffusée. Au cours de l’année, 763 navires et unités offshore ont été acheminés vers des chantiers de déconstruction.
583 navires sur les plages
Parmi cette flotte déconstruite, 583 navires ont rejoint les plages des pays du sous-continent indien, Bengladesh, Inde et Pakistan. « Nous constatons ce scandale environnemental et social depuis trop longtemps. Les armateurs n’ignorent pas le manque de capacité de ces sites pour traiter les matériaux toxiques. Avec l’aide des négociants, la grande majorité des opérateurs choisissent d’envoyer leurs navires sur les plages du sud-est asiatique parce qu’ils y réalisent d’importants profits », indique Ingvild Jenssen, directrice de Shipbreaking Platform.
Le Bengladesh, champion de la déconstruction
Le Bengladesh occupe la première place pour la fin de vie des navires. En 2021, 254 navires pour une capacité de 8,03 Mtpl ont rejoint les plages de ce pays. L’Inde prend la seconde place avec la démolition de 210 navires pour 2,3 Mtpl. Enfin, le Pakistan a accueilli 119 unités pour une capacité totale de 2,9 Mtpl.
Une hausse de 31% des navires sur les plages
La déconstruction de navires a connu une baisse importante au cours de la fin de la précédente décennie. De 2015 à 2020, le nombre de navires envoyés à la ferraille est passé de 862 à 630 unités. En 2021, les armateurs ont décidé de reprendre le chemin de la démolition. Le nombre de navires déconstruits a augmenté de 21% en un an. Dans le même temps, le nombre de navires envoyés sur des plages a augmenté de 31% passant de 446 à 583 en 2021.
610 $/t lège en 2021
Dans un contexte économique de manque de capacité dans certains segments, la démolition de navires peut être perçue comme une aberration. Or, dans son dernier rapport hebdomadaire, daté du 1er février, le courtier Intermodal souligne la rareté du tonnage disponible à la démolition combiné à une demande en acier. Les « ferrailleurs » bengali et pakistanais font monter les prix pour disposer d’acier. En Inde, les prix de l’acier montent en raison d’une demande soutenue de la filière du BTP. Pour constituer des stocks d’acier, les prix à la démolition de navires continuent d’augmenter, même s’ils sont inférieurs à ceux proposés chez leurs voisins du Pakistan et du Bengladesh. Ainsi, dans la région de Dakka, un vraquier se démoli à raison de 610 $/t lège fin janvier contre 336 $/t lège en 2020 et 532 $/t lège en 2021.
Des impacts sociaux graves
Ce marché de la déconstruction réalisé dans le sous-continent indien a des impacts sociaux graves. En 2021, le nombre d’accidents a allongé la liste des décès survenus dans cette activité. Depuis 2009, date de début de Shipbreaking Platform, l’organisation non gouvernementale a dénombré 426 décès. Et l’organisation cite le cas d’un incident survenu lors de la déconstruction d’un navire à Chattogram, au Bengladesh, en septembre 2021, qui a causé la mort de 14 personnes et de 34 blessés graves.
Le nombre de blessés ou de maladies graves en raison de l’exposition à des matières toxiques grandi chaque année. Les effets indirects de cette industrie sur les populations vivant à proximité de ces chantiers de démolition sont importants. Ils subissent les pollutions maritimes et de l’air.
Des noms connus du shipping
Les armateurs à envoyer leurs navires se faire déconstruire dans ces conditions sont des noms connus du monde maritime, malgré toutes les procédures qu’ils mettent en place pour éviter d’être répertoriés. Ainsi, Mærsk a déconstruit deux navires en 2021. Le premier opérateur de vracs secs, Polaris Shipping, a envoyé quatre unités. D’autres noms sont cités comme Cosco, les gouvernements français, danois ou encore chinois, Bourbon, OFW Ships, Dole, NYK et K Line. D’un autre côté, l’organisation non gouvernementale cite les bons élèves du secteur. Ainsi se retrouve Hapag Lloyd, Boskalis, Wallenius Wilhelmsen, Samskip, Van Oord et encore Canada Steamship Line.
Une règlementation aux Émirats Arabes Unis
Pour Shipbreaking Platform, plusieurs pays sont pointés du doigt. En premier lieu, les Émirats Arabes Unis ont envoyé 60 navires à la démolition dont la grande majorité l’a été sur les plages du sud-est asiatique. Face à ce déferlement de navires, le gouvernement des Émirats a décidé d’imposer une nouvelle règlementation qui interdit l’envoi de navires sur les chantiers installés sur des plages. « Il s’agit d’un signal fort. Nous espérons qu’il incitera les opérateurs à exclure les plages indiennes pour les opérations de démolition et permettra le développement rapide d’installations de déconstruction dans le pays », indique Nicola Mulinaris, conseiller en communication de l’organisation.
La déconstruction vue comme une justice environnementale
La Grèce, Singapour ou encore les États-Unis ont chacun expédié une quarantaine de navires vers cette destination de fin de vie des navires. Les Européens ne sont pas en reste. Bon nombre de navires démolis sur les plages du sous-continent indien appartiennent à des armateurs européens qui les revendent à des sociétés écrans avant de les envoyer sur ces plages. L’Union européenne a récemment réaffirmé son intention de légiférer sur le sujet, considérant que la démolition des navires est une mesure de justice environnementale. Selon la directrice générale de Shipbreaking Platform, un tiers des navires démolis dans la région est européen.
44 sites approuvés par l’UE
L’Union européenne a approuvé 44 sites dans le monde qui sont considérés comme « sûrs et agissant en faveur de l’environnement. Aucun site du sud-est asiatique n’a été intégré à cette liste », souligne Ingvild Jenssen. Selon les relevés établis par l’organisation, seuls 37 navires européens ont été accueillis dans ces structures en 2021, « ce qui représente une faible part de la capacité de ces chantiers ».