Mer Rouge : un an après, la crise continue
Le 19 novembre célèbre un triste anniversaire : la prise du Galaxy Leader par les rebelles Houthis. Un an après, les attaques contre les navires marchands demeurent. Deux études éclairent sur la situation du canal de Suez. L’une angle l’analyse d’un point de vue militaire, l’autre s’attache aux conséquences économiques.
C’était le 19 novembre 2023. Des rebelles Houthis montent à bord du navire roulier Galaxy Leader. Ils saisissent le navire et l’emmènent dans les eaux yéménites. Cette prise de navire se veut une réponse aux actions d’Israël contre la bande de Gaza. Depuis ce jour, les responsables des Houthis n’ont eu de cesse de prévenir qu’ils attaqueraient tous les navires liés directement ou indirectement à Israël. Des menaces qui se répercutent sur le transit du canal de Suez.
Le déroutement par le cap de Bonne-Espérance
Dans ce contexte géopolitique tendu, les armateurs ont trouvé des routes alternatives en empruntant celle passant par le cap de Bonne-Espérance. Au début de la crise, les navires ont affiché des retards importants en raison du rallongement de la route entre l’Europe et l’Asie. Depuis lors, les armateurs ont aligné plus de navires pour tenter de conserver, tant bien que mal, la régularité hebdomadaire des services conteneurisés.
4,9% des navires visés qui transitent par Suez
Dans une étude publiée par la revue CTC Sentinel, Michael Knights revient sur une année de ce conflit sous l’angle militaire. Il rappelle que de février à août, 852 navires empruntent le détroit de Bab el Mandeb chaque mois en moyenne. « Au cours du mois de juin, celui qui recense le plus d’attaques sur cette période, les Houthis ont visé 4,9% des navires en transit. Cela signifie que 95,1% des navires qui ont emprunté cette route l’ont fait sans être visé. » Alors, pour expliquer le ciblage, l’auteur revient sur les moyens. L’information sur la propriété du navire et sa gestion sont en libre accès sur le web, rappelle l’auteur.
Le ciblage aléatoire des Houthis
La présence militaire des forces occidentales n’a pas altéré la volonté des Houthis. Les rebelles du Yémen ont continué leurs attaques contre les navires. Certes, leur ciblage demeure aléatoire. En effet, les missiles ont pu toucher des navires de pays « amis » comme un pétrolier russe voire un navire iranien. Selon les auteurs, « les Houthis peuvent désormais exploiter de nouvelles opportunités en coopérant avec d’autres acteurs de l’axe de la résistance en Irak ainsi qu’avec la Russie. Ils pourraient proposer le Yémen comme une plateforme à partir de laquelle l’Iran pourrait déployer des armes de pointe contre Israël et l’Occident sans s’exposer à des représailles directes. » Dans ces conditions, les méfaits des Houthis ne devrait pas s’arrêter de sitôt.
Les routes alternatives
Dans une étude publiée par l’ITF en novembre, Olaf Merk revient sur les conséquences de cette crise. En premier lieu, il rappelle que face à cette situation des armements comme Hapag Lloyd ont tenté « d’éviter » le détroit de Bab el Mandeb en empruntant une route terrestre. Les conteneurs des navires sont déchargés dans le sud de l’Arabie Saoudite pour être ensuite acheminé vers les ports du nord du pays. Une alternative qui permet de ne pas emprunter le détroit tant redouté. Une autre solution serait de renforcer le corridor Imec (India Middle East Corridor). Il prévoit d’emprunter le réseau ferré depuis les ports des Émirats Arabes Unis pour rejoindre ensuite la Jordanie et Israël. Une solution théorique. Le réseau ferré vers la Jordanie n’est pas opérationnel sur toute la ligne.
Une crise qui touche les marins
Ainsi, même avec des solutions alternatives, la crise en mer Rouge impacte le monde maritime. En premier lieu, sur le court terme, cette crise touche directement les marins. Les attaques ont tué trois marins lorsqu’un missile houthi a touché le True Confidence. Toujours à court terme, cette crise signifie un rallongement du temps de transport pour les navires assurant la liaison Asie-Europe. Il s’allonge de 10 jours en moyenne. Alors, les retards s’accumulent dans les arrivées de navire. Les schedules sont perturbés. Alors pour tenter de retrouver une métronomisation des services, les armateurs déploient une plus grande flotte sur les lignes Asie-Europe. Un système de vase communicant avec les services transpacifiques s’opère. En effet, selon Olaf Merk une partie des navires opérant entre l’Asie et l’Amérique du Nord sont transférés sur la route Asie-Europe. L’objectif est de combler le déroutement tout en conservant une desserte hebdomadaire. « La capacité prévue pour le premier trimestre 2024 sur les routes Asie-Europe est supérieure de 5 % à celle du premier trimestre 2023, et elle est inférieure de 16 % sur les routes Asie-Amérique », indique l’auteur.
Un surcoût plus faible par Suez
Cette crise se répercute directement sur les coûts logistiques. Les compagnies maritimes voient leurs coûts augmenter. Ainsi, les coûts pour le carburant, pour l’affrètement des navires et des conteneurs, pour les assurances et pour les gardes armés à bord parfois s’additionnent. Du côté des économies, le déroutement par le sud de l’Afrique permet d’économiser les coûts de transit par le canal de Suez. Et Olaf Merk estime que le coût supplémentaire d’un porte-conteneur de 12500 EVP chargé à 80% représente 272$/40’ en empruntant la route par le sud de l’Afrique, soit 1,7 M$ pour le navire. Le même navire utilisant le canal de Suez aura un coût additionnel de 1M$, soit 160$/40’.
Le transfert de navires du Transpacifique aux lignes Asie-Europe
Du côté des chargeurs, cette crise a un impact sur les coûts de transport. Les taux de fret ont augmenté de 130% entre novembre 2023 et mars 2024, selon les chiffres publiés par le consultant britannique Drewry. Cependant, cette hausse n’a pas atteint les niveaux des taux de fret pendant la pandémie. Et Olaf Merck remarque que cette hausse n’est pas propre aux lignes Asie-Europe. Le transfert d’une partie de la capacité du transpacifique vers les lignes Europe-Asie réduit l’offre et pèse sur les taux de fret de Chine vers l’Amérique du Nord. Des hausses auxquelles il faut ajouter les surcharges qu’imposent les armateurs. Les TDS (Transit Disruption Surcharges) s’évaluent, selon les armements, entre 200$ à 400$ par EVP pour les conteneurs en provenance d’Asie.
Un manque de transparence
Ces différents éléments de coûts ne paraissent pas transparents, continue le rapport de l’ITF. En reprenant les chiffres des surcoûts en déroutant un navire, ils s’élèvent à 272$/40’. Or, note le rapport, les hausses des taux de fret entre l’Asie et l’Europe d’une part, et le transpacifique d’autre part s’échelonnent de 1800$ à 4200$ par conteneur. Alors, les surcharges et hausses des taux de fret amènent l’auteur à rappeler que « la tarification est devenue de plus en plus opaque et difficile à prévoir pour les chargeurs et les prestataires de services logistiques. » Des coûts que le consommateur final supporte au travers d’une inflation des prix.
L’impact pour les États
Aussi, cette crise en mer Rouge impacte financièrement les États. D’une part, l’engagement de forces navales américaines, britanniques et européennes sur le terrain représente parfois des budgets conséquents. Pour faire un parallèle avec les opérations engagées lors des opérations contre la piraterie somalienne dans les années 2010, le montant annuel de ces opérations militaires représente environ 2Md$ par an. D’autre part, l’Égypte a perdu les revenus qu’elle tire du passage des navires par le canal de Suez. Des pertes colossales qui oblige le pays à revoir sa copie budgétaire.
L’effet environnemental
Enfin, l’impact de cette crise peut aussi s’analyser sur un plan environnemental. En effet, le déroutement par le cap de Bonne-Espérance des navires signifie une plus grande consommation de carburant. « En maintenant la vitesse des navires telle qu’elle était avant la crise, le déroutement par le sud de l’Afrique augmente de 33% la consommation de carburant et, par voie de conséquence, des émissions de gaz à effet de serre (GES). » De plus, toute augmentation de vitesse se répercute. Ainsi, pour chaque nœud supplémentaire de la vitesse moyenne, ce sont 2,2% d’émissions de GES supplémentaires.
Réguler les surcharges et faire payer les armements
Alors, l’ITF propose des solutions entre les États pour gérer des crises de ce type. Dans ses recommandations, l’organisation demande une coopération entre les autorités de la concurrence des principaux États pour limiter et encadrer les surcharges. L’objectif est de disposer d’une plus grande transparence dans les taux de fret. De plus, elle rappelle que les compagnies maritimes bénéficient de nombreux avantages fiscaux avec la taxe au tonnage, notamment. Ainsi, les opérations militaires d’aides à la liberté de navigation doivent être financées en partie par les intéressées.