Upply : les perspectives pour le second semestre de Jérôme de Ricqlès
Les perspectives du marché de la conteneurisation dépendent en grande partie de la situation en mer Rouge, estime Jérôme de Ricqlès dans son analyse semestrielle. Les armateurs renouent avec les bénéfices et absorbent une surcapacité endémique mais pour combien de temps encore ?
Depuis la fin de 2023 et les attaques de Houthis contre les navires dans le détroit de Bab el Mandeb, les taux de fret enregistrent des progressions. Si leurs niveaux n’a pas encore atteint ceux de la pandémie, ils demeurent inquiétants. Or, cette bulle reste à la merci d’une volonté politique de régler la crise en mer Rouge, indique Jérôme de Ricqlès, expert maritime chez Upply.
Le déroutement profite aux armateurs
Dans son analyse de marché, Jérôme de Ricqlès reprend les trois scénarios établis en début d’année pour analyser leur évolution. Ainsi, le premier, qui s’attache à un retour par les routes traditionnelles évitant les canaux de Panama et de Suez, « s’est largement concrétisé ». Seuls quelques navires de CMA CGM et de Mærsk, protégés par les marines militaires européennes et américaines, s’aventurent dans les eaux de le mer Rouge. Le déroutement presque généralisé des navires permet aux compagnies maritimes de voir leurs chiffres financiers s’améliorer. Pour mémoire, au début de l’année, les armateurs s’inquiétaient de la situation en raison de taux de fret qui couvrent à peine les coûts d’exploitation.
Des taux de fret qui bénéficient d’une demande positive
Ainsi, note Jérôme de Ricqlès, l’évolution positive des taux de fret se traduit par des améliorations des comptes pour plusieurs armements. Des taux qui progressent par le rallongement des voyages mais aussi par une progression contenue des volumes. « Les bonnes surprises dans ce domaine viennent de la zone indo-pacifique, alors que les BRICS deviennent dans une certaine mesure un nouveau moteur de la conteneurisation. » Cependant, cette « rente revêt un caractère de bulle spéculative pour plusieurs raisons. »
Les chargeurs réfléchissent au nearshoring
En effet, continue l’expert de Upply, la reconstitution des stocks en Europe et aux États-Unis reste une réalité. Cependant, l’ampleur du mouvement est modérée. « Nous estimons qu’il est abusif de parler de ‘peak season‘, surtout si l’on garde à l’esprit que la perspective de nouvelles hausses de droits de douane a pu conduire à anticiper les achats, ajoutant un facteur de tension supplémentaire sur le marché. » Quant à la demande européenne, elle reste « poussive ». Enfin, la géopolitique incite de plus en plus au nearshoring. Les chargeurs européens sont échaudés avec la pandémie et maintenant la crise de Suez.
Le déroutement absorbe la surcapacité
Du côté de l’offre, plusieurs éléments de vulnérabilité demeurent. Le déroutement par le sud de l’Afrique a permis d’absorber provisoirement la surcapacité. « Mais par rapport à la recomposition du marché actuellement à l’œuvre, nous estimons que les méga porte-conteneurs qui arrivent sur le marché sont inadaptés. » De plus, le déroutement signifie des émissions de CO2 plus importantes que par la route de Suez. Une hausse que Jérôme de Ricqlès estime entre 45% et 65%.
Un retournement de marché par l’éradication de la menace houthie
Il estime que le retournement de marché pourrait intervenir par « l’éradication de la menace houthie, qui permettrait aux navires de retrouver massivement le chemin du canal de Suez ». Si l’Europe souffre de la situation, elle n’est pas la seule. La Chine et l’Inde ont besoin de la sécurité des routes de navigation. Pour l’expert maritime, un engagement de l’ONU avec une coalition internationale reste peu envisageable. « La résolution du conflit semble donc davantage reposer sur des pressions diplomatiques, et la Chine a déjà fait entendre sa voix. En attendant, la meilleure option pourrait consister à renforcer l’efficacité de la protection des navires pour permettre de rebasculer les trafics de façon sécurisée via le canal de Suez. »
MSC pourrait reprendre l’initiative
Le second scénario envisage une discipline des armateurs en adaptant des stratégies identiques sans que cela ne soit des ententes. La menace houthie a concrétisé en partie cette discipline entre armateurs. « Elle produit des effets significatifs sur les taux de fret, même si l’on est encore très éloigné des prix atteints durant la période post-Covid. » Cependant, Jérôme de Ricqlès ne perd pas de vue la position de MSC. L’armement italo-suisse « fait et défait le marché ». Alors, « c’est de ce côté qu’il faudra regarder en priorité si la digue de la “carrier discipline” venait à se rompre au deuxième semestre. » Il considère que si la crise en mer Rouge connaît une issue favorable, l’armement pourrait reprendre l’initiative et orienter le marché.
Se familiariser avec l’économie de guerre
Le dernier scénario consacre un embrasement géopolitique. D’une part, le conflit en Ukraine ne se dirige pas vers une résolution. Aucune solution court terme ne se dessine malgré les réunions pour trouver une issue. Le conflit israélo-palestinien s’embourbe. « Les menaces d’embrasement des conflits sont donc protéiformes et multiples, d’où une certaine préparation des esprits en matière d’éléments de langage sur ce qu’est une “économie de guerre” et ce que cela signifie pour le transport maritime conteneurisé. » Le principe de la liberté de navigation, essentiel aux économies reposant sur les exportations, est mis à mal. Néanmoins, note Jérôme de Ricqlès, il a fallu attendre sept mois avant que l’OMI adopte une résolution sur le conflit en mer Rouge. « Souhaitons que cette voix porte et que d’autres instances internationales donnent de l’écho à cet appel », conclu l’expert.