Juridique et social

Le point de vue juridique sur la fin des consortia

La décision de la Commission européenne de mettre un terme au règlement d’exemption pour les consortia suscite des réflexions. Nous reprenons, ci-dessous, les commentaires du professeur Philippe Corruble.

Le 10 octobre, la Commission européenne annonce la fin du règlement d’exemption pour les consortia. Depuis la mise en place de ce dispositif, les accords entre armateurs sur le partage de capacité est autorisé. Pour certains, ce règlement d’exemption aux règles de la concurrence, fausse le jeu des lignes maritimes régulières.

Des parts de marché de 30%

Dans ce contexte, Philippe Corruble nous apporte sa vision de juriste. Professeur en droit européen des activités maritimes et portuaires à l’EM Normandie, il revient sur cette annonce. Il rappelle que « les compagnies maritimes ne bénéficieront plus de la protection d’un règlement spécifique au secteur. Il les mettait à l’abri d’enquêtes de concurrence dès lors que leur part de marché (avec les autres membres de leur consortium) n’excédait pas 30% sur une ligne maritime. »

Revenir dans le droit commun

Face à ce nouvel état de droit,  » ces compagnies pourront dorénavant faire l’objet d’enquêtes susceptibles, en cas d’infraction, d’entraîner des amendes élevées », souligne le professeur de droit de l’EM Normandie. Alors, cette décision « aura des effets importants sur les entreprises du secteur. » En effet, pour Philippe Corruble, les armements tombent aujourd’hui dans le droit commun. Ils appliquent les règles de concurrence du traité européen. Cela concerne notamment l’interdiction des ententes anticoncurrentielles du règlement d’exemption applicable aux accords de coopération horizontale (entre entreprises concurrentes tous secteurs confondus) avec les lignes directrices associées.

L’inélasticité de la demande

Alors, pour être plus concret, « le caractère automatique de l’exemption dont ont bénéficié les armateurs n’existera plus. La Commission considère que l’inélasticité de la demande de transport maritime et l’élasticité limitée de l’offre de transport maritime ne permet pas de faire bénéficier les chargeurs des réductions de coûts ou autres efficiences. » Le régime général va s’appliquer avec le règlement sur les accords de spécialisation. Il contient un seuil à 20%, au lieu de 30%. « Tel ne sera plus le cas. »

Renverser la charge de la preuve

Et le professeur de droit de préciser que « cela ne signifie pas que les consortia deviennent illégaux. (…) Simplement, leur validité n’est plus systématique, et encore moins de droit. Il reviendra à chaque compagnie maritime d’être en mesure d’apporter à tout moment et notamment en cas d’enquête, la démonstration que l’accord de coopération en question n’est pas anticoncurrentiel. » Ainsi, la charge de la preuve est inversée.

L’autoévaluation s’impose

« Or, cette preuve est complexe. Lourde, même. L’autoévaluation en amont et en cours d’exécution des accords s’impose à chacun. Cela devient donc plus compliqué pour les compagnies maritimes exploitant un service conteneurisé. Ainsi, le risque d’amendes très élevées s’accroît. » Et la décision de la Commission européenne intervient dans un contexte de marché faible. Alors, s’interroge Philippe Corruble, pourquoi une telle décision de la part de la commission européenne ?

L’Allemagne contre la prolongation

Pour comprendre la décision de la Commission, Philippe Corruble rappelle qu’en Allemagne, le Bundes Kartell Amt, autorité nationale de la concurrence, a pris position contre la prolongation. Une position que le Royaume-Uni ne partage pas. « Il joue la carte d’un plus régime accommodant, sans doute de façon quelque peu intéressée. » Quant aux États-Unis, ils sont « très remontés contre les grandes compagnies maritimes et en particulier contre les pratiques de surestarie appliquées pendant le Covid ». Mais surtout, Washington s’insurge à propos de la gestion des capacités, autorisée jusqu’ici par le règlement européen. Des enquêtes sont en cours outre Atlantique. L’étroite coopération entre autorités rend donc possible voire probable des enquêtes puis des sanctions du côté de l’Union Européenne.

Les Alliances, un système surréaliste

Enfin, l’existence d’alliances mondiales – jamais directement évoquées dans le règlement existant – et dépassant le seuil des 30 % sur certaines lignes clés est-ouest a rendu quelque peu  » surréaliste  » un règlement visant les seuls consortia. En effet, dans la mesure la comparaison entre un consortium sur une seule ligne et une alliance mondiale toutes lignes incluses paraît compliquée. Cette dernière est potentiellement bien plus anticoncurrentielle. « Mais, précisément, on laissait faire… »