Corridors et logistique

SITL 2022 : Après la pandémie, le marché de la conteneurisation demeure en convalescence

Le Maritime Day de la SITL s’est déroulé le 7 avril avec une première conférence sur les leçons tirées de la pandémie sur le marché de la conteneurisation. Les intervenants s’accordent pour reconnaître que cette crise a donné naissance à un nouveau paradigme du marché.

La pandémie qui a sévie pendant deux ans et le conflit en Ukraine ont eu des effets importants sur le transport maritime. Les lignes régulières, comme les autres secteurs de cette filière, subissent les effets de la hausse du prix du carburant. Dans son introduction, Jean-Michel Garcia, délégué aux transports internationaux de l’AUTF, a rappelé que « nous sommes dans un cycle économique où les changements significatifs économiques font partie de la façon de voir les échanges internationaux ».

S’adapter aux crises

Pour le transport maritime, les crises de ces dernières années risquent de se répéter au cours des prochains mois. « Il faut s’adapter à ces changements », a continué Jean-Michel Garcia. Les précédentes crises ont impacté les taux de fret des lignes régulières. Ces hausses se sont matérialisées au travers de trois périodes. La première démarre à la fin de la période de confinement liée à la Covid avec une hausse des taux de fret. La deuxième période commence en début d’année 2021 avec une baisse de ces taux. Enfin, la troisième période est intervenue lors du blocage du canal de Suez par l’Ever Given. « Même les lignes qui ne subissaient pas les hausses des taux comme celles qui partent d’Europe du nord vers l’Asie, ont été touchées », a souligné Victor Beuzelin, consultant chez Xeneta.

Une relative stabilité des taux de fret

À ces périodes de hausses et de baisses, une nouvelle ère est apparue depuis septembre 2021, avec une « relative stabilité » des taux de fret. « Les coûts de transport maritime décroît énormément, a continué Victor Beuzelin. Cependant, nous constatons une augmentation des surcharges liées aux soutes (BAF, Bunker Adjustment Factor) en raison de la crise ukrainienne ».

La dégradation des services maritimes

Les différentes crises qui ont sévi dans le marché de la conteneurisation ont déréglé le système mis en place depuis de nombreuses années. « Un an après la conférence de la SITL 2021, force est de constater que la régularité des services maritimes n’a pas cessé de se dégrader pour atteindre un point paroxysmique au dernier trimestre 2021. Nous sommes arrivés à des niveaux les plus bas historiques depuis que les statistiques sur la fiabilité des services existent », a commencé par expliquer Jérôme de Ricqlès, expert maritime chez Upply.

La situation du port de Shanghai et la politique chinoise

L’autre élément à prendre en compte dans l’analyse des prochains mois se focalise sur le port de Shanghai. La politique chinoise visant à éviter toute contamination en confinant des villes dès que les premiers cas sont identifiés, fait craindre d’un blocage du port de Shanghai. « Si les choses s’arrêtent en Chine, cela peut constituer un énorme changement ». Parce que la situation est centrée sur l’Empire du milieu. Le marché a vu arriver de nouveaux paradigmes sont commandés par les flux en sortie de Chine.

90 escales non prévues à Haropa Port

Si les trafics en sortie de Chine sont scrutés par les analystes, les autres lignes comme celles en sortie d’Europe vers l’Asie ou le Transatlantique sont restées stables pendant cette période. Cette dichotomie entre le trafic Asie-Europe et États-Unis-Europe a dû être géré au plus fin par les ports. Pour Kris Danaradjou, directeur général adjoint en charge du développement de Haropa Port, Haropa Port a su tirer son épingle du jeu. « Nous avons réussi à éviter de voir le temps d’attente des navires s’allonger. Nous avons pu capter 90 escales qui n’étaient pas prévues grâce à notre agilité. » Et comme exemple, le directeur général adjoint de citer la mise en place du croisement des navires pour réduire au maximum le temps d’attente. « Le maître mot de cette année 2021 a été d’optimiser l’utilisation des terminaux dans un contexte perturber en termes d’escales, de temps d’attente et d’arrivées de navires ».

La mutualisation des THC

Pour une plus grande fluidité des trafics terrestres, Kris Danaradjou a rappelé que l’annonce faite par le groupe CMA CGM de mutualiser les THC (Terminal Handling Charges) pour le fluvial doit participer au report modal. « Le transport routier doit compter sur les modes massifiés que sont le fluvial et le ferroviaire. » De plus, il a insisté sur la possibilité que les donneurs d’ordre disposent avec les terminaux « secondaires » de Haropa Port comme à Rouen. Il n’en demeure pas moins que le sujet du paiement de cette mutualisation n’est pas claire. Il est difficile de savoir qui vaprendre en charge ces THC.

Des infrastructures pour évacuer les conteneurs des terminaux

La pandémie a été, pour les opérateurs de terminaux, une période au cours de laquelle il a fallu mettre en place de la cohésion. Ronan Sevette, délégué général de l’Unim, a rappelé que les ports français sortaient d’une période perturbée, en 2020, avec les conséquences des mouvements sociaux contre les retraites et des journées de « Ports Morts ». Pour faire front à la pandémie, il a fallu retrouver de la cohésion. « Nous nous sommes retrouvés autour de la table avec toutes les parties pour savoir comment gérer cette crise. Nous avons signé, avec tous les acteurs de la chaîne logistique, une charte pour faire en sorte que les flux passent bien dans les ports français », continue le délégué général de l’Unim. Malgré les actions prises, les terminaux sont à la limite de la saturation. Pour Ronan Sevette, l’urgence porte plus sur les infrastructures à mettre en place pour pouvoir évacuer avec des modes de transport massifiés les conteneurs des terminaux.

Des solutions d’urgence toujours en vigueur

La pandémie a obligé les commissionnaires à faire preuve d’encore plus d’agilité. Entre les armateurs qui annulent des escales, certains ports saturés et des taux de fret qui explosent, la situation s’est compliquée pour la profession. Dans ce contexte, « les relations entre les commissionnaires et les compagnies maritimes ont parfois été tendues », a indiqué Simon Roy, vice-président de DHL Ocean Freight & Rail France. Face au manque d’équipements, les chargeurs ont craint des ruptures de stocks pour leurs magasins ou leurs chaînes de production. « Ils se sont alors tournés vers nous pour trouver des solutions. Nous avons trouvé des conteneurs en Asie et charger pour nos clients des marchandises. Il a fallu être réactif et agile. » Des solutions d’urgence que DHL a pérennisé depuis cette période jusqu’aujourd’hui.

L’intégration horizontale et verticale des compagnies maritimes

Après la situation de crise et les relations compliquées entre commissionnaires et armateurs, la situation semble se normaliser. Ainsi, les compagnies maritimes ont réaffecté des équipements sur des lignes peu rentables pour répondre à la demande. De plus, elles ont mis en place des solutions de « pricing » à plus long terme sur un à trois ans avec des obligations pour les donneurs d’ordre et pour les armateurs.

Enfin, Simon Roy a rappelé que les compagnies maritimes ont montré ces dernières années une volonté d’étendre leurs compétences sur d’autres secteurs que le simple transport en reprenant des sociétés de manutention et de transit. « Pour des sociétés comme la nôtre, cela signifie que nous devons montrer nos compétences et notre valeur ajoutée aux clients des différents secteurs comme le pharmaceutique, le retail ou le périssable. Nous ne devons pas nous limiter à l’organisation du transport d’un port A à un port B mais aller bien au-delà avec la digitalisation ou encore une valeur ajoutée sur les mesures environnementales. »

Travailler sur des ports secondaires pour éviter la congestion

Malgré les mesures mises en place, les commissionnaires ont souffert de toutes ces perturbations. Les congestions portuaires ont affecté leur activité. Néanmoins, « dans toutes crise, nous finissons par trouver des solutions et par nous améliorer », a commencé Stéphane Defives, directeur maritime France de Khuene & Nagel. Dans la situation de crise que le marché a connue, « le mot d’ordre a été l’anticipation ». Le premier point sur lequel le commissionnaire a travaillé a été la prédictivité. Et pour aller dans ce sens, Stéphane Defives explique que le groupe a parfois choisi de travailler sur des ports qui n’étaient pas congestionnés, « pour contrecarrer les problématiques de congestion et de fluidifier les flux qui nous étaient destinés ».

C’est au travers de la notion d’anticipation que Kuehne & Nagel a pu exprimer ses besoins auprès des armateurs pour répondre à la demande de ses clients. « Nous n’avons pas eu un succès à 100% mais nous avons pu nous adapter. Ce mode de fonctionnement continue aujourd’hui. Nous en sortons grandi. Cela nous a permis de sortir de notre mode de fonctionnement traditionnel et surtout de booster des investissements qui étaient un peu long à se mettre en place dans notre industrie. »

Amérique du Nord: des congestions dès l’été 2020

Si l’Asie, comme locomotive des flux maritimes, a impacté l’Europe, les relations sur le Transpacifique entre l’Asie et l’Amérique du Nord ont été les premières impactées par la crise de la Covid. Dès la reprise de l’économie américaine à l’été 2020, les ports de la côte ouest ont été congestionnés, « avec des problématiques de congestion sur le terrestre, de manque d’équipements avec l’empêchement d’exporter des produits agricoles américains qui s’en sont suivis. Nous avons vécu un vrai sentiment de blocage », a expliqué Anne-Sophie Fribourg, responsable du développement maritime de Bolloré Transport & Logistics.

La congestion s’est déplacée

Pour y faire face, les armateurs ont répondu à cette situation en redéployant de la capacité sur la côte est des États-Unis pour désengorger ceux de la côte ouest. Cependant, cette solution a été une façon de déplacer le problème. « En se tournant vers des ports secondaires comme Savannah, la congestion portuaire qui était de quatre jours est aujourd’hui monté à huit jours », continue la responsable du groupe Bolloré. Outre le transfert d’une partie des flux sur la côte est, l’utilisation des ports du Canada et du Mexique ont été utilisés pour faire face à la congestion.

Ocean Shipping Reform Act: un plus grand contrôle

L’administration de Joe Biden a lancé une grande réforme de l’Ocean Shipping Reform Act. Il s’agit de mieux protéger les importateurs et exportateurs américains, a expliqué Anne-Sophie Fribourg. Dans le texte actuellement en procédure législative, le gouvernement américain souhaite renforcer le rôle de la FMC pour plus de contrôles. « Nous allons vers plus de contrôle comme c’est actuellement le cas avec l’enquête menée par l’administration visant Mærsk, MSC et Hapag Lloyd sur la raisonnabilité des espaces libres des navires en sortie des États-Unis ». Si le texte suit son cours, les choses vont changer sans que cela ne soit immédiat. « L’entrée en vigueur de cette réforme du Shipping Act prendra du temps. La situation catastrophique aux États-Unis va mettre plusieurs mois à se résorber », a continué Simon Roy de DHL.

La situation n’est pas pacifiée

Du côté des chargeurs, face aux crises de congestion portuaire, de manque d’équipements et des conséquences de la hausse des soutes, les chargeurs travaillent avec des cellules de crise depuis deux ans, a déclaré Denis Choumert, président de l’AUTF. « Nous ne sommes pas du tout dans une situation pacifiée et stabilisée. » De plus, les chargeurs n’ont pas répercuté, selon le président de l’AUTF, la hausse des prix du transport à leurs clients. Ils ont rogné une partie de leurs marges pour prendre en charge ces augmentations. Dans le même temps, « les compagnies maritimes et les commissionnaires ont vu leurs marges exploser. Cela créé de la concentration horizontale et verticale chez les compagnies maritimes. Et nous ne savons pas si cela sera profitable aux chargeurs demain », s’indigne Denis Choumert.

Déployer les capacités suffisantes pour le marché

Pour le responsable de l’organisation des chargeurs, les solutions de la crise sont de trois types : la résilience, la sobriété et l’éthique. La résilience doit se faire sur le transport de bout en bout, indique Denis Choumert. Il appelle à travailler avec tous les intervenants sur le déploiement des capacités maritimes suffisantes pour le marché ainsi que les capacités de desserte ferroviaire, fluviale et routière pour évacuer les conteneurs des ports. Quant à la sobriété, le président de l’AUTF note que les économies de CO2 réalisées sur la partie du transport maritime ne se déclinent pas toujours sur l’aspect terrestre. En effet, quand un navire décharge 5000 à 6000 conteneurs à Rotterdam, dont une partie rejoignent le sud de l’Europe par voie routière, les économies d’énergie ne sont pas au rendez-vous. « Personne n’est capable de faire le calcul du gain que les navires de 25 000 EVP ont rapporté », souligne Denis Choumert. Enfin, l’éthique des affaires est mise à mal. Les chargeurs les plus importants ont vu leurs contrats bafoués. « Et aujourd’hui, les chargeurs qui signent des contrats à terme rencontrent des difficultés à les voir appliquer. »

Trois scénarios en trois mois

Alors, face à la pandémie, les scénarios établis en début d’année par les analystes se succèdent. Pour Jérôme de Ricqlès, le premier scénario mettait en scène une situation identique à celle de la fin de 2021. « Elle s’est appliquée en janvier et février ». Le deuxième scénario, celui d’un grippage de l’économie, est actuellement comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête du marché. « Si la Chine applique rigoureusement sa politique du Zéro Covid, ce scénario reste plausible ». Enfin, la troisième hypothèse met en scène les compagnies maritimes taïwanaises et coréennes. Que se passera-t-il si elles se démarquent de la « discipline » des autres compagnies maritimes ? Le marché pourrait alors prendre un nouveau visage. Une hypothèse qu’il faut peut-être envisagée pour les prochains mois.

Un nouveau grain de sable

Après la crise de la Covid, bon nombre d’analystes s’interrogent sur les effets de la crise en Ukraine. Ce conflit est majeur pour la filière des vracs secs, du gaz et du pétrole. Pour le conteneur, les effets sont minimes. « Ce sont quelque 10 000 conteneurs qui sont stockés dans différents ports d’Europe du nord qui étaient destinés au marché russe. Ils sont stationnés et participent donc à la congestion portuaire mais ne pèsent que peu. Ce conflit reste malgré tout à être analysé parce qu’il vient mettre un nouveau grain de sable dans les chaînes logistiques sans créer un tsunami de mauvaises nouvelles », a souligné Stéphane Defives.