La mise à niveau des moyens dans la lutte contre le narcotrafic s’étend au maritime et au portuaire
L’adoption le 4 février d’une proposition de loi par le Sénat pour lutter contre le narcotrafic. Ce texte, qui doit encore faire l’objet d’un vote devant l’Assemblée nationale, aura des implications pour les opérateurs maritimes et portuaires. Nous reprenons, ci-dessous, l’analyse de Maître Charles Morel, avocat au cabinet Charles Morel.
Le 4 février dernier, le Sénat a adopté la proposition de loi « visant à sortir la France du piège du narcotrafic », qui fait suite au rapport rendu par la commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France le 14 mai 2024. Ce texte, désormais soumis à l’Assemblée nationale, prévoit plusieurs mesures majeures. Elles sont destinées à renforcer la capacité d’action des services d’enquête et de l’institution judiciaire contre le narcotrafic. De plus, elles posent des restrictions à l’exercice des droits de la défense, avec cinq réformes principales.
La réorganisation de l’institution judiciaire
La première de ces réformes vise à la réorganisation de l’institution judiciaire. Elle prévoit notamment la création d’un parquet national antistupéfiants (PNAST). Il aura compétence exclusive en matière criminelle et une compétence d’attribution en matière délictuelle. Dans ce cadre, ce nouveau parquet agira en complémentarité avec la juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco) et les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) (article 2). Par ailleurs, l’Office antistupéfiants, créé en janvier 2020, est érigé en véritable chef d’orchestre. Il procédera aux enquêtes judiciaires sur l’ensemble du territoire (article 1er).
De nouveaux outils procéduraux
La deuxième réforme prévoit la mise en place de nouveaux outils procéduraux. Ils sont nombreux et comprennent notamment, l’assujettissement des sociétés de vente ou location de véhicules de luxe aux obligations relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LBC-FT) (article 3). Ensuite, il est désormais offert la possibilité pour les officiers de douane judiciaire, à l’instar des officiers de police judiciaire (OPJ), de procéder à des saisies rapides sur les comptes bancaires, sur autorisation du procureur de la République ou du juge d’instruction (article 3). Encore, le texte créé une procédure d’injonction pour « richesse inexpliquée », en amont de la procédure judiciaire pour obliger les personnes suspectées de trafic de stupéfiants ou de complicité à s’expliquer sur tout écart manifeste entre leurs revenus et leur train de vie (article 4). Enfin, il est prévu la création d’une procédure de gel judiciaire des avoirs des narcotrafiquants, notamment par un mécanisme d’urgence au profit de la France en cas de risque de dissolution ou de transfert des avoirs d’un narcotrafiquant à l’international (article 5).
Le renforcement du dispositif de prévention du narcotrafic
Le texte propose notamment la mise en place à titre expérimental pour une durée de deux ans, d’une technique de renseignement algorithmique pour la détection des menaces liées à la délinquance et à la criminalité organisées. Cette technique serait réservée à la prévention des ingérences étrangères, du terrorisme et des menaces pour la défense nationale (article 8). Outre ces mesures, la proposition de loi prévoit un renforcement de la répression pénale du narcotrafic. Cela passe par l’extension de l’infraction d’association de malfaiteurs. La caractérisation de la participation à cette association s’appliquera à toute personne ayant commis une infraction connexe à une infraction préparée dans ce cadre (article 9). De plus, il est prévu la pénalisation, de l’incitation des mineurs à participer au trafic par la voie numérique (article 10), la création d’une peine complémentaire d’interdiction de vol ou de paraitre dans les aéroports pour une durée de 3 ans au plus sont prévues (article 11).
La facilitation des techniques spéciales d’enquête
Le dernier paquet de mesures prévu par ce texte vise à la facilitation dans l’utilisation des techniques spéciales d’enquête et de procédure pénale. Il s’agit, en premier lieu, de la réforme du statut de « repenti » en étendant la possibilité de le devenir, tout en prévoyant une convention fixant les devoirs du « repenti ». Il sera sanctionné par l’interruption des mesures de protection mises en place par la justice en cas de non-respect de ses devoirs (article 14). En second lieu, le texte envisage le renforcement de la protection accordée aux officiers de police judiciaires (OPJ) affectés dans un service spécifiquement chargé des enquêtes et exposés aux menaces des narcotrafiquants (article 15). Ensuite, il consacre la création d’un « dossier-coffre » pour conserver secrète les techniques spéciales d’enquête jugées les plus sensibles (article 16). Une disposition vivement critiqué par plusieurs avocats pénalistes, car portant frontalement atteinte au principe du contradictoire, pour un motif de sécurité.
Clarification du statut des informateurs
Parmi les autres mesures proposées dans ce texte, l’extension de la notion « d’incitation à la commission d’une infraction » est proposée, offrant davantage de latitude aux OPJ dans l’infiltration, sans pour autant risquer d’être mis en cause en tant que complices (article 17). De plus, il est procédé à une clarification du statut des informateurs et traitants, gage d’une plus grande sécurité juridique. Les informateurs pourront devenir des infiltrés. Cette infiltration sera effectuée sous le contrôle du procureur antistupéfiants (article 19). Enfin, une restriction des nullités opposables, qui ne pourraient être retenues par le juge que lorsqu’elles ne découlent pas d’une négligence ou d’une manœuvre de la personne mise en cause ou de son défenseur (article 20).
Les spécificités dans le domaine maritime et portuaire
Dans le domaine maritime, il est prévu l’extension de la compétence universelle des juridictions françaises au domaine du narcotrafic en haute mer La Marine nationale pourra visiter des navires qui ne battent pas pavillon français quand le navire et soupçonné de narcotrafic et que l’État de son pavillon ne répond pas à une demande d’autorisation d’interception dans un délai raisonnable (article 21). Enfin, s’agissant plus spécifiquement des zones portuaires, concernant la corruption et les intimidations dont peuvent être victimes les agents du service public, il est proposé la mise en place de points de contacts uniques de signalement dans les administrations et services les plus sensibles, et notamment dans les services portuaires et aéroportuaires. Ce système de signalement garantira la stricte confidentialité de l’identité des auteurs de signalements (Article 22).