Prospectives

Consortiums : entre gagnants et perdants, les chargeurs courent des risques

La fin annoncée des consortiums en avril 2024 suscite de nombreuses analyses. Nous reprenons, ci-dessous, l’approche de Jérôme de Ricqlès, expert maritime chez Upply.

La fin des consortiums suscite des analyses de toutes parts. Depuis les armateurs aux commissionnaires en passant par les manutentionnaires, la décision de la Commission européenne laisse aucun acteur de la chaîne logistique portuaire indifférent.

Un petit changement

Dans son analyse, Jérôme de Ricqlès, expert maritime chez Upply, revient sur cette nouvelle donne du marché. Un effet mèche de pétard mouillée ? Pour l’expert maritime, la chose pourrait s’en rapprocher. « La fin de ce système pourrait finalement ne pas changer grand-chose compte tenu du contexte actuel du transport maritime conteneurisé, en particulier depuis l’implosion annoncée de l’Alliance M2 », indique Jérôme de Ricqlès.

La fin des consortiums, le maintien des VSA

Il met en garde contre un contre-sens. « Cette décision ne signe pas l’arrêt de mort de la coopération entre les compagnies maritimes. » En effet, les VSA demeurent. Bien plus, ces VSA ont l’entier soutien de Bruxelles. La condition pour leur maintien, précise l’expert maritime, est qu’ils doivent étoffer l’offre disponible. Alors, si les partisans de la fin des consortiums ont crû à l’arrêt des coopérations entre armateurs, ils ont été trop vite en besogne. « L’expiration de ce règlement ne signifie pas que la coopération entre compagnies maritimes devient illégale au regard des règles de l’UE en matière de pratiques anticoncurrentielles. Au contraire, les transporteurs exerçant leurs activités à destination ou au départ de l’UE évalueront la compatibilité de leurs accords de coopération avec les règles de l’UE en matière de pratiques anticoncurrentielles. »

Consortium vs VSA : à chacun ses particularités

Et pour être plus précis, il rappelle les principes de ces deux coopérations. Le consortium repose sur un esprit de mutualisation. Les armateurs participants mutualisent les achats et les recette générées, redistribuées au prorata des parts de chacun. De plus un centre opérationnel intra-membres se charge de la coordination technique et opérationnelle des escales et des services du consortium, avec un partage de données assez large sur les caractéristiques des marchandises. Pour sa part, le VSA, repose sur le principe d’un accord bilatéral de gré à gré entre deux compagnies, soit sous forme d’échange d’espace à bord des navires, soit sous forme d’achat d’espace chez un autre opérateur.

L’alliance 2M, un gagnant

Dans le contexte que la Commission européenne a décidé à partir de 2024, les acteurs de la chaîne logistique portuaire se divise entre les gagnants et les perdants, selon l’expert maritime de Upply. Du côté des gagnants se retrouvent, d’abord l’alliance 2M (regroupant Mærsk et MSC). Les deux armements, rappelle Jérôme de Ricqlès, « ont déjà commencé à préparer leur divorce ». Ils se donnent les moyens pour être prêts dès le mois d’avril 2024, date de la fin des consortiums.

Manutentionnaires dans le camp des gagnants

Les autres gagnants sont les commissionnaires de transport. Depuis la pandémie et les perturbations des services conteneurisés, ces professionnels réclament, à cor et à cris, la fin des consortiums. Le Clecat, organisation européenne des commissionnaires, pointe du doigt « l’intégration verticale pratiquée par certaines grandes compagnies maritimes, qui sont alors devenues des concurrents directs des commissionnaires, en plus d’être leurs fournisseurs ». Ils appuient cet argumentaire sur le risque de concurrence déloyale en raison d’une utilisation abusive de la taxe au tonnage. Les armateurs peuvent abuser de cet outil lors de la consolidation de leurs résultats financiers en amalgamant les différentes activités.

La déconcentration joue en faveur des manutentionnaires

Dans ce trio de gagnant apparaissent les manutentionnaires portuaires. Depuis plusieurs années, les opérateurs privés portuaires réclament la fin de ce dispositif. La Commission semble les avoir entendus. En effet, explique l’expert maritime, « la fin du dispositif signifie que chaque compagnie devrait logiquement renégocier ses tarifs de manutention de façon individuelle, par port ou par groupe de ports ». Une déconcentration qui joue en faveur des manutentionnaires.

Les armateurs dans les rangs des perdants

Face à ces gagnants, les compagnies maritimes remplissent les rangs des perdants. Elles devront se mettre en conformité avec les nouvelles règles européennes sur les abus de position dominante. Et Jérôme de Ricqlès précise : « avec quel contrôle ? ». Elles vont donc se retrouver face à des « tracasseries administratives » à gérer. Et dans ce flot d’armateurs, les choses pourraient être plus compliquées pour les petites compagnies maritimes, continue l’expert.

Les « petites » compagnies, grandes perdantes

En effet, déjà, elles sont minoritaires au sein de ces consortiums. Alors, leur « intérêt à court terme sera peut-être de se désengager du marché européen », imagine Jérôme de Ricqlès. Le contexte à venir signifie une hausse des coûts d’exploitation. « Car, elles ne pourront pas obtenir des tarifs aussi compétitifs en matière de manutention portuaire que lorsqu’elles bénéficiaient d’achats groupés. » Et la situation peut aller jusqu’à tourner vinaigre en raison de la mainmise de grands groupes maritimes dans certains terminaux portuaires. Alors, la volonté de la Commission de libéraliser le secteur pourrait se retourner contre elle avec un risque de concentration de l’offre.

Les chargeurs : des gagnants partiels

Entre gagnants et perdants, une catégorie peut s’avérer entre les deux camps : les chargeurs. En effet, si l’organisation européenne des chargeurs se félicite de la décision de la Commission, « de notre point de vue, les chargeurs ne sortiront pas gagnants sur tous les fronts », continue Jérôme de Ricqlès. Il imagine deux tendances se dessiner. D’une part, « l’offre va vraisemblablement se concentrer encore davantage aux mains des plus gros opérateurs ». Cette voie pourrait inciter les compagnies maritimes à mettre en place des stratégies de différenciation de l’offre. Pour les chargeurs, cela signifie aussi un retour à une plus grande métronomisation des services. De plus, les politiques tarifaires devraient retrouver une plus grande amplitude.

Décrypter les offres des armateurs

Le revers de la médaille pour les chargeurs, selon l’analyse de l’expert maritime, concerne les tâches des services achats des industriels. Ils devront s’atteler à « décrypter les offres concurrentes ». Les éléments de différenciation faibles avec les consortiums risquent de se compliquer. De plus, les THC pèseront dans les écarts de prix entre armateurs.

Attention au retournement de marché

Le risque pour les chargeurs réside dans le départ de certains opérateurs. La fin des consortiums ne concerne que les liaisons avec l’Union européenne. Dans l’hypothèse où la situation se complexifie, le départ de certains armateurs n’est pas à exclure. Pour les chargeurs, ces départs signifient une diminution de l’offre. « Pour l’instant, le retournement du marché a redonné la main aux chargeurs dans le rapport de force avec les prestataires. Mais lorsque la demande repartira, le réveil pourrait être douloureux si l’offre s’est significativement contractée », conclu Jérôme de Ricqlès.