Corridors et logistique

Céréales : la logistique jouera un rôle déterminant pour la campagne 2023/2024

Agritel a présenté les résultats de la récolte 2023. Avec une qualité au-dessus de la moyenne, la France dispose d’un potentiel exportable de 17 Mt. La logistique jouera un rôle déterminant au cours de cette campagne.

La rencontre entre Vladimir Poutine et Tayyip Erdogan le 4 septembre a consacré une large part à l’accord céréalier. Le président turc s’impose comme un médiateur avec la Russie pour l’amener à négocier un nouvel accord humanitaire pour l’exportation des céréales ukrainiennes. Après la première journée de cette rencontre, le ministère turc des affaires étrangères déclare que l’accord est sur le point de revivre. Selon une dépêche de Reuters, « Erdogan souligne que les desiderata de la Russie sont connus de tous. La Turquie et les Nations unies travaillent sur un nouveau paquet de mesures. »

Une production française de 34,8 Mt

Ces négociations interviennent quelques semaines après le début de la nouvelle campagne céréalière. En France, la récolte 2023 de blé tendre atteint 34,8 Mt en 2023, selon les prévisions d’Agritel. Un chiffre qui place cette récolte « juste au-dessus de la moyenne quinquennale », indique Alexandre Marie, chef analyste d’Agritel. Le potentiel évalué à début mai s’est érodé au cours des semaines qui ont suivi. En effet, le déficit hydrique et les vents secs de mai et juin ont baissé les rendements. De plus, les pluies de fin de récolte ont dégradé la qualité. Alors, finalement, avec 34,8 Mt de blé tendre, la récolte française se situe à 1,4% au-dessus de la moyenne.

Un potentiel de 17 Mt à l’export

De ce volume, Agritel estime la demande domestique à environ 50% de la production, soit 17,8 Mt. L’autre moitié, 17 Mt, correspond à la partie exportable de la récolte française. Une partie de ce volume pourrait se diriger vers l’Union européenne. La péninsule ibérique emporte une grande partie de ces trafics avec 2,3 Mt. La région a enregistré des déficits hydriques importants. Elle devrait se placer sur le marché pour importer une partie de ces besoins. Les pays du nord du continent sont attendus comme acheteur. « L’apport en blé tendre sur ces pays dépend en grande partie de la capacité de l’Ukraine à exporter ses céréales », continue le chef analyste.

9,5 Mt d’exportation vers les pays tiers

Agritel estime les exportations vers les pays tiers aux environs de 9,5 Mt. Les deux marchés traditionnels de la France, le Maroc et l’Algérie, deviennent plus concurrentiels. L’Algérie a modifié son cahier des charges pour une meilleure intégration des blés de mer Noire. Quant au Maroc, il a supprimé l’avantage de la France en revoyant son principe de restitutions. Désormais, la France est remise au même niveau que ses concurrents.

Le rôle de la Chine

Le marché égyptien est pour sa part plus compliqué. Avec des conditions de paiement à six ou neuf mois, le prix du blé français est supérieur à celui de mer Noire. Des ajustements intervenus en fin de mois d’août permettent au blé français de se placer sur le marché égyptien face à celui de Russie et d’Ukraine. Quant à la Chine, Agritel estime qu’elle jouera un rôle sur les marchés internationaux. En effet, le pays connaît une récolte plus faible qu’attendue. « La France pourrait fournir environ 1,5 Mt à l’Empire du milieu », estime Alexandre Marie. Un trafic qui pourrait profiter aux ports français comme le GPM de Dunkerque et le GPM de La Rochelle.

L’Afrique sub-saharienne à hauteur de 2,2 Mt

Et il faut ajouter à cette liste, les pays d’Afrique sub-saharienne. Agritel évalue à 2,2 Mt le potentiel exportable vers ces pays. Une estimation basse qui pourrait être corrigée en fonction des flux que les pays de mer Noire exporteront. Dans ces conditions, avec un stock de 3 Mt en fin de campagne, « la France dispose de 500 000 t supplémentaires à l’export », continue le chef analyste d’Agritel.

La Russie dispose d’un potentiel de 49 Mt à l’export

Dans le contexte actuel du conflit entre la Russie et l’Ukraine, la logistique joue un rôle primordial. La Russie, explique Alexandre Marie, dispose d’une récolte à 87,5 Mt et d’un stock de fin de campagne 23/24 à 17 Mt. Le potentiel à l’export s’évalue à 49 Mt. De son côté, l’Ukraine a récolté 20,5 Mt en 2023. Les stocks de fin de campagne restent élevés en Ukraine. Ainsi, la mer Noire, conserve son rôle primordial pour la sécurité alimentaire dans le monde.

Des ports ukrainiens fermés

Or, ce rôle ne se fera qu’avec des conditions logistiques normales. Cependant, 30% des ports d’Ukraine sont à l’arrêt en raison des attaques subies. Par ailleurs, 54% des autres ports présentent des risques lors des chargements. De plus, depuis le mois de juillet les corridors humanitaires pour l’exportation de céréales est suspendu. Des conditions logistiques qui ne permettent pas d’augurer de capacités d’exportations du pays. Le 3 septembre, des drones russes ont ciblé des installations portuaires sur le Danube. De ce fait, les capacités d’exportation par cette voie s’amenuisent.

L’Ukraine : un pays logistiquement enclavé

Néanmoins, depuis le mois de juillet, les opérateurs agricoles d’Ukraine ont mis en place des voies alternatives par le Danube et par la route et le fer vers l’Europe du Nord. « Nous considérons que l’Ukraine pourra exporter une partie de sa production sans pouvoir estimer réellement le volume dans ces conditions logistiques », continue Alexandre Marie. Les attaques, au cours de l’été, des ports ukrainiens limitent les capacités d’exportation. « L’Ukraine est devenue un pays enclavé, sans un accès sûr à ses ports », constate Agritel.

Une logistique terrestre avec une capacité de 4,5 Mt

L’exportation de céréales par transport terrestre ne peut se faire que dans des capacités limitées. Selon Agritel, l’Ukraine peut exporter 4,5 Mt par mois par le fleuve, la route et le ferroviaire. De plus, les pays frontaliers comme la Pologne et la Hongrie sont réticents à l’arrivée massive de céréales sans droits de douane. La décision de l’Union européenne d’exempter les céréales ukrainiennes de droits de douane constitue un handicap pour la production de ces pays européens. L’UE a accordé des compensations à ces pays mais sur une période limitée. Il est prévu de revoir ces dispositions dans le courant du mois de septembre.

Les partenariats céréaliers de la Russie

Quant aux blés russes, « il n’est pas question, à ce jour, d’empêcher la Russie d’exporter son blé sous peine de voir une crise alimentaire mondiale », répète à l’envi les spécialistes. Cependant, les sanctions contre la Russie prévoient d’exclure le pays du système bancaire mondial Swift. Alors, pour continuer à exporter sa production, le pays négocie des partenariats. Ainsi, l’Égypte trouve des financements au Qatar et Dubaï pour financer ses importations de blés russes. D’autres partenaires commerciaux de la Russie négocient sous forme de troc : du blé contre des matières premières.

La logistique, variable d’ajustement

Alors, entre la capacité de l’Ukraine à exporter une partie de sa production et le potentiel d’exportation de la Russie, le blé français devra trouver sa place sur le marché international. La qualité est au rendez-vous mais, face à des blés de mer Noire inférieurs en prix. Les marchés concurrents comme le Canada, l’Australie et l’Argentine détermineront la capacité de la production française à s’exporter. Or, ces pays connaissent des incidents climatiques qui réduisent leur potentiel à l’exportation. Pour s’imposer sur le marché international, les blés français devront peut-être ajuster la variable logistique pour devenir compétitifs.