Croisières : entre retombées économiques et nuisances environnementales
Les effets des escales de navires de croisières dans les ports européens de la Méditerranée sont abordés, généralement, avant le début de la saison. Charles-Henri Fredouet, chercheur en gestion portuaire au centre de formation GIP CEI, aborde ce sujet avec du recul. Il a mené une étude sur les avantages économiques des escales de croisière face aux nuisances que ces navires peuvent occasionner.
Pour un port, son agglomération, voire sa région, les escales des navires de croisière peuvent être d’importantes sources de revenus financiers et génératrices de nombreux emplois directs et surtout indirects dans les secteurs du tourisme, du commerce et du transport. Toutefois, dans un contexte où les impacts sociétaux et environnementaux des activités portuaires sont de plus en plus systématiquement pris en considération, ces escales s’accompagnent d’externalités désormais qualifiées de négatives. Il peut s’agir, entre autres, des émissions de gaz nocifs, du débarquement massif de déchets ou encore de la sur-fréquentation des sites touristiques.
Une étude sur 36 ports méditerranéens
En conséquence, les ports de croisière doivent s’efforcer de maximiser les retombées économiques des escales de paquebots, tout en en garantissant l’acceptabilité sociale, scientifique et réglementaire. Pour éclairer sur ce que ces ports revendiquent avoir conçu et mis en œuvre comme plans d’action face à un tel défi, une étude a été menée portant sur un échantillon de 36 ports européens situés sur la façade nord de la Méditerranée (Espagne, France, Italie, Grèce, pays de la côte Adriatique). Ce choix tient notamment au fait qu’il s’agit de l’une des régions au monde les plus fréquentées par les paquebots de croisière.
Une étude menée en deux parties
L’étude a constitué en une analyse des sites internet des ports. Elle a été menée selon une grille en deux parties. La première est consacrée à la collecte d’informations montrant la volonté du port de maximiser les retombées économiques de son activité croisière (attractivité commerciale, attractivité opérationnelle). La seconde est destinée à caractériser l’action du port pour minimiser les externalités négatives de cette activité (protection contre la pollution, protection contre le sur-tourisme).
Les ports se focalisent sur les excursions
Assez naturellement, les ports insistent surtout sur les possibilités de visites offertes aux croisiéristes, ainsi que sur la qualité des conditions d’accueil faites à ceux-ci. En revanche, la quasi-absence de promotion du commerce local laisse à penser que les ports ne se focalisent pas explicitement sur les opportunités de retombées économiques fournies par les escales. De même, ils ne semblent pas chercher à faire ressortir l’impact potentiel de l’activité de croisière sur l’économie régionale.
Devenir des têtes de pont des croisières
Outre vis-à-vis des passagers, les ports doivent aussi se montrer attractifs à l’égard des armements. À cet effet, les ports étudiés font état de leurs infrastructures existantes et de leurs investissements en cours et à venir, dédiés en tout ou partie à l’accueil des navires de croisière. Toujours afin de maximiser les retombées économiques de l’activité croisière, certains ports peuvent avoir l’ambition d’être retenus par les armements comme tête de ligne, ou au moins comme un port où il est possible d’embarquer / de débarquer en cours de voyage. Dans cette idée, ils mettent en avant les ressources dont ils disposent pour l’acheminement de passagers en pré-embarquement et/ou post-débarquement. Pour cela ils citent la proximité d’un aéroport international, la connexion à des lignes ferroviaires longue distance, le réseau de transport urbain ou péri-urbain.
Pas d’investissement sur l’amélioration du bilan énergétique
En matière environnementale, à deux exceptions près, les ports de l’échantillon n’indiquent pas avoir fait d’investissements pour améliorer le bilan énergétique de leurs terminaux croisière (éclairage LED, panneaux photovoltaïques, …). Les actions citées portent plutôt sur la réduction de l’impact environnemental des escales de paquebots lié à la production de déchets et à l’émission de gaz nocifs. Par ailleurs, quand ne serait-ce qu’un navire de croisière fait escale dans un port avec ses milliers de passagers, il arrive souvent que les lieux de visite soient envahis. Il en est de même, pour les espaces urbains et les moyens de transport. Pour autant, les 36 ports dans leur quasi-totalité ne se soucient pas de faire valoir leurs actions éventuelles en matière de protection des sites et des populations lors des passages de paquebots.
Peu se prévalent d’actions sur la réduction des impacts sociaux et environnementaux
Globalement, l’étude montre donc que les ports de croisière européens du range nord-méditerranée sont peu nombreux à se prévaloir d’un ensemble significatif d’actions en matière de réduction des impacts sociaux et environnementaux des escales. Sans pour autant mettre en avant explicitement l’apport de l’activité croisière en termes de revenus et d’emploi, ils font beaucoup plus systématiquement et plus largement état de leurs atouts commerciaux et opérationnels à l’intention des armements et de leurs passagers.
Gérer les externalités négatives
Toutefois, une revue de littérature menée à la suite de cette étude a permis de faire ressortir une autre réalité. En effet, l’impression ressentie est cette fois que l’attention des acteurs de l’industrie de la croisière, tant publics que privés, est désormais très majoritairement portée sur la gestion des externalités négatives de ce secteur d’activité, qu’il s’agisse d’une fin en soi ou dans le but ultime de minimiser l’impact sur la valeur ajoutée économique.
Les armements investissent dans la décarbonation
Les initiatives en ce sens sont prises par les armements, par les institutions portuaires, par les collectivités publiques, séparément mais aussi conjointement. Ainsi, les armements investissent fortement dans le domaine de la transition énergétique que ce soit via la conversion de leur flotte existante ou bien à l’occasion de son renouvellement. En effet, 40% des navires existants peuvent déjà se connecter à une alimentation électrique bord à quai. De plus, 61% des nouveaux navires utilisent le gaz naturel liquéfié (GNL) comme source d’énergie pour leur propulsion primaire. Encore, plus de 15% des navires qui seront lancés dans les cinq prochaines années seront équipés de batteries ou de piles à combustible.
Les ports se préoccupent des questions environnementales
Les ports ne sont pas en reste. Leurs principales préoccupations en matière environnementale sont le réchauffement climatique, la pollution de l’air et l’efficacité énergétique. Les actions qu’elles envisagent prennent des formes diverses. Elles s’étendent depuis les réductions tarifaires pour les navires moins polluants, les démarches d’obtention de certification, les prestations d’avitaillement en GNL et/ou d’alimentation électrique bord à quai, les restrictions quant à la durée des escales, à la taille des navires accueillis ou encore au nombre d’escales simultanées voire au nombre de croisiéristes débarqués.
Les collectivités publiques veulent faire de la croisière une industrie « acceptable »
Même si l’effort en ce sens reste pondéré par le souci d’en tirer un profit économique local, voire régional, les collectivités publiques sont de plus en plus nombreuses à vouloir / devoir réguler le tourisme de croisière. Il s’agit pour elles de garantir leur durabilité sociale et environnementale en tant que destinations via des plans d’action visant à rendre les escales de paquebots acceptables à la fois par la population locale et en termes d’impact sur l’environnement.
Des corridors verts pour les armements
Incidemment, la communauté d’intérêt des armements, des ports et des collectivités publiques à un développement durable du tourisme de croisière mène aussi à des accords ou des démarches convergentes en la matière. À titre d’exemple, cette communauté se retrouve dans la constitution par les ports et les collectivités de corridors verts attractifs pour les armements, de partenariats entre ports et armements pour une gestion durable des escales, d’accords entre collectivités publiques et armements concernant la gestion des déchets et la réduction des émissions en approche des ports d’escale.
La réduction des externalités négatives
Ainsi, alors que l’étude, fondée sur l’analyse du contenu de leurs sites internet, n’a identifié que très peu de ports faisant état de plans d’actions dédiés à la protection de l’environnement, des sites et populations, la revue de littérature montre que plusieurs ports de la zone géographique étudiée sont engagés dans une démarche structurée, et pour certains déjà ancienne, de réduction des externalités négatives des escales de navires de croisière. Globalement, il semble bien que ce soit l’industrie de la croisière dans son ensemble, armements, ports et collectivités publiques, qui soit arrivée à reconnaître cette démarche comme une condition nécessaire à la poursuite de son activité économique, face à la pression des populations, voire comme une source d’avantage concurrentiel, en réponse aux attentes de la clientèle croisiériste.
Charles-Henri Fredouet, chercheur en gestion portuaire au centre de formation GIP CEI