La propulsion vélique : un intérêt mais avec des limites
Deux conférences se sont déroulées autour de la propulsion vélique. Elle présente un intérêt à la décarbonation du transport maritime.
« Quand tu agis pour la décarbonation n’attends pas des applaudissements de tes parents mais plutôt de tes enfants », a rappelé un intervenant lors de la Semaine internationale du maritime à Londres. Et les solutions de décarbonation du maritime sont multiples. Entre les e-fuel, les bio fuel et la propulsion à la voile, les armateurs ont une palette de choix importante. Est-ce le vent d’automne qui porte l’intérêt de la France pour la propulsion vélique ?
Le vélique un enjeu économique et écologique
Le 25 septembre, Éric Coquerel, alors président de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, a organisé une table ronde sur la décarbonation du transport maritime par la propulsion vélique. Le 29 septembre, c’est au tour du Propeller Club du Havre de s’immiscer dans le débat. Deux journées qui montrent en premier lieu la position de la France dans le vélique. « Cette propulsion devient un véritable enjeu économique et écologique », a rappelé Éric Coquerel. De plus, la France a tous les atouts en main pour « contribuer à l’essor de ce mode de propulsion. »
Relever trois défis
Le vélique peut s’imposer à condition de relever trois défis. Proposer une solution qui fonctionne, offrir un déploiement à grande échelle et offrir une solution plus économique qu’une propulsion carbonée. Emmanuel Schalit, PDG d’Ocean Wings, confirme que le vélique répond à ces trois questions. Cependant, il nuance la place de la propulsion vélique. « L’idée est que la propulsion vélique viendra dans le cadre d’une hybridation de la propulsion. »
L’hybridation pour répondre à des solutions spécifiques
Cette hybridation doit offrir des réponses adaptées aux différents secteurs. « Chaque technique répond à une demande. Nous devons adapter nos solutions techniques à une route et un usage », a précisé Antoine Jarry-Lacombe, directeur du département mobilité de Mer Concept. Alors, se pose la question de la météo. « Nous devons appréhender les choses différemment en apportant de l’intelligence dans la logistique », a continué Sofien Kerkeni, directeur de D-Ice. Et Marc Van Peteghem, architecte naval à VPLP Design de continuer en soulignant que c’est un changement en profondeur de la logistique qu’il faut prévoir.
Le vélique est limité dans la taille des navires
Pour les intervenants de cette conférence à l’Assemblée nationale, la voile est une solution qui ne viendra qu’en complément d’autres modes de propulsion. « Il ne faut pas croire que des porte-conteneurs de 24 000 EVP seront propulsés à la voile demain. Nous pouvons augmenter les solutions véliques mais avec une limite dans la taille des navires », confirme l’architecte naval.
La formation des marins doit s’adapter
Par ailleurs, la propulsion vélique nécessite aussi une formation des marins. L’équipage a besoin d’outils d’aide à la décision pour utiliser la voile à bon escient. Alors, le routage prend toute son importance. Il reste que les écoles de formation de marins, et notamment l’ENSM en France, ne dispense pas de cours spécifiques pour la navigation avec ces systèmes. « Nous sommes disposés à intégrer des modules dans nos formations », a néanmoins indiqué François Lambert, directeur général de l’ENSM. Et il garantit que dans les prochaines années, chaque étudiant se verra dispenser un cours sur le vélique lors de sa formation initiale.
La France en bonne place dans l’innovation pas dans l’industrialisation
Aujourd’hui, la France dispose de nombreux équipementiers et architectes navals parmi les plus performants de la planète. Cependant, lors des appels d’offres, les sociétés françaises ne sont pas retenues. « Nous sommes bien placés dans l’innovation. Nous ne sommes pas en bonne position dans l’industrialisation de nouveaux concepts », a regretté Éric Coquerel. De plus, la filière du vélique n’a pas le même soutien que dans les autres pays européens. En Espagne et en Finlande, par exemple, la propulsion vélique est développée par une société soutenue par le gouvernement.
Le vélique, énergie du passé et moteur de demain
Le contexte règlementaire pousse aussi au recours aux systèmes véliques. Ainsi, après l’ETS (EU Trade System), Fuel-EU et peut-être l’adoption à l’OMI d’une règlementation sur la décarbonation du maritime en octobre, le vélique présente tous les atouts pour gagner en partie la bataille. Une position que Roberto Rivas Hermann, professeur à l’Université de Bodo en Norvège, a développé lors des Journées Maritimes et Logistiques organisées par le Propeller Club du Havre. « Le vent est une énergie du passé et le moteur d’un futur durable. » Et le professeur de rappeler que seulement 6% de la flotte actuelle dispose des capacités à passer d’un carburant à l’autre.
Des chargeurs, investisseurs dans TOWT
Actuellement, une centaine de navires sont équipés de systèmes de propulsion vélique, continue le professeur. Cette solution s’intègre dans une stratégie de décarbonation avec d’autres carburants alternatifs, ont rappelé les intervenants du Propeller Club du Havre. Cependant, le tout voile a déjà ses premières applications avec, entre autres, TOWT. L’armateur dispose de deux navires opérationnels, de deux autres en construction et de deux en option. Pour lancer l’aventure, TOWT a dû trouver des financeurs. « Nous avons commencé par du crowd funding. Nous avons reçu environ 10 M€. Désormais, parmi nos investisseurs se retrouvent des chargeurs. Cela constitue la preuve que la solution intéresse l’industrie », a expliqué Diana Mesa, directrice générale de TOWT.
Canopée : une économie de 30% sur le carburant
Victor Gibon, directeur de Jifmar Guyane, a montré que l’hybridation avec le vélique attire les industriels. Le groupe a construit, avec Zéphyr et Borée, le Canopée. Ce navire doté de quatre voiles rigides assure la logistique des éléments de la fusée Ariane 6. Il collecte les différents éléments en Europe avant de les livrer en Guyane, sur le site de Kourou. « Pour ce projet, nous avons dû inventer les ailes pour les adapter au navire », continue Victor Gibon. Le résultat est à la hauteur des attentes. Le navire dispose d’une capacité d’emport de 1 000 t avec une cale volumineuse pour charger les éléments. Les ailes permettent d’assurer une vitesse de croisière d’environ 11 nœuds. « Nous réalisons une économie de 30% sur le carburant. » Une économie qui ne se répercute pas entièrement au client « pour l’instant », précise le directeur de Jifmar Guyane.
Fécamp mise sur le vélique
D’autres exemples existent à l’instar de TOWT. L’armement assure des escales régulières au port de Fécamp. Pour Alain Bazille, président de l’Association Nationale des Ports Maritimes et Territoriaux (ANPMT), le vélique est une opportunité que des ports secondaires doivent saisir. Il dispose d’un avantage. Les navires de TOWT escalaient régulièrement au Havre. Or, la manutention est assurée par le personnel docker. Les ports territoriaux n’ont pas cette obligation et peuvent donc proposer des tarifs plus avantageux. De plus, les navires de TOWT sont bigués et peuvent donc décharger avec les moyens du bord.
Intégrer le vélique dans les projections de décarbonation
Ces différents avantages amènent la députée de Seine-Maritime, Agnès Firmin Le Bodo, a rappelé que le vélique doit être intégré dans les projections de décarbonation à 2050. « Ce n’est pas la solution unique mais c’est une nouvelle solution. Le mode hybride est l’enjeu. » La question demeure de mettre sur pied des aides pour structurer la filière et la pérenniser. Et la députée de rappeler que le vélique implique un surcoût pour la marchandise. « Le consommateur est-il prêt à payer plus un produit transporté avec un navire propulsé en partie à la voile. Pour anticiper sur l’avenir, nous devons analyser ce qu’il s’est passé sur le bio et bâtir un modèle économique en conséquence. »
Ne pas créer une taxe supplémentaire qui opposerait armateurs traditionnels et la filière
Une autre solution est d’inciter les armateurs à adopter les carburants alternatifs ou la voile par des mesures fiscales incitatives. Les règles actuelles de l’ETS et de Fuel EU peuvent paraître dérisoire face à l’obligation. À titre d’exemple, un armement conteneur a publié dans son rapport annuel pour 2024 que l’ETS lui aurait coûté 30 M€ pour environ 6 MEVP transportés vers l’Europe. Un rapide calcul montre que le surcoût est de 5€ par EVP, soit environ 0,0003€ par kilo. « Il ne faut pas créer une taxe supplémentaire. La méthode qui consiste en la mise en opposition entre les principaux armateurs et cette filière émergente serait une erreur », a conclu Agnès Firmin Le Bodo.