SITL 2022 : la décarbonation du transport maritime, un enjeu d’innovations
Le Maritime Day de la SITL 2022, qui s’est déroulé le 7 avril, a abordé la question de la décarbonation du transport maritime. Les armateurs ont un rôle essentiel à jouer dans cet objectif tout comme les ports et les chargeurs.
La décarbonation du transport maritime est passée de l’incantation à la réalité. L’application des nouvelles règles, édictées par l’OMI depuis le 1er janvier 2020, sur les émissions de CO2 ont marqué le début vers une nouvelle ère dans le transport maritime. Les premiers essais de navires propulsés par des ailes ou des voiles, ceux propulsés au gaz, voire à l’ammoniaque ou à l’hydrogène démontrent de la volonté des armateurs d’entrer dans la transition énergétique.
Réduire la consommation énergétique et changer les carburants
« Les différentes règlementations actuelles et à venir visent avant tout à réduire l’impact des navires », a commencé par rappeler Arthur Barret, directeur du département ingénierie, projets et innovations chez Louis Dreyfus Armateurs. Déjà, LDA a installé sur les navires qui assurent des rotations entre les États-Unis et la France des installations véliques. « Cette solution s’inscrit dans deux axes : la réduction énergétique et le changement de carburant. »
En finir avec des vitesses élevées
La réduction d’énergie consommée par les navires passe, selon Arthur Barret, par la réduction de la vitesse du navire. Une baisse de ce régime permet d’abord d’utiliser les voiles mais aussi de réduire de façon non négligeable la consommation de carburant. De plus, pour aller encore plus loin dans cette démarche, Louis Dreyfus Armateurs embarque des « e-fuels » comme du méthanol. « Ils sont faciles à stocker et à transporter et dont la chaîne logistique est plus fiable que le GNL ou le GPL », continue Arthur Barret.
Des ailes stockées dans un conteneur de 40’
Cette place de système alternatif à bord du navire, la société Marfret l’étudie avec soin. L’armateur marseillais travaille sur le déploiement d’une « aile » stockée dans un conteneur 40’ open-top qui est chargé sur le pont du navire. « Chaque conteneur dispose de deux ailes. Avec ce système l’encombrement est limité à concurrence de deux conteneurs », a expliqué Martial Bienvenu, directeur d’agence de Marfret.
Des ailes qui démultiplient l’avantage du vent
Ce concept a été développé par une société néerlandaise, Econowind. Il prévoit de déployer les ailes électriquement par le branchement des conteneurs au système électrique du navire, « de la même façon qu’un conteneur reefer », continue Martial Bienvenu. Le choix de Marfret en faveur de ce système tient aussi dans la capacité de ces ailes à démultiplié les effets du vent. De plus, la maintenance de ce système se réalise facilement. « Il suffit de décharger les conteneurs dans un port pour procéder à la maintenance », continue Martial Bienvenu.
Un système déployé sur les lignes vers les Antilles
Ce système est actuellement à l’essai sur un navire qui assure la liaison entre Anvers, Le Havre, Degrad des Cannes et Pointe à Pitre. « Sur ce service les ventes entre Le Havre et Degrad des Cannes mais aussi entre la Guyane et la Guadeloupe sont favorables à l’utilisation des ailes ». Le concept est utilisé sur un navire mais « nous n’excluons pas de le déployer sur d’autres navires de cette ligne ultérieurement ».
Outre ce système, Marfret travaille en parallèle à la remotorisation des navires pour utiliser des carburants moins polluants. Enfin, un alternateur couplé à l’arbre d’hélice permettra de fournir de l’électricité au navire de manière plus écologique.
Un groupe de travail au sein de l’AUTF
Transporter de façon plus écologique signifie aussi l’implication des chargeurs. Pour le groupe Michelin, la stratégie RSE repose sur cet objectif d’un transport décarboné. Le responsable RSE de Michelin, Géraud Pellat de Villedon, a créé avec d’autres entreprises adhérentes de l’AUTF, un groupe de travail avec 12 sociétés allant du groupe Avril à Gerflot en passant par Moët Hennessy, pour trouver des solutions de transport maritime décarboné.
Une offre maritime faible
Ce groupe de travail est parti du constat que l’offre de transport maritime décarboné est extrêmement faible. « Nous voulons parler de sobriété énergétique. Or, les compagnies maritimes cherchent avant tout à faire un switch énergétique pour maintenir leurs affaires comme avant. Elles veulent faire un changement sans rien changer », a commencé par souligner le responsable RSE de Michelin.
Un appel d’offres pour une solution bas carbone
Face à ce constat, le groupe de l’AUTF a lancé un appel d’offres en février pour un transport bas carbone sur des liaisons transatlantiques. L’objectif de cet appel d’offres est de recevoir des propositions d’armements pour avoir des navires avec un bilan carbone divisé par deux par rapport aux standards du marché. Le principe de cet appel d’offres est avant tout d’offrir un service régulier aux exportateurs avec une régularité. « Pour cela nous avons besoin de navires qui soient capables de réaliser les traversées dans le temps imparti avec une consommation réduite. »
L’appel d’offres lancé en février a reçu dix réponses depuis des opérateurs français, européens et d’autres continents. Le premier tour de cet appel d’offres est prévu le 29 avril pour sélectionner quelques candidats. La réponse de cet appel d’offres est attendu pour le début du mois de juillet.
Port de Toulon : être le premier port H2Ready
D’un côté les opérateurs maritimes se mettent en ordre de bataille pour s’intégrer dans la décarbonation. De l’autre côté, les ports doivent aussi suivre le mouvement. Ainsi, le port de Toulon a pour ambition d’être le premier port H2Ready de Méditerranée. Ce concept vise à développer la mise à disposition d’hydrogène décarboné. « Ce n’est pas du marketing. C’est vital et crucial pour le port », indique Jérôme Giraud, directeur du port de Toulon. En effet, pour un port comme celui de Toulon, inséré dans la ville, la décarbonation du transport maritime pose la question de la résilience à terme du maintien du port.
Déployer une usine au Castelet pour fabriquer de l’hydrogène vert
Cette stratégie de H2Ready doit démontrer l’intention du port d’aller vers la décarbonation à court terme. Le projet prévoit de déployer une usine en arrière du port, à côté du circuit du Castelet, pour produire de l’hydrogène vert qui sera acheminé sur le port. Cette usine est attendue pour la fin de l’année. Ce carburant servira dans un premier temps aux navires de petite taille comme les unités de servitude du port. La deuxième application s’appliquera pour les opérateurs portuaires comme les manutentionnaires. Ils pourront transformer la motorisation de leurs engins vers de l’hydrogène pour réduire leur empreinte carbone. Enfin, cette trajectoire doit permettre d’apporter des « e-fuels » pour les navires dans un temps plus éloigné.
D’abord, travailler sur la pollution
Cette problématique du port de Toulon se retrouve en partie à Marseille-Fos. Les bassins est du port phocéen sont intégrés dans la ville. « Pour notre port, indique Hervé Martel, président du directoire du GPM de Marseille-Fos, il a fallu d’abord travailler sur la pollution générée par les navires escalant au bassin est qui assurent des liaisons sur la Corse, le Maghreb et les navires de croisière. La première réponse a été le branchement électrique à quai. »
Réduire la vitesse des navires dès la prise du pilote
La seconde mesure prise à Marseille a été de réduire la vitesse des navires et de changer de carburant dès la montée à bord du pilote. Pour le port du sud de la France, la décarbonation passe aussi par la transition énergétique. Cela se concrétise par l’utilisation du GNL comme carburant. Un carburant qui réduit considérablement les particules et réduit les émissions de CO2, « même s’il reste un carburant fossile », précise Hervé Martel. Si CMA CGM a décidé récemment de réaliser une partie du soutage de ses navires dans ce port en investissant avec TotalEnergies dans un souteur au gaz, d’autres armements comme Corsica Ferries et Algérie Ferries vont recevoir prochainement des navires propulsés au gaz.
Le bio-GNL n’obligera pas à modifier la motorisation des navires GNL
Pour se projeter dans l’avenir, le président du directoire du GPM de Marseille-Fos imagine le développement du bio-carburant. Ainsi, il a annoncé que le groupe CMA CGM étudie actuellement à développer du bio-GNL. Les moteurs au GNL actuels pourront tout aussi bien utilisés ces bio-carburants. « Pour tous ces bio-carburants, il faut de l’hydrogène. Il s’agit là d’un élément majeur. Dans ce contexte, nous avons mis sur pied un projet avec H2V pour produire de l’hydrogène décarboné avec la livraison d’une tranche de 100 MWH par an entre 2026 et 2032 qui servira à l’industrie mais aussi au transport ».
Un investissement de 92 M€ à Barcelone
Cette transition énergétique n’est pas propre à la France. À Barcelone, le port a décidé d’investir 92 M€ dans ce domaine par l’électrification des quais. Les premiers terminaux à avoir été équipés sont ceux dédiés aux conteneurs. L’année prochaine, le port prévoit de passer sur les terminaux rouliers. Pour alimenter ce réseau, le port a négocié avec un fournisseur d’énergie pour alimenter avec des énergies vertes ces alimentations.
Intégré de l’hydrogène vert dans du GNL pour du bio-GNL
Par ailleurs, le port catalan espagnol dispose de cuves de stockage de GNL. Il étudie la possibilité injecter dans ce GNL de l’hydrogène vert pour créer du bio-GNL. « Il faut prendre en compte que depuis 2020, nous avons entrepris un grand nettoyage du transport maritime avec la nouvelle règlementation. Aujourd’hui, les émissions dans la ville de Barcelone ne dépassent pas 6% à 7% », a expliqué Lluis Paris, directeur commercial du port de Barcelone. Les changements et la transition énergétique se fait petit à petit.
Au-delà de la RSE, Green Terminal
Si les autorités portuaires agissent dans la décarbonation du transport maritime. Pour les opérateurs de terminaux portuaires, la décarbonation est aussi devenue un enjeu. « Nous avons mis en place des politiques RSE au cours des précédentes années, mais nous avons constaté que le système était devenu insuffisant », note Christian Devaux de Bolloré Transport et Logistics. Pendant trois ans le groupe a travaillé pour diminuer les impacts environnementaux, à effet de serre dans les terminaux.
Une certification qui repose sur huit piliers
Pour répondre à ces exigences, Bolloré Transport & Logistics a développé une certification pour ses terminaux, Green Terminal. Développée en interne, la certification est délivrée par le Bureau Veritas. L’accréditation Green Terminal repose sur huit piliers. Un élément majeur de la réduction d’empreinte passe par l’électrification dans les terminaux, a rappelé Christian Devaux.
Décarboner passe aussi par d’autres systèmes logistiques
Face à ces projets, il est indéniable que la décarbonation du transport maritime mais aussi de l’ensemble de la chaîne logistique est en marche. Pour Géraud Pellat de Villedon de Michelin la question se pose aussi à un autre niveau. « La construction de hubs qui bétonnent, de navires de plus en plus grands ne sont peut-être pas la réponse. Avoir de plus petites unités plus faciles à décarbonées et des ports moins grands sont à regarder ». Les enjeux de décarbonation sont à 2030, or, « les solutions d’aujourd’hui sont sur du long terme ».
Gérer la place des soutes et le disponible pour les marchandises
La réponse de l’armateur est venue de Louis Dreyfus Armateurs. La place occupée par ces carburants est supérieure aux soutes traditionnelles. « Le rôle de nos navires est avant tout de transporter des marchandises pas du carburant. Il faut donc que nous ayons un carburant qui n’encombre pas trop les cales des navires ». Arthur Barret a rappelé que sur un navire de type câblier, changer la motorisation et passé sur des soutes plus importantes à charger, cela signifie passer d’un navire de 130 m à une unité de 220 m. « Utiliser des carburants comme l’hydrogène, l’ammoniaque voire le GNL signifie de prendre sur les zones destinées au chargement de la marchandise, ce que nous appelons des zones nobles. Alors, nous avons entrepris de raisonner à l’envers en se posant la question de la quantité d’énergie dont nous avons besoin, des lieux d’escale et du temps d’escale ».
Financement: étudier la rentabilité et rester dans l’air du temps
Derrière ces projets, le nerf de la guerre reste présent. Le financement des installations est important. Ainsi, la mise en place d’une certification Green Terminal est importante. Le réseau électrique représente 10% de l’investissement total. Quant aux engins de manutention dans les terminaux, Bolloré Transport & Logistics étudie pour chacun de ces terminaux si le remplacement par des équipements électriques est acceptable. « Un tracteur portuaire thermique coûte environ 80 000 €. Le même en électrique s’élève à 240 000 €. Au-delà de la rentabilité de ces projets, il faut savoir se mettre dans l’air du temps. » Plus généralement, la décarbonation du transport maritime est devenue aujourd’hui une réalité, a conclu Hervé Martel. « Elle interviendra soit par la contrainte règlementaire soit par la capacité des clients à accepter de payer plus. Pour un passager de croisière, l’augmentation est de l’ordre de 2€ par billet pour une escale à Marseille pour participer à cette décarbonation ».