Corridors et logistique

Vrac sec : après une fin d’année 2021 difficile, le marché attend le Nouvel an chinois

Depuis le mois d’octobre, le principal indice des taux de fret des vracs secs, le Baltic Dry Index, dévisse pour se retrouver à des niveaux bas. Le marché chinois joue toujours le rôle de guide. L’année a démarré avec l’interdiction d’exporter du charbon par le gouvernemment d’Indonésie et les fortes pluies au Brésil.

Sur les trois premiers trimestres de 2021, les principaux armateurs de vracs secs ne cachent pas leur enthousiasme. Leurs bilans financiers ont retrouvé des couleurs avec des taux de fret sur certaines catégories de navires pouvant aller à des niveaux que les moins de 10 ans n’ont pas connu.

Le BDI passé de 5600 points à 1147 points

Cette période d’euphorie s’est néanmoins atténuée sur le dernier trimestre. Les résultats financiers des armateurs sont en cours de rédaction mais déjà, à regarder les courbes des indices des frets des vracs secs, les choses ne vont pas en rester à ce niveau. En effet, dès le début du mois d’octobre, l’indice principal, le Baltic Dry Index, indice général pour les Capesizes, les Panamax et les Supramax, culminait à un peu plus de 5600 points. Le 31 décembre, le même indice s’est évalué à 1147 points. Sur le trimestre, cet indice a perdu 79% de sa teneur.

Une baisse de 30% pour les Capesizes

Cette baisse est d’autant plus criante quand on regarde le niveau du TCE (Time Charter Equivalent). Au 14 octobre, un Capesize est négocié aux environs de 74 540$/jour. Le 23 décembre, le même navire se négocie à 22 613$/j, soit 30% de son taux trois mois auparavant.

La Chine au cœur du sujet

Les courtiers ont relevé dans cette période plusieurs éléments qui ont conduit à la baisse. Le cœur du sujet, ou du problème selon le point de vue où l’on se place, tient à la production sidérurgique chinoise et aux prévisions météorologiques. Un hiver froid signifie d’importer du charbon, notamment en Chine dont les centrales thermiques alimentent encore majoritairement le réseau électrique national.

Reconstitution des stocks chinois et indiens

Ainsi, dès le milieu du mois d’octobre, la Chine et l’Inde ont estimé que leurs stocks en charbon sont au plus bas pour affronter un hiver rigoureux. Ils procèdent à des achats massifs sur le marché pour reconstituer les stocks portuaires. Dans le même temps, les sidérurgistes chinois restent timorés sur leur production des mois à venir et réduisent leurs commandes de minerais de fer.

Retournement de position des Chinois

La situation va se compliquer sur l’avant dernière semaine du mois quand les prix du charbon augmentent. Face à un marché défavorable pour les acheteurs, les Chinois réduisent leurs commandes entraînant par la même une baisse des taux de fret. Sur les derniers jours d’octobre, le scandale d’Evergrande en Chine perturbe encore plus le marché.

L’effet Evergrande

Evergrande est promoteur chinois présent sur de nombreux marchés dans l’Empire du milieu. La société est surendettée. Elle est sommée de payer ses dettes sous peine de devoir mettre la clé sous la porte. Or, pour la sidérurgie nationale, le secteur de la construction demeure un des principaux clients avec l’industrie automobile. La fin d’Evergrande pourrait faire des trous dans la production sidérurgique chinoise. Alors tant sur le marché des minerais de fer que du charbon, la Chine se fait discrète.

Novembre s’ouvre timidement

Le mois de novembre s’ouvre dans une situation plutôt pessimiste. Les prix du charbon et des minerais de fer se négocient timidement dans les bourses en raison de la baisse de la demande, notamment chinoise. Cette baisse de la demande a pour effet de laisser bon nombre de navires sur le marché. D’autant plus que le gouvernement chinois impose de réduire la production sidérurgique.

Les Capesizes bénéficient de la congestion portuaire

Néanmoins, le malheur des uns faisant le bonheur des autres, le marché des Capesize va connaître un sursaut aux environs du 10 novembre. Les affréteurs cherchent des navires mais ils sont, pour un bon nombre, bloqués en raison de la congestion des ports chinois. Dans le cadre de sa politique « zéro Covid », le moindre cas détecté impose une fermeture. Un cas détecté à Ningbo et le premier port charbonnier de Chine se retrouve immobilisé.

Baisse de production au Brésil

Ce regain ne durera pas puisque dès le milieu du mois de novembre, le Baltic Dry Index va connaître son plus bas niveau depuis le mois de juin. L’économie chinoise joue la carte de l’attentisme. L’avenir d’Evergrande n’est pas encore réglé et la production sidérurgique pourrait ralentir fortement sur la fin de l’année. Outre cet élément, le minier brésilien Vale annonce une réduction de sa production de charbon et de minerais.

Retour à la hausse avec les prévisions de la construction en Chine

Il faudra attendre la fin du mois de novembre pour voir le moral des opérateurs reprendre des couleurs. Les prix du minerai de fer s’affichent à la hausse et les prévisions sur le marché de la construction immobilière en Chine sont revues à la hausse. Ce regain n’aura pas empêché l’affrètement pour des navires de type Capesize de s’effriter pour s’évaluer à 24 355$/j le 25 novembre. À titre d’exemple, le même jour un navire Panamax, avec une capacité de transport de 60 000 t à 70 000 t, se négocie à 22 404$/j.

Le trop plein de la sidérurgie

En décembre, le premier constat apporté vient de l’importance des stocks chinois de minerais de fer. Les sidérurgistes s’éloignent des marchés internationaux, même si le sentiment d’une reprise globale de l’économie chinoise pourrait reprendre. Il faudra attendre la fin du mois pour voir les premiers signes d’un retournement de situation, notamment par une hausse de la demande en acier.

L’Indonésie interdit les exportations de charbon

L’année 2022 va démarrer avec de nouveau un caillou dans la chaussure. Le gouvernement indonésien décide d’interdire les exportations de charbon pour conserver sa production à des fins domestiques. Les Panamax, très actif sur le marché du charbon, subissent ce revirement. Pour rassurer le marché international, le gouvernement de Djakarta a annoncé la levée prochaine de cette interdiction. Peu importe, pour le courtier en affrètement grec, Intermodal, « il faudra du temps pour que la situation revienne à la normale », écrit-il dans son analyse hebdomadaire du 18 janvier.

La logistique ferroviaire brésilienne déraille

Ce début d’année démarre cahin caha. En effet, pour enfoncer le clou, le Brésil subi de fortes pluies dans la région du nord-ouest. Cette même région où est extrait bon nombre de matières premières. Pour finir, il est devenu difficile d’approvisionner les ports en raison des conditions de circulation difficiles pour les trains.

Une congestion portuaire encore élevée

Le seul élément qui milite en faveur d’un redressement du marché vient encore de la Chine. La congestion des ports oblige les acheteurs à utiliser plus de navires pour maintenir un niveau d’approvisionnement. Il n’empêche que bon nombre d’opérateurs décident de transférer une partie de leur flotte depuis le bassin Pacifique vers l’Atlantique. Une décision prise simultanément qui créé une inflation de navires en Atlantique et donc une baisse importante des taux de fret.

Baisse des taux d’affrètement

Au final, le Baltic Capesize Index a perdu 66% entre le 1er décembre et le 14 janvier pour se situer à 1496 points. Selon le courtier Intermodal, un navire Capesize dans le bassin Pacifique se négociait aux environs de 16 948$/j, en diminution de 13,4% en une semaine. Une baisse plus légère pour les Panamax dont l’indice a perdu, sur la même période, 18%. Dans le bassin Atlantique, un Panamax s’estimait à 23 321$/j, en diminution de 15,4%.

La Chine va faire le marché au premier trimestre

Selon S&P, le marché pourrait s’inverser au cours du premier trimestre de cette année. D’une part, la stratégie politique de Pékin face au charbon pour la production électrique est scrutée par tous les opérateurs. Dès lors que le gouvernement s’oriente vers une baisse de l’utilisation du charbon, l’équilibre entre l’offre et la demande pourrait se rompre.

Quid des tensions diplomatiques entre la Chine et l’Australie?

Ensuite, si la Chine et l’Asutralie reprennent leurs relations diplomatiques, les approvisionnements depuis d’autres origines, notamment Indonésie, Mozambique ou Afrique du Sud, pourraient se tarir. Le voyage Chine-Australie étant moins long, le besoin en navires est plus faible. Enfin, la production d’acier en Chine sur ce trimestre dictera encore une fois les évolutions du marché.

Le carnet de commandes au plus bas

Cette analyse du marché du côté de la demande ne doit pas cacher la partie de l’offre. Le carnet de commande pour les mois à venir en vraquier reste faible. En 2021, le flotte a augmenté d’environ 3%. Un niveau faible sur la décennie quand on se souvient qu’en 2010, la flotte a progressé de 17%. Pour 2022 et 2023, la flotte des navires du marché sec devrait augmenter de 2,7% sur 2022, selon les prévisions, et de 1% en 2023.

Une progression continue ces dernières années

Si la demande continue sa croissance sur les tendances observées ces dernières années, l’équilibre entre l’offre et la demande permettra de maintenir des taux de fret à des niveaux supérieurs aux coûts d’exploitation. En moyenne, les minerais de fer ont vu leurs flux augmenter de 3% en tonne/miles sur la dernière décennie. Le charbon s’estime à environ 2,6% et les céréales à 5,1% sur la même période.

Une congestion portuaire toujours élevée

D’autre part, la congestion portuaire liée à la forte demande s’est réduite sur les premiers jours de janvier mais demeure importante notamment dans les ports chinois et d’Asie. Cette congestion amène l’utilisation d’une flotte plus importante pour faire face aux attentes devant les ports.

Europe: le dilemme entre charbon et transition écologique

Il reste qu’en Europe, le charbon est décrié par les gouvernements dans leur politique de transition énergétique. Pour passer d’une production électrique carbonée vers une production plus verte, la transition doit se faire de manière souple. L’exemple de l’Allemagne illustre le paradoxe. Ainsi, Outre-Rhin, les importations de charbon ont progressé de 24,5% à 39 Mt. L’arrêt des centrales nucléaires ne peut être compensé rapidement par des énergies vertes.

Les premiers effets du plan charbon

En France, le plan charbon produit ses premiers effets. L’opérateur du terminal minéralier et charbonnier de Dunkerque, Seabulk, en a fait les frais. Des 52 emplois du terminal, un bon nombre de dockers a été reclassé, d’autres ont quitté l’entreprise par des départs volontaires ou à la retraite. À Marseille-Fos, les autres vracs solides, dans lesquels s’inscrivent le charbon sont en progression de 26%. Arrêter le nucléaire signifie pour beaucoup de pays européen de remettre en activité leurs centrales thermiques.

L’année 2022 devrait continuer sur la lancée de 2021

Alors, si les premières semaines de 2022 semblent démarrer difficilement, l’année s’annonce sous les meilleurs auspices pour les acteurs du marché des vracs secs. Il faut aussi prendre en compte les flux céréaliers qui devraient croître sur la seconde partie de la campagne, correspondant au premier semestre calendaire.