Logistique automobile : quand les constructeurs chinois s’imaginent armateurs
Selon des données de Veson Nautical, les constructeurs automobiles chinois commandent des navires pour exporter leur production. Entre surcapacité et sous-capacité, le marché du roulier est à la croisée des chemins.
Dans un souci d’assurer la logistique de leurs exportations, les constructeurs automobiles chinois se lancent dans le métier d’armateur. Ainsi, selon Veson Nautical, les constructeurs automobiles chinois commandent des navires rouliers auprès des chantiers nationaux. Ainsi, la Chine deviendra la quatrième nation dans cette filière.
Les Japonais dominent le marché
Aujourd’hui, la flotte de navires rouliers est entre les mains des Japonais, qui possèdent 283 navires, des Norvégiens avec 102 navires et des Coréens qui en disposent de 72. Les constructeurs chinois ont passé commande de 47 navires ces derniers mois. Il s’agit principalement de SAIC, Chery Automobile et BYD. De plus, indique une dépêche de Reuters, Cosco Shipping, qui dispose déjà de navires rouliers et China Merchant alimentent ce marché.
La Chine à 8,7% du marché du roulier pour demain
Alors, « avec la réception de ces navires, la flotte contrôlée par des intérêts chinois passe de 2,4% à 8,7% de la flotte mondiale de navires rouliers », indique Andrea de Luca, analyste chez Veson. De plus, continue l’analyste de Veson nautical, l’entrée en flotte de ces rouliers va créer de nouvelles routes maritimes, spécifiquement dédiées aux constructeurs chinois. »
Vendre plus cher à l’export que sur le marché national
Ce virage logistique des constructeurs chinois apparaît dans un marché en pleine révolution. D’une part, les pays tentent de diminuer l’impact environnemental du parc automobile. Ils incitent donc les consommateurs à se tourner vers des voitures électriques ou hybrides. Pour les entreprises chinoises, la vente de véhicules sur les marchés européens et américains permet de vendre plus cher leur production que sur leur territoire national. D’autre part, le marché du roulier souffre, sur certaines lignes, d’une sous-capacité.
Entre 4,9 millions et 5,2 millions de véhicules chinois exportés
Alors, pour y faire face, le constructeur BYD a entamé le virage. L’arrivée le 24 février, du premier navire du constructeur chinois à Bremerhaven a fait grand bruit. Et BYD ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. En 2023, il a exporté 240 000 voitures, soit 8% de ses ventes. Selon ses prévisions, BYD prévoit l’exportation de 400 000 automobiles en 2024. Les constructeurs chinois intensifient leur présence à l’export. En effet, selon la CAAM (China Association of Automobile Manufacturer), 4,9 millions de voitures construites en Chine ont pris la route de l’export, rappelle une étude d’ECG. Un chiffre que l’administration des douanes chinoises (China General Administration of Customs) établi à 5,3 millions d’unités. Des exportations qui concernent à hauteur de 76,2% des voitures thermiques contre 23,7% pour les voitures électriques. Cette part des véhicules électriques est en constante augmentation au cours des dernières années.
L’aubaine pour les constructeurs implantés en Chine
Outre les constructeurs chinois, les sociétés occidentales implantées dans l’Empire du milieu profitent de ce boom. Ainsi, Tesla et Volkswagen augmentent leur production dans leurs usines chinoises pour exporter vers l’Europe et l’Amérique du Nord. Face à ce phénomène, les États-Unis et l’Union européenne s’inquiètent pour leur production. Déjà, l’UE ouvre une enquête pour déterminer si la Chine subventionne la fabrication de véhicules électriques.
Une sous-capacité depuis deux ans
Ce virage vers le métier d’armateur des constructeurs automobile chinois tient aussi aux taux d’affrètement des navires rouliers. En effet, selon Clarkson, les taux d’un navire roulier de 6500 voitures atteint 115 000$/jour en fin d’année 2023. Un coût exorbitant puisqu’il est sept fois plus élevé qu’en 2019, souligne la dépêche de Reuters. Cette tendance s’explique par un manque de navires. « Au cours des deux dernières années, à savoir depuis la croissance des exportations chinoises, nous constatons un manque de navires rouliers », nous confie Mike Sturgeon, directeur général d’ECG.
Un équilibre déséquilibré par les perturbations logistiques
Et le directeur général de l’organisation européenne des logisticiens automobiles rappelle que les armateurs commandent massivement auprès des chantiers. « Avec l’arrivée prochaine de ces navires, nous tablons sur un équilibre entre l’offre et la demande pour 2025 », continue Mike Sturgeon. Des prévisions qu’il a fallu rapidement révisées. En effet, les attaques des rebelles Houthis dans le détroit de Bab el Mandeb obligent les compagnies à dérouter les navires par le cap de Bonne-Espérance. Cela ajoute entre huit et dix jours de mer. « Ainsi, les navires qui opèrent entre l’Asie et l’Europe ne réalisent que trois rotations annuelles contre quatre habituellement. La capacité disponible se réduit donc de 25%. » Alors, dans l’hypothèse où les perturbations en mer Rouge persistent, ce manque de capacité pourrait s’étaler jusqu’en 2027, estime ECG.
40 navires de 9000 CEU par an
Alors, face au développement des exportations chinoises et des perturbations logistiques, le calcul de la capacité doit être revu. En prenant en compte quatre rotations par an d’un navire avec 25 000 véhicules par an, « il apparaît qu’il serait nécessaire d’ajouter 40 navires de 9000 CEU (Car Equivalent Unit) chaque année pour alimenter cette croissance », continue Mike Sturgeon. Or, si les constructeurs chinois se tournent vers la logistique maritime, les armements rouliers commandent aussi. Ainsi, le marché du roulier vit une époque de transition et surfe sur une vague dangereuse entre sous capacité et surcapacité.