Prospectives

L’avenir financier des armateurs sous la loupe

Dans un article de mars, Jérôme de Ricqlès, expert maritime chez Upply, analyse la situation financière des compagnies maritimes à l’aune des premières tendances du transport maritime.

L’année 2022 a été pour les compagnies maritimes, celle de toutes les réussites. Elles ont réussi à dégager des bénéfices colossaux à l’image du groupe CMA CGM qui a vu ses bénéfices dépasser ceux du groupe TotalEnergies.

95 Md$ d’Ebit pour 12 compagnies

Et pour confirmer cette tendance, Sea Intelligence publie un article le 30 mars en annonçant que les 12 premières compagnies maritimes ont publié des Ebit (earnings before interest and taxes) cumulés qui atteignent 95 Md$ en 2022. Ce chiffre ne prend pas en compte le groupe CMA CGM qui ne publie pas d’Ebit, ni ONE, ni Cosco, ni PIL ni MSC (dont les comptes ne sont pas rendus publics). Ces chiffres vertigineux ont permis à bon nombre de compagnies maritimes spécialisées dans la conteneurisation de se créer des « trésors de guerre » et des réserves financières en cas de crise.

Un net déclin en 2023

Alors, sans parler d’une crise, la baisse actuelle de la demande pourrait constituer les prémices d’une baisse importante du marché de la conteneurisation pour les prochains mois. C’est globalement l’interrogation de Jérôme de Ricqlès : « Les compagnies de ligne régulière vont enregistrer un net déclin de leurs performances financières en 2023, compte tenu du retournement du marché du transport maritime conteneurisé », indique l’expert de Upply dans un article.

La fin des ingrédients de la croissance

La raison tient en une phrase. « Les ingrédients qui ont permis aux compagnies maritimes de ligne régulière d’engranger des profits colossaux en 2021 et 2022 ont disparu. En ce début 2023, la demande est molle, et les taux de fret en sortie de Chine, notamment, s’effondrent en conséquence. » En résumé, le retournement de situation est criant. D’autant plus que le retour à des augmentations de volumes attendues après le Nouvel an chinois n’a pas eu lieu.

Pas de récession pour les cinq premiers

Alors que va-t-il advenir des compagnies maritimes ? La capacité de résistance des compagnies maritimes ne sera pas la même. Dans son analyse, Jérôme de Ricqlès estime que les cinq premiers armements mondiaux « devraient rester en territoire légèrement positif en 2023. Pour les autres, la lutte sera difficile. » Il classe ces armateurs en quatre catégories.

L’intégration verticale comme amortisseur

La première catégorie comprend les compagnies les mieux armées. Il s’agit principalement des opérateurs qui ont diversifié leurs activités avec une intégration verticale, à l’image de Mærsk, du groupe CMA CGM et de Cosco qui ont acquis des sociétés logistiques. Cette diversification pourra jouer « un rôle d’amortisseur dans le déclin des résultats d’exploitation. » De plus, ces groupes de taille mondiale disposent d’une capacité à se tourner rapidement vers des marchés plus porteurs.

La création d’un ONE taïwanais ?

La seconde catégorie intègre les compagnies maritimes les plus exposées. Pour l’expert d’Upply, les trois opérateurs taïwanais (Evergreen, Yang Ming et Wan Hai) pourraient souffrir dans les prochains mois. La tentation de créer une alliance du même type que ONE pour Taïwan n’est pas à exclure, imagine Jérôme de Ricqlès. Aussi, dans cette catégorie se retrouve HMM (Hyundai Merchant Marine). Un classement tiré de la croissance rapide de la capacité de la flotte qui peut faire craindre des tentatives de commercialisation à des taux de fret plus bas que le marché. Enfin, se situe dans cette catégorie l’armement israélien ZIM, dirigé depuis 2014 par des financiers qui aura plus de mal à se repositionner en 2023 « car le groupe manque d’options de jeu dans un marché où la demande se fait rare. »

Hapag Lloyd : entre DB Schenker et l’appétit chinois

Parallèlement à ces deux catégories, deux compagnies constituent des cas à part. La première est Hapag Lloyd dont les acquisitions dans des terminaux portuaires et la diversification vers les marchés africains dénote avec cette intégration horizontale à contre-pied de ses concurrents. Les hypothèses de voir Klaus-Michael Kühne reprendre DB Schenker interroge. « Une chose est sûre : dans un contexte marqué par des appétits chinois non démentis en Europe, et un lien sino-germanique singulier dans le concert européen, le positionnement futur de ces trois grands groupes interpelle », analyse Jérôme de Ricqlès.

MSC, le coureur solitaire diversifié

La dernière catégorie se compose d’un seul armateur, MSC. L’annonce de la fin prochaine de l’alliance 2M démontre le choix du groupe suisse de faire la course en tête en solitaire. À Genève, les sirènes d’acquisition de groupes logistiques ont été limitée à la création de MSC Air Cargo et bien entendu la reprise de Bolloré Africa Logistics. MSC dispose d’atouts comme une diversification entamée depuis plusieurs années sur le roulier et le ferry. D’autre part, le pôle croisière connaît depuis la fin de la pandémie une nouvelle vigueur. Sa force, selon l’expert de Upply, est de savoir « faire jouer les synergies de groupe de façon très agile ».