Vracs secs : l’Inde peut jouer le rôle de moteur auxiliaire
Niels Rasmussen, analyste au Bimco, a donné une analyse complète du marché des vracs secs. Les principaux flux comme le charbon, les minerais, les céréales et les petits vracs vont devoir s’accommoder de marchés tendus et en mutation. L’offre maritime devra s’adapter.
En mai, le BDI (Baltic Dry Index) a atteint un pic avec 3 369 points. Les jours suivants, les perspectives sur la demande en matières premières sèches ont baissé en raison du confinement imposé en Chine et des premiers signes de ralentissement de l’économie. De plus, la congestion portuaire dans le vrac sec s’est atténuée. Dans ces conditions, l’indice des taux de fret n’a eu de cesse de baisser pour atteindre un niveau bas à 855 points, équivalent à celui de juin 2020.
Une baisse de 19,5% du BDI
Ce constat dressé par Neils Rasmussen, analyste au Bimco, démontre de la volatilité de ce marché. En effet, malgré une demande forte cette année en matières premières, le BDI s’affiche en retrait de 19,5% par rapport à l’année dernière.
Une hausse de 0,6% en tonne/miles
Dans ces conditions d’affrètement, le trafic exprimé en tonnes/miles reste encore au-dessus de celui de 2021, continue l’analyste du Bimco. Selon l’organisation maritime danoise, à fin août, le trafic des vracs secs a gagné 0,6% par rapport à l’année dernière. Une donnée qui doit malgré tout s’analyser dans un marché compliqué.
Des facteurs divers
En effet, l’invasion russe en Ukraine a fermé les ports ukrainiens et les sanctions européennes limitent les exportations de la Russie. Le confinement en Chine, dans le cadre de la politique Zéro Covid, a réduit l’activité économique. De plus, l’augmentation de la production minière chinoise réduit les achats sur les marchés internationaux du plus important consommateur de charbon. Autant d’éléments qui se répercutent sur le marché du transport maritime.
Charbon : hausse de la demande indienne
Un marché compliqué qui reste, pour le charbon, sur une tendance à la hausse. En effet, comparativement à l’année passée, les volumes transportés de charbon ont augmenté de 3,3%. Pendant les deux mois de l’été, juillet et août, la croissance des volumes échangés de charbon atteint 1,7%. Selon Niels Rasmussen, deux éléments expliquent cette tendance. Le premier vient d’une demande importante depuis l’Inde. Le second est lié à la demande européenne pour ce produit afin de compenser le potentiel manque de gaz cet hiver pour la production électrique.
Minerais de fer et céréales en baisse
La croissance du charbon ne s’est pas déclinée sur les autres vracs secs. Les minerais de fer et les céréales enregistrent des baisses en tonne/miles de, respectivement, 0,5% et 3%. Les minerais de fer ont subi la baisse de la demande chinoise liée aux mesures de confinement. Quant aux céréales, le conflit entre l’Ukraine et la Russie ont largement impacté ces flux. « Les corridors logistiques pour faciliter les exportations de céréales n’ont pas encore eu d’effets significatifs », souligne l’analyste du Bimco.
Baisse de 50,3% des taux d’affrètement
Avec la baisse du Baltic Dry Index, les taux d’affrètement des vraquiers ont perdu de leur teneur. En effet, les données compilées par le Bimco font état d’une baisse de 50,3% du taux de Time Charter. Les navires de seconde main sont restés stables malgré les conditions de marché en baisse. Ainsi, un navire de cinq ans se négocie actuellement à 86% du prix d’un navire neuf en moyenne. Pour un Capesize de cinq ans, le prix de l’occasion s’évalue à environ 71% du prix du neuf. Même si les prix de l’acier ont baissé au cours des derniers mois, le prix des navires neufs n’a pas cessé de progresser au cours de l’année. « Ils semblent aujourd’hui avoir atteint un plateau », indique Neils Rasmussen.
Des perspectives peu encourageantes
Du côté de la demande, les perspectives économiques ont été revues pendant l’été. Citant le Fonds monétaire international, l’analyste du Bimco indique une baisse du PIB au deuxième trimestre 2022, comparativement au premier trimestre de cette même année. La croissance économique est estimée à 3,2% en 2022 contre 6,1% en 2021. En 2023, elle devrait se situer aux environs de 2,9%. Des chiffres qui ne sont pas encore certains. Les scénarios catastrophe font état d’une possible baisse de la croissance à 2,6% en 2022 et 2% en 2023.
Le poids de la Chine
Appliqué au marché des vracs secs, ces chiffres n’augurent pas de bons résultats. Moteur de ce marché, la Chine doit être regardée avec attention. Et dans ces conditions, avec des prévisions de croissance à 3,3% en 2022, l’Empire du milieu devrait finir l’année sur son niveau le plus faible depuis 1990. La banque centrale chinoise a réduit les taux d’intérêt et les stimuli du gouvernement central sont inférieurs à ceux de l’année précédente. Des conditions qui vont avoir un impact direct sur le marché des vracs secs. Les quelques initiatives locales et celles du gouvernement central chinois en faveur du développement des infrastructures pourraient relancer la demande en minerais de fer et en charbon, « mais sans un impact sur le court terme », relativise l’analyste du Bimco.
Stabilité dans des marchés peu porteurs
Les prévisions des fonds internationaux estiment que l’Inde affichera un taux de croissance le plus élevé à 7,4% en 2022 et 6,1% en 2023. Les autres pays de l’Asean devraient afficher une croissance faible. Ces prévisions ont été réalisées en avril. Les autres grands ensembles économiques comme l’Europe, l’Amérique du Sud, les Caraïbes, le Moyen-Orient et l’Afrique sub-saharienne n’ont pas vu leur croissance révisée à la baisse. « Malheureusement, ces marchés ne sont pas essentiels pour les vracs secs », rappelle Niels Rasmussen.
Acier : une reprise attendue par la Chine
La World Steel Association estime que la production mondiale d’acier a perdu 5,4% sur le premier semestre 2022. Le premier producteur, la Chine, a réduit sa production de 6,4% au cours de cette période en raison d’une baisse des investissements dans l’immobilier. En avril, l’organisation internationale de l’acier estimait que la demande augmenterait de 0,4% en 2022 et de 2,2% en 2023. Des chiffres qui apparaissent aujourd’hui optimistes. Les dernières prévisions tablent plutôt sur une baisse de la demande.
Charbon : l’Inde, le moteur auxiliaire
Quant au charbon, l’Agence internationale de l’énergie a revu ses prévisions de demande de charbon. Sur le premier semestre, la demande a augmenté de 0,5%. Elle devrait finir l’année aux environs de 0,8%. En 2022, indique l’analyste du Bimco, l’Inde et l’Union européenne sont devenues les moteurs de ces flux. Bimco estime que la demande en charbon de l’Inde devrait augmenter de 7,3% et celle de l’UE de 6,5%. Des augmentations liées au prix du gaz et au besoin de produire de l’électricité en raison de la sécheresse de l’été et en prévision de l’hiver.
Le moteur principal en panne
Quant à la Chine, sa demande en charbon a baissé de 3% sur le premier semestre en raison d’une activité économique au ralenti. Le rebond attendu en Chine devrait compenser en partie les baisses du premier semestre. La demande en charbon de la Chine devrait s’afficher avec une baisse de 0,5% par rapport à l’année dernière. Cependant, continue le Bimco, la demande en transport maritime de charbon devrait être réduite cette année en raison de la réactivation de la production charbonnière nationale.
Europe : trouver du charbon ailleurs
Cette baisse de trafic maritime pour la Chine sera en partie compensée par la demande européenne. Les sanctions européennes contre le charbon russe vont inciter les acheteurs européens à se tourner vers d’autres marchés. L’UE pourrait aller chercher du charbon aux États-Unis, en Colombie, en Australie et en Afrique du Sud. Pour les armateurs ces modifications d’approvisionnement auront un effet bénéfique sur les trafics en tonne/miles. Une hausse estimée à 5% des flux.
Céréales : une hausse des exportations de soja
Quant aux céréales, même si l’Ukraine reste le grand absent sur les marchés internationaux, le département américain de l’agriculture estime que les échanges mondiaux vont progresser de 1,8% sur la campagne actuelle. Le Canada et la Russie vont suppléer au déficit ukrainien en blé et en maïs. Le Brésil annonce une importante récolte en maïs avec un potentiel exportable en hausse de 36,8%. Autre céréale qui devrait connaître une croissance au cours de cette campagne, le soja est attendu avec des exportations en hausse de 10,3%
Les engrais toujours dans l’inconnu
Pour les céréales, l’inconnue demeure sur les engrais. La hausse importante du prix des engrais en raison de l’augmentation du prix du gaz fait peser un risque sur les prochaines productions. Les agriculteurs limitent leur utilisation avec un risque d’une récolte plus faible l’an prochain. Une tendance qui se traduit directement dans les chiffres du transport avec une baisse de 2,7% des volumes d’engrais transportés.
Le nickel veut se refaire une santé
Pour les petits vracs, la situation reste positive. L’analyste du Bimco indique que ces produits enregistrent une hausse de 4,8% de leur volume d’une année sur l’autre. Les différents vracs sont en progression. Seuls les minerais comme le nickel ont connu une baisse de leur volume transporté en raison de la demande chinoise réduite. L’industrie du nickel attend une croissance dans les prochains mois tant pour l’acier inoxydable que pour les batteries automobiles.
Un carnet de commande de 68,1 Mtpl
Avec une demande qui ne devrait progresser qu’entre 1% et 2%, l’offre doit s’adapter. Alors, au cours des sept premiers mois de l’année, la flotte mondiale de vraquier a peu bougé. Le carnet de commandes s’établi à 68,1 Mtpl, soit 7,5% de la flotte en activité. Les livraisons de navires en 2022 et 2023 pourraient être revues et décalées. D’autre part, le Bimco s’attend à voir une augmentation de la démolition de navires les plus anciens. « Des armateurs trouveront peu économiques d’envoyer des navires dans des chantiers pour répondre aux normes EEXI et CII dans ces conditions de marché », indique Niels Rasmussen. En 2022, la croissance de la flotte devrait se limiter à 2,2% contre 3,6% en 2021.
Congestion portuaire et vitesse de navire
L’offre de capacité doit aussi être analysée en regard de la congestion portuaire et de la vitesse des navires. L’atténuation de la congestion portuaire, qui sévi depuis le milieu de 2020, ajoute de la capacité sur les marchés internationaux. De plus, en réduisant la vitesse des navires de 0,1 nœuds par rapport à 2021, les armateurs ont automatiquement réduit l’offre. Or, avec l’entrée en vigueur des normes EEXI, CII et du système des ETS en Europe, il est indéniable que la vitesse des navires ne va pas augmenter en 2023, explique l’analyste du Bimco. « Nous sommes persuadés que la fin de la congestion va amener de la capacité supplémentaire ». Alors, la capacité disponible devrait croître de 1% en 2022 et entre 0% et 1% en 2023.
L’avenir encore flou
Ces prévisions restent encore sujettes à de nombreuses inconnues comme l’exécution des corridors logistiques céréaliers depuis l’Ukraine, la capacité de l’Europe à se priver du charbon russe, de nouveaux confinements en Chine ou encore la discipline des armateurs à se tourner vers la démolition. Le marché tendu des vracs secs peut connaître de nouvelles tensions, l’histoire nous a montré sa capacité à sombrer.