Ports

Amérique du Sud : les performances des ports divergent

Dans un article publié sur Linkedin, le professeur Ricardo J. Sanchez analyse les performances des ports conteneurisés en Amérique du Sud au cours des dernières années. Le développement des ports péruviens interroge sur la gouvernance des investissements.

Entre 2019 et début 2025, le système maritime et portuaire mondial a subi une série de transformations profondes et perturbatrices, indique Ricardo J. Sanchez. Depuis la pandémie de COVID-19, la guerre entre la Russie et l’Ukraine, les crises climatiques aux nouvelles réglementations environnementales et, plus récemment, les mesures prises par les États-Unis ont redéfini le commerce international. Dans ce contexte la logique des opérations maritimes et portuaires se transforme en Amérique du Sud.

La contraction du trafic conteneurs de certains ports

Les ports de la côte ouest de l’Amérique du Sud ont également été confrontés à des défis importants au cours de cette période en raison de la dynamique mondiale et régionale. Dans ce contexte, les défis ont renforcé leur pertinence stratégique dans un contexte de perturbations commerciales. Par conséquent, le trafic conteneurisé s’est contracté dans certains ports. De plus, certains ports ont concentré le trafic au détriment d’autres. À titre d’exemple, Ricardo J. Sanchez cite le cas du port de Callao. Il représentait 86,4 % du trafic au Pérou ou encore Guayaquil qui pèse 91,4 % en Équateur. Encore, les ports dépendent des décisions des compagnies maritimes. Elles réorganisent les itinéraires et réduisent les escales. Des décisions qui limitent donc la connectivité et la compétitivité de la région.

Une congestion en 2022

En 2022, les ports de la côte ouest de l’Amérique du Sud ont connu une congestion temporaire. Des perturbations qui ont marqué les sites comme Callao, San Antonio et Posorja. Dans le même temps, la concurrence s’est intensifiée, avec des changements d’itinéraires redistribuant l’équilibre régional. Dans ce nouveau cadre, des terminaux ont perdu des liaisons. Le malheur des uns fait le bonheur des autres. Dans ces conditions les principaux opérateurs tels que DP World, APM Terminals, Hutchison et ICTSI ont consolidé leur présence.

Une volatilité des trafics sur les cinq dernières années

L’analyse concerne les années 2019 à 2024. L’élément majeur des trafics dans la région est la volatilité. En effet, après une forte baisse en 2020 (-8,6%) due à la pandémie, il y a eu un rebond en 2021 (+25,7%) tiré par la reprise économique, suivi de contractions modérées en 2022 (-1,4%) et 2023 (-4,1%) en raison de la réorganisation des routes et de la baisse de la demande. En 2024, la tendance redevient positive avec une croissance de 12,1 %. Une hausse tirée par de nouveaux investissements, une stabilité économique et un regain d’intérêt pour les routes transpacifiques. Malgré les fluctuations annuelles, le trafic total est passé de 7,2 MEVP en 2019 à 8,8 MEVP en 2024. Ces données montrent une augmentation de 21,9 %.

Callao confirme sa place de hub

L’analyse par port montre que le port colombien de Buenaventura affiche des performances instables. Pour sa part, Callao s’est distingué par une croissance stable. Depuis 2021, il enregistre une hausse avec un pic en 2024 à 33 %. Il confirme ainsi sa place comme hub dans le Pacifique Sud. Pour sa part, le port équatorien de Guayaquil a repris des volumes après la pandémie. Néanmoins, il a vu ses trafics s’amenuiser en 2024 pour se retrouver à 9% en dessous du niveau de 2019.

Une hausse de 855% à Posorja

Le cas du port équatorien de Posorja devient emblématique. Il enregistre la plus forte progression sur la période. En frôlant la barre du million d’EVP en 2024, il connaît une hausse de 855% depuis 2019. Il se positionne comme le port émergent dans la région. Valparaiso est l’inverse de Posorja. La baisse de 2020 s’est compensée par une hausse les années suivantes et des baisses les années suivantes. Il termine 2024 avec un niveau de trafic inférieur de 16% par rapport à 2019. Le port a souffert de la pandémie mais aussi de la concurrence des ports régionaux et des perturbations logistiques. L’autre grand port chilien, San Antonio, a perdu des trafics en 2022 et 2023 mais a réalisé un fort rebond en 2024. Il consolide sa position au Chili face à ses concurrents.

Le cas de la logistique portuaire au Pérou

Au Pérou, deux ports émergent comme des hubs. En premier lieu, Ricardo J. Sanchez estime que le port de Callao évolue. Avec une part de marché en hausse pour atteindre 26,8% en 2024, le port péruvien tend à s’imposer comme un hub. « Bien qu’il n’ait pas encore atteint les niveaux des hubs traditionnels tels que Panama ou les Caraïbes, cette augmentation reflète une stratégie active visant à attirer des services de connexion et à s’adapter à la reconfiguration des routes mondiales. En outre, en 2024, Callao dépasse le port de Valparaíso. Ainsi, il confirme sa position comme base logistique majeure dans la région. »

Chancay a transformé la logistique du Pérou

De plus, au Pérou, l’inauguration du port de Chancay, exploitée par Cosco, marque une étape importante dans la transformation logistique du pays. En deux mois, la route entre Chancay et Shanghai a réalisé un trafic de plus de 22 000 t. « Et on estime qu’elle atteindra 200 000 conteneurs au cours de sa première année, consolidant Chancay comme centre logistique majeur pour le commerce avec l’Asie. L’axe Callao-Chancay se renforce comme un hub pour le Pacifique sud-américain. »

La nouvelle politique portuaire péruvienne

La position du Pérou dans la logistique sud-américaine s’explique aussi par une nouvelle politique. Les concessions se réalisent actuellement sur des périodes allant jusqu’à 60 ans, contre 30 ans dans les ports des autres pays. Cette décision reflète « une vision à long terme pour attirer les investissements vers des terminaux modernes. » En outre, l’ouverture du cabotage et les efforts de décentralisation marquent également une nouvelle orientation. Aujourd’hui, le port de Callao traite environ 86 % des exportations de conteneurs. Cette part doit se réduire à 50%, indique Ricardo J. Sanchez d’ici 2030-2035. La montée en puissance de sites comme Chancay, Matarani, Paita, Paracas ou San Juan de Marcona viendra absorber une partie de la croissance attendue. En effet, il ne s’agit pas d’une « réduction de Callao, mais plutôt d’une expansion du système portuaire péruvien vers un réseau plus équilibré et plus efficace. »

La nécessité d’améliorer la connectivité terrestre

Si, d’un côté, les installations portuaires s’améliorent, le professeur note qu’il « reste des défis à relever sur la logistique terrestre. » Un sujet qu’il faut prendre « à bras le corps » pour « éviter les externalités négatives ». Pour devenir un hub continental, les deux ports de Callao et Chancay doivent investir dans le terrestre. Ils doivent s’intégrer aux corridors vers le Brésil, l’Argentine, la Bolivie, le Paraguay et l’Uruguay. Pour cela, Ricardo J. Sanchez liste les principaux axes dans lesquels investir :

– La connexion routière et ferroviaire avec la Bolivie et le futur corridor ferroviaire jusqu’au Paraguay, à l’Argentine (au nord) et au sud du Brésil ;

– L’axe ferroviaire Pucallpa-Bahía, qui traverserait le Brésil pour une connexion directe avec l’Atlantique ;

– L’articulation par le biais du cabotage depuis les ports du nord du Chili, comme Arica, Antofagasta ou Iquique, vers le nord du Brésil.

Revoir la gouvernance

En plus de ces investissements, le succès logistique passe aussi par l’harmonisation des politiques commerciales régionales. « Cela signifie réduire les barrières non tarifaires, optimiser les contrôles sanitaires et phytosanitaires et supprimer les obstacles au commerce intrarégional. » La gouvernance est à revoir. Ainsi, Chancay est un investissement privé. Quant à celui de Callao, il se développe par des partenariats publics/privés.

Chancay : un laboratoire pour la région

« Les experts en infrastructures portuaires, tels que les analystes des agences de coopération internationale, ont souligné que, d’une part, les partenariats publics/privés permettent un partage des risques et garantissent un certain degré de contrôle public. Pour leur part, les modèles d’investissement privé direct peuvent accélérer les processus, l’exécution de grands projets et faciliter l’accès aux réseaux logistiques. Dans ce contexte, le cas de Chancay pourrait représenter une nouvelle étape dans l’évolution des politiques d’infrastructure portuaire en Amérique latine. » L’expérience de Chancay s’annonce comme un véritable laboratoire d’innovation institutionnelle en matière de gouvernance des investissements portuaires. Dans le même temps, l’expérience de Callao offre également des perspectives positives pour le développement portuaire. Le débat reste ouvert.