Le rapport du Mica Center pointe une aggravation des menaces maritimes en 2024
L’analyse du Mica Center passe en revue tous les types de menaces, dans l’ensemble des régions du monde. Nous reprenons, ci-dessous, l’article de Caroline Britz de Mer et Marine.
« L’année 2024 est marquée par une aggravation des menaces pesant sur la sécurité maritime mondiale, et par une expansion de la criminalité maritime ». Comme chaque année, le Mica (Maritime international cooperation and awareness) Center, basé à Brest, publie son rapport.
Golfe de Guinée : les incidents sont en baisse
L’année 2024 confirme la tendance à la baisse des incidents dans le golfe de Guinée (-16 % par rapport à 2023), avec cinq cas signalés et deux approches suspectes. Plusieurs attaques notables ont eu lieu, notamment contre des navires marchands et de pêche, souvent accompagnées d’enlèvements d’équipages. La majorité des attaques sont attribuées à un groupe du sud-est du Nigéria.
Diminution des enlèvements de marins
Les brigandages ont chuté de 30% et sont principalement localisés à Luanda/Soyo (Angola), Takoradi (Ghana) et Lagos (Nigéria). De plus, les enlèvements de marins sont en nette diminution par rapport aux années précédentes. Toutefois, de nouvelles formes de criminalité maritime émergent, avec le vol et le raffinage clandestin de pétrole, ainsi que le narcotrafic. La pêche illégale est également en augmentation, notamment au large de la Mauritanie. En ce qui concerne l’immigration clandestine, le rapport fait état d’une multiplication des tentatives de migration par la mer, parfois accompagnées de détournements de navires.
Amérique latine et Caraïbes : le risque du narcotrafic
Dans la région de l’Amérique latine et l’arc caribéen, la criminalité maritime reste stable, avec 124 incidents en un an. La majorité des cas (94 %) concerne des vols, parfois violents (8 %), visant principalement des navires de plaisance (74 %), souvent au mouillage et dans les eaux territoriales (95 %). Après une période de calme, la baie de Campêche (Mexique) connaît une recrudescence des attaques, ciblant cinq navires offshore et deux plateformes entre août et octobre, avec un cas d’extorsion de fonds. En revanche, la situation s’apaise près de Calao (Pérou). Haïti reste sous tension avec quatre cas de kidnappings et attaques armées dans la baie de Port-au-Prince et le port de Lafito.
Le narcotrafic, principal risque de la zone Amérique du Sud
Le principal risque maritime, dans la zone, est lié au narcotrafic, qui touche particulièrement la Colombie, l’Équateur, le Panama et la République dominicaine. Près de 540 tonnes de cocaïne ont été saisies, impliquant 440 vecteurs nautiques. La production de cocaïne, majoritairement colombienne, a explosé, atteignant 2700 tonnes cette année (+440 % en 10 ans). La drogue est acheminée principalement par voie maritime, utilisant divers moyens : navires de commerce, plaisance, croisières, flottilles de pêche et submersibles. Les routes se densifient vers l’Europe, l’Afrique et l’Australie, la demande aux États-Unis étant saturée.
Océan Indien : attaques houthies et résurgence de la piraterie
Pour la zone de l’océan Indien, l’année 2024 a été particulièrement agitée, notamment en raison de la menace houthie en mer Rouge : environ 700 munitions ont été lancées, dont 40 % de missiles balistiques et 56 % de drones aériens. Face à cette situation, l’Union européenne a lancé l’opération Aspides pour sécuriser les routes maritimes, avec 516 navires soutenus et 325 protégés directement par des frégates.
La piraterie s’étend en haute mer
En ce qui concerne la piraterie, elle semble avoir légèrement repris depuis décembre 2023, avec des attaques ciblant notamment le cargo Ruen, arraisonné au large des côtes somaliennes avant d’être libéré par la marine indienne. Bien que la situation reste bien en deçà des niveaux observés entre 2008 et 2013, les incidents sont en augmentation. En 2024, 20 approches suspectes et 22 actes de piraterie ont été signalés. Certaines attaques ont entraîné la prise de contrôle de navires, comme les Lila Norfolk, Abdullah et Basilisk, tous libérés par des actions maritimes internationales. Les attaques se concentrent principalement sur des navires de commerce, mais aussi sur des boutres de pêche étrangers. La piraterie semble maintenant s’étendre à des opérations en haute mer, jusqu’à 600 milles des côtes. La lutte contre les trafics de stupéfiants dans la région est également importante, avec une augmentation des saisies, dont 1,6 tonne de métamphétamines en 2023 et 2024. Les routes de trafic se déplacent vers le sud de l’océan Indien, et des saisies ont été effectuées au large de la Réunion. Un trafic de cannabis vers l’île Maurice est aussi observé.
Asie du Sud-Est : le brigandage toujours présent
En ce qui concerne l’Asie du Sud-Est, la région est marquée par des tensions géopolitiques en mer de Chine et dans le détroit de Taïwan, ainsi que par la persistance de la piraterie et du brigandage, notamment dans le détroit de Singapour. 102 événements de piraterie ont été recensés dans la zone, un chiffre stable par rapport à la moyenne des dix dernières années. Le brigandage reste la menace principale, en particulier dans le détroit de Singapour, où 62% des incidents ont lieu. Le détroit de Malacca est relativement épargné, avec un seul événement enregistré. Les autres zones touchées sont principalement en Indonésie, avec 24% des événements, ainsi qu’aux Philippines (4%) et en Malaisie (2%). La région est également affectée par le trafic de drogue, notamment dans les pays du Pacifique, ainsi que par des activités illicites comme le transbordement d’hydrocarbures en mer par des flottes clandestines et la pêche illégale.
Europe : la « flotte fantôme » et la crise migratoire
Pour la zone Europe, le rapport fait état de la menace représentée par la « dark fleet », ou « flotte fantôme », employée pour contourner les sanctions internationales sur les exportations russes, notamment de pétrole. Actuellement, environ 700 navires y seraient impliqués, dont 591 pétroliers. Les auteurs s’inquiètent des risques en matière de sécurité maritime et environnementale représentés par ces navires souvent âgés et mal entretenus.
La mer Noire sous surveillance
La mer Noire est aussi analysée par le Mica Center. Depuis le début du conflit entre la Russie et l’Ukraine, l’OTAN a émis des avertissements concernant les risques en mer Noire, tels que les mines dérivantes, le brouillage GPS, les cyberattaques et les attaques directes sur les navires transportant des armes. Les mines, principalement au large du littoral ukrainien, ont affecté la sécurité maritime, notamment lorsque certaines mines ont dérivé vers d’autres pays riverains. En réponse, plusieurs opérations de contre-minage ont été menées. La Russie a aussi intensifié ses attaques contre les infrastructures portuaires ukrainiennes, en particulier pendant la saison des récoltes de céréales, endommageant des navires et des installations. Les attaques directes contre des navires de commerce restent limitées, avec un seul navire touché par un missile russe en mer.
Manche: le théâtre d’une crise migratoire
En ce qui concerne la Manche et la mer du Nord, le rapport souligne que cette zone est devenue une frontière de l’Union européenne après le Brexit et qu’elle est le théâtre d’une crise migratoire sans précédent. En 2024, après une baisse en 2023, le nombre de traversées a augmenté, avec une hausse de 50% du nombre de migrants par embarcation, entraînant une augmentation des décès en mer. En novembre 2024, près de 750 opérations de recherche et de sauvetage avaient eu lieu, sauvant 5500 naufragés et suivant près de 40.000 migrants en mer. En parallèle, la Manche est aussi une zone de transit pour le trafic de stupéfiants, principalement en provenance d’Amérique du Sud. Divers types de navires, dont des porte-conteneurs, plaisanciers et navires de pêche, sont utilisés pour transporter la drogue, et des découvertes de « drop off » ont été régulièrement signalées en 2024.
La nouvelle donne stratégique en Atlantique
Le commandement de la Marine nationale pour la zone atlantique (CECLANT) rappelle également que l’océan Atlantique est devenu un espace stratégique de confrontation, avec un déploiement militaire russe significatif, en particulier autour de la mer de Barents et en Atlantique nord. Ce qui se manifeste par des déploiements aériens et navals réguliers, y compris de sous-marins nucléaires en mer de Norvège et dans l’Atlantique nord. En juillet 2024, un sous-marin nucléaire russe, le Kazan, s’est même rendu à Cuba. Face à la dégradation de la situation stratégique, l’OTAN renforce sa posture. La France et d’autres pays européens intensifient leur présence militaire en Atlantique, en mer de Norvège et en mer Baltique.