Politique

Les énergéticiens sont-ils à ranger dans la catégorie des profiteurs de guerre ?

Le conflit entre l’Ukraine et la Russie a bousculé le monde pétrolier. Les prix de l’énergie s’envolent au plus grand bénéfice des producteurs de gaz et de pétrole. Les accusations de « profiteurs de guerre » fusent. Nous publions ci-dessous, l’analyse et les propositions de Paul Adrian, fondateur du site Adinergy.

Les producteurs de gaz et de pétrole sont accusés de profiter de la guerre en Ukraine et de son corollaire, la montée de prix de l‘énergie. N’ont-ils pas vu leurs profits s’envoler depuis le mois de février 2022 et l’invasion de l’Ukraine par la Russie ? Certains ont maintenu leur présence dans le pays agresseur et se voient aujourd’hui accusés de produire pour alimenter la guerre.

Des bénéfices « immoraux »

En conséquence, Les appels à taxer les « super profits » des énergéticiens produisant gaz et pétrole se multiplient et font mouche. Le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Gutterez, a déclaré « immoraux » les bénéfices des producteurs de pétrole et de gaz. Il appelle à utiliser cette manne pour les plus vulnérables. « Les bénéfices combinés des plus grandes sociétés énergétiques au premier trimestre de cette année sont proches de 100 Md$. J’exhorte les gouvernements à taxer ces profits excessifs et à utiliser les fonds pour soutenir les personnes les plus vulnérables en ces temps difficiles. »

Une idée ancienne

L’idée n’est pas nouvelle, déjà en 2006, une sénatrice française attirait l’attention du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie sur « l’intérêt qu’il y aurait à instaurer une taxe exceptionnelle au bénéfice des consommateurs sur les profits extraordinaires des compagnies pétrolières françaises ». Deux ans plus tard, l’économie plongeait et l’industrie pétrolière et gazière suivait pour une des plus graves crises de son histoire.

Une idée qui tombe sous le sens

A dire vrai, aujourd’hui, l’idée semble tomber sous le sens. TotalEnergies a déclaré 9,46 Md$ de profits pour le premier trimestre 2022. Faramineux, comparés aux déjà confortables 3,49 Md$ du premier trimestre 2021.

La résistance française

Que faire de cet argent ? Le redistribuer, bien sûr ! TotalEnergies a d’ailleurs commencé à le faire en offrant une ristourne sur carburant de 12 centimes puis 20 centimes/litre. Mais aux yeux de beaucoup, le geste est loin d’être à la hauteur. Les Anglais l’ont fait (25%), l’Italie l’a fait (25%), la Hongrie l’a fait (25%), la Roumanie, l’Espagne… La France et l’Allemagne semblent pour l’instant résister à ce mouvement dont l’efficacité est contestée par certains économistes.

Des propositions de solutions

Au-delà des polémiques, il est bon de rappeler quelques idées de bon sens. D’abord, il faut rappeler le partage de rémunération à partir d’un baril de pétrole produit. Ce prix peut diviser ce prix en trois coupes :

  • La première coupe sera le remboursement les dépenses d’exploration et de production : Dépenses d’exploration, de développement (de plus en plus coûteuses), amortissement des infrastructures (Capital Expenditure ou CAPEX) et coûts d’opérations et de production (Operating Expenditure ou OPEX). L’ensemble de ces coûts correspond au « Cost Oil » ou coût d’accès à l’huile (idem pour le gaz).
  • La seconde coupe, la plus importante sera la rémunération de l’État hôte, propriétaire des ressources. Cette rémunération prendra la forme de diverses taxes prélevées à tous les stades du développement. Les plus importantes sont les Royalties (% prélevé sur la production) et la taxe sur les revenus de l’opérateur.
  • Enfin l’État perçoit le « Profit Oil », sa part contractuelle de rémunération nette. Ce « Profit Oil » est partagé avec l’opérateur (18% en moyenne pour l’opérateur, 82% pour le pays hôte).

Lorsque le prix du baril augmente, il est bien évident que la rémunération des deux parties augmente dans les proportions définies. C’est le pays hôte qui décide les quantités à produire par l’opérateur et qui est le grand gagnant en ce moment.

Le coût de la transition énergétique

Les compagnies pétrolières et gazières sont aujourd’hui engagées profondément dans la transition énergétique. Nul ne sait combien coûtera cette transition. La Cour des comptes européenne estime à 11 200 Md€ le coût de la transition énergétique à l’échelle de l’Europe entre 2021 et 2030, soit 1 120 Md€/an. Que valent les 100 Md$ de profit réalisés sur un trimestre à l’échelle mondiale au regard de ces montants européens ?

Utiliser ces ressources à bon escient

Il n’y aura pas de transition réussie et financée sans la solidité financière de ces compagnies et sans leur expertise technique. J’entends que cette crise ukrainienne est le révélateur de beaucoup de choses et une opportunité unique de changer nos modèles économiques et environnementaux. Bien sûr, il le faut et vite. Mais avant de crier à la taxe (une de plus !) et de transformer nos champions en coupables, assurons-nous que cette manne inespérée (en petite partie payée par les Français mais pas seulement car les profits sont réalisés dans les pays producteurs) soit bien utilisée.

Ne pas tomber dans une politique à court terme

Il est là, le vrai sujet ! Diriger ces flux financiers vers la transition énergétique et les solutions de demain qui nous permettront de produire, nous chauffer, nous déplacer sans émettre de gaz à effet de serre. La politique fiscale du court terme n’a jamais donné de bons résultats. Que les plus fragiles soient aidés, oui et c’est le rôle de l’État d’y veiller.

Encourager plutôt que de dénoncer

Nous avons besoin de compagnies énergétiques fortes et solides pour aller chercher, là où il se trouve, le gaz que nous ne voulons plus acheter à la Russie et produire l’électricité par le nucléaire et les renouvelables. Le débat en France semble plutôt les pointer du doigt que les encourager. Elles sont pourtant le gage de notre souveraineté et sans cesse menacées par une concurrence internationale de plus en plus âpre.