Comité interministériel à la Mer : des orientations plus que des mesures
Le Comité interministériel à la Mer s’est réuni le 26 mai aux Chantiers de l’Atlantique de Saint-Nazaire. Nous reprenons, ci-dessous, l’article de Caroline Britz de Mer et Marine.
Le Comité Interministériel de la Mer (CIMer), qui regroupe tous les ministères ayant un rapport avec l’activité maritime et littorale (sauf celui des Armées) s’est tenu à Saint-Nazaire lundi 26 mai sous la coordination du premier ministre François Bayrou. Peu de règlementation concrète mais des orientations et des plans d’actions : les annonces du Comité Interministériel de la Mer couvrent un large spectre régalien et économique du monde maritime.
Les grandes orientations de la politique gouvernementale
Cette session interministérielle est en réalité pilotée par le secrétariat général de la mer, placé sous l’autorité directe du premier ministre et qui fait le lien entre tous les ministères et directions générales. Plus que des projets de loi et des textes précis, elle donne les grandes orientations de la politique gouvernementale de la mer, quelques éléments plus concrets sur la flotte stratégique, le développement des énergies marines renouvelables (EMR) à La Réunion ou encore de formations maritimes en Guyane et en Polynésie.
Décarbonation : confirmation de l’affectation des fonds issus de FuelEU et de la taxe éolienne
A quelques jours de la conférence des Nations-Unies sur les océans (UNOC) à Nice, la présentation du CIMer qui a été faite à la presse et à laquelle Mer et Marine a assisté a logiquement ouvert, puis insisté, sur les mesures liées à l’environnement, la décarbonation et la lutte contre la pollution. Dans ce contexte, plusieurs mesures ont donc été annoncées, ou plutôt, dans la plupart des cas, confirmées, par le CIMer afin de soutenir la décarbonation du secteur maritime et de la pêche.
Soutenir la décarbonation du secteur maritime
À commencer par la confirmation du fléchage d’une partie des recettes générées par la mise aux enchères des quotas d’émissions, ainsi que les éventuelles pénalités issues du dispositif FuelEU, vers la décarbonation du secteur maritime et portuaire, sans que davantage de détails ne soient donnés pour le moment. Pour mémoire, les recettes issues des sanctions FuelEU Maritime ne sont pas un mécanisme de mise aux enchères comme dans le système d’échange de quotas d’émission (ETS), mais elles sont perçues par les États membres où le navire non conforme a effectué des opérations. Le règlement FuelEU Maritime précise que les États membres doivent s’efforcer de veiller à ce que les recettes générées par les sanctions, ou leur équivalent en valeur financière, soient utilisées pour soutenir la décarbonation du secteur maritime et la transition vers des modes de transport plus durables. L’annonce du CIMer est donc une application du règlement européen.
Une affectation nationale au profit de projets environnementaux
À ce jour, il n’existe pas de clé de répartition européenne stricte comme pour l’ETS, où une partie des recettes est redistribuée entre États membres selon des critères historiques d’émissions (par exemple, 6.1 % pour la France dans le cas de l’ETS). Pour FuelEU Maritime, chaque État membre perçoit les sanctions correspondant aux non-conformités constatées sur son territoire et décide de l’utilisation de ces fonds, dans le respect des objectifs de décarbonation du secteur maritime. Il n’est donc pas prévu de redistribution européenne systématique de ces recettes, mais plutôt une affectation nationale au profit de projets environnementaux et de transition énergétique dans le secteur maritime. Le CIMer annonce que le montant cumulé des recettes ETS et des pénalités FuelEU serait estimé à 90 M€ pour 2026. Une somme qui ne peut être, en effet, qu’une estimation puisque personne ne peut réellement prédire le nombre d’infractions et donc de recettes.
La décarbonation de la flotte de pêche
Le CIMer a confirmé la mesure selon laquelle les retombées de la taxe éolienne serviraient notamment à soutenir la modernisation de la flotte de pêche. Le CIMer a ainsi décidé d’accélérer les travaux de révision de la réglementation européenne concernant les aides d’État et le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMPA). L’objectif est de permettre la mobilisation des retombées financières des parcs éoliens en mer au profit de la décarbonation et de la modernisation de la flotte de pêche. Cette démarche s’inscrit dans le contexte de la révision de la politique commune de la pêche (PCP) et de la programmation du FEAMPA après 2027.
Prolongation et future évolution du suramortissement vert
Enfin, et là encore pour rappel d’une disposition déjà votée, le dispositif de suramortissement vert, qui permet aux entreprises de transport maritime de déduire une partie du coût supplémentaire lié à l’installation d’équipements respectueux de l’environnement, a été prorogé dans la loi de finances 2025. Le CIMer prévoit d’instruire, dans le cadre du projet de loi de finances 2026, une évolution ciblée des taux pour les TPE et PME investissant dans des équipements entièrement décarbonés.
La potentielle affectation de revenus locaux à la protection contre le recul du trait de côte
En ce qui concerne les mesures pour le littoral, le CIMer 2025 a défini plusieurs orientations. Ainsi en ce qui concerne l’adaptation au recul du trait de côte, il a décidé d’examiner les modalités de mobilisation des outils financiers existants, et éventuellement de les adapter dans le cadre du projet de loi de finances, afin de consacrer une partie des revenus générés sur le littoral à l’adaptation au recul du trait de côte. Cette mesure vise à prendre en compte les coûts liés à la protection et à la résilience des espaces littoraux.
La lutte contre les pollutions telluriques et plastiques et un nouveau plan Sargasses
Pour la qualité des eaux côtières, il a été décidé d’élaborer, en 2025, une feuille de route interministérielle pour l’amélioration de la qualité des eaux côtières. L’objectif est de prévenir les pollutions d’origine tellurique et de réduire leur impact sur le milieu marin. En ce qui concerne la question spécifique des déchets plastiques en mer, les travaux de révision de la feuille de route « Zéro déchet plastique en mer 2025 » pour la période 2026-2030 ont été lancés. Pour les Antilles, un troisième plan national de lutte et de gestion des sargasses a été décidé, avec un accent sur la prévention sanitaire, le soutien à la collecte, au stockage et à la valorisation. Ce plan devra être établi avant la fin de l’année 2025.
Un recours encouragé aux drones pour la surveillance des pêches
Et enfin, afin de renforcer la lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN), notamment en Guyane, le CIMer a décidé de simplifier la procédure de destruction par immersion des navires sans pavillon ni propriétaire identifié, sous réserve de mesures de dépollution. L’utilisation de drones et autres moyens d’observation déportés pour constater les infractions en zones économiques exclusives françaises (ZEE) sera encouragée, et une réflexion sera menée sur l’élargissement de leur cadre d’emploi. Un rapport d’exécution de ces mesures sera présenté lors du prochain CIMer.
Formation : des initiatives spécifiques en Guyane et en Polynésie
En ce qui concerne la question de la formation, l’accent a été mis sur les territoires ultramarins, selon les sources gouvernementales, où les besoins en main-d’œuvre qualifiée sont importants et où la pression de la pêche illicite est forte. En Guyane, l’ouverture d’un CAP maritime au lycée agricole de Matiti, effective à la rentrée de septembre 2024, vise ainsi à répondre à un besoin local de reconstruction d’une filière légale de la pêche. La pérennité de cette formation dépend toutefois du maintien des financements et des postes d’enseignants, avec un risque de fermeture anticipée en cas de contraintes budgétaires. En Polynésie française, la création d’une nouvelle formation maritime est prévue à partir de la rentrée 2025, dans le cadre de la feuille de route économie bleue ultramarine à horizon 2030. Cette initiative vise à répondre à la demande locale et à accompagner le renouvellement des générations dans le secteur maritime.
Des études pour le développement de l’éolien en mer à La Réunion
La question des énergies marines renouvelables s’est principalement articulée autour du projet de déploiement de l’éolien en mer à la Réunion, que le Cimer souhaite voir comme un modèle pour les autres territoires d’outre-mer. Une méthodologie a donc été définie et devrait débuter par la consultation de la filière sur la pertinence et les conditions de réalisation d’un projet éolien offshore à La Réunion. Une étude technique de faisabilité pour mieux comprendre les nécessités techniques spécifiques à La Réunion et évaluer la robustesse des technologies envisageables, devrait suivre. Il devrait également y avoir une étude sur l’intégration au système électrique, pour analyser les possibilités d’intégration de l’éolien en mer dans le réseau électrique local et évaluer l’impact sur le mécanisme de péréquation tarifaire.
Flotte stratégique : réservation de pavillon et planification des besoins
En 2022, le gouvernement a souhaité réexaminer la place de la marine marchande française dans la défense et la sécurité nationales. Cette réflexion s’est concrétisée par la mission confiée au député Yannick Chenevard, dont le rapport, remis en juillet 2023, propose des pistes pour renforcer la résilience de la France face aux crises. La Conférence Nationale Maritime (CNM) s’est réunie à trois reprises en 2024 et 2025. Ses travaux ont permis d’élaborer une feuille de route destinée à renforcer la filière maritime française et à adapter les dispositifs existants pour une meilleure réactivité en période de crise.
Mise en place d’une réservation de pavillon français
Dans ce cadre, le CIMer 2025 a validé un plan d’actions issu des travaux de la CNM avec notamment la mise en place d’une réservation de pavillon français pour certains services maritimes stratégiques, afin de garantir la disponibilité de navires nationaux en cas de crise. Une planification sur trois ans pour anticiper les besoins de la flotte stratégique et assurer sa modernisation va être mise en place et de nouvelles modalités de réquisition des navires de commerce et des équipages en temps de crise va être définie. Par ailleurs, une force maritime de complément, issue de la marine marchande et destinée renforcer les capacités opérationnelles de la marine nationale, va être étudiée. Aucun détail concret à ce sujet n’a pu être fourni, pour le moment, par les sources gouvernementales.
Révision de la stratégie nationale de sûreté des espaces maritimes
Toujours dans le domaine régalien, le CIMer a annoncé la révision de la Stratégie Nationale de Sûreté des Espaces Maritimes (SNSEM), prévue pour la fin 2025. Cette révision vise à sécuriser les espaces maritimes tout en soutenant un développement durable. Elle entend intégrer l’articulation entre stratégies terrestres et maritimes, renforcer le partage du renseignement maritime, lutter contre les cybermenaces, gérer les flux de migrants par voie de mer, développer la coopération internationale, notamment pour les territoires ultramarins, et garantir la sûreté des infrastructures offshore.
Enfin, à l’issue du CIMer, ont également été annoncées la mise en place d’une mission parlementaire pour travailler sur l’évolution des régimes de responsabilité civile et pénale applicables aux sauveteurs en mer, ainsi qu’une simplification de la gestion du registre de Wallis-et-Futuna pour promouvoir l’immatriculation de navires sous pavillon français.