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Paul-Antoine Martin revient avec « Le temps des pervers »

Après la publication du « Clan des seigneurs », Paul-Antoine Martin publie un nouvel ouvrage aux éditions Max Milo, « Le temps des pervers ». L’auteur a accepté de répondre à nos questions.

Après « Le clan des Seigneurs », consacré au monde portuaire, Paul-Antoine Martin revient avec « Le temps des pervers » qui a aussi lieu dans l’univers portuaire. Il aborde le mal du siècle, le burn-out, et la violence psychologique au travail. Il traite d’un sujet qu’il a bien connu. Avec la force d’analyse et le style vivant qui ont fait son succès, Paul-Antoine Martin témoigne avec un réalisme saisissant de l’effondrement terrible que représente le burn-out.

Des dirigeants brutaux, pervers et sans affects

Il traite de ses causes et de son impact sur la vie de ceux qu’il frappe. Il décrit les méthodes de management et le harcèlement d’une rare violence qu’il a subis pendant de longs mois. Plus largement, il dénonce les dérives totalitaires en cours dans le monde du travail ainsi que l’hypocrisie générale qui y règne, faisant le constat que la société promeut des dirigeants brutaux, pervers et sans affects. Il s’est relevé, tout en conservant des séquelles importantes. Il a accepté de répondre à nos questions. Paul-Antoine Martin s’exprime en son nom.

Ports et Corridors : Après Le Clan des seigneurs vous revenez avec un nouvel ouvrage « Le temps des pervers ». Dans votre premier ouvrage vous décrivez, avec force de détails, la situation dans les ports français. Ce nouvel ouvrage décrit les conditions du burn-out que vous avez vécu. Cependant, cette « maladie » du siècle touche toutes les professions. Selon votre expérience, devons-nous voir une gestion plus « rude » des ports que dans le passé ?

Irresponsabilité et impunité

Paul-Antoine Martin
Paul-Antoine Martin revient avec son ouvrage sur le burn-out.

Paul-Antoine Martin : Ce nouvel ouvrage est la suite du précédent, « Le clan des seigneurs », reconnu comme best-seller. Les termes « clan » et « seigneur » sont désormais souvent utilisés pour parler de ces hommes et de ces femmes semblables à ceux que je décris. L’appartenance à une caste arrogante et toute puissante leur octroie protection, irresponsabilité et impunité avec, en prime, la carrière brillante et les honneurs quelques soient les résultats obtenus. De la même façon, le terme « pervers » commence lui aussi à se répandre pour évoquer ces personnes, que l’on a tous croisées un jour ou l’autre dans l’univers professionnel, dénuées de scrupules, d’affects, et capables du pire pour se protéger ou pour satisfaire un désir. Ces livres sont deux regards croisés sur la corruption morale qui sévit dans la haute fonction publique et désormais ne se cache plus.

La « copinocratie » au pouvoir

Dans « Le clan des seigneurs », je décris cet esprit de corruption au quotidien et son impact désastreux sur un outil industriel majeur pour notre pays, les ports. Dans « Le temps des pervers », je montre comment elle se décline tragiquement dans le management. La corruption morale s’est attaquée à l’un des piliers fondamentaux de notre République, à savoir la méritocratie, socle d’un contrat social solide, pour lui substituer la « copinocratie » laquelle produit inéluctablement la médiocratie. Une fois au pouvoir, la médiocrité s’emploie toujours à se maintenir en s’entourant de médiocres et en agissant avec perversité. C’est une loi universelle.

Les conditions du harcèlement et du burn-out

C’est dans ce contexte que je raconte les conditions du harcèlement délirant et du burn-out dont j’ai été victime. Elles sont effarantes, mais ne sont malheureusement pas exceptionnelles dans le monde du travail d’aujourd’hui. Elles sont même « courantes » de l’avis de mes avocats, « habituelle » même pour se séparer d’un cadre supérieur. Les années précédentes, mon ex-employeur m’avait suggéré par quatre fois de quitter l’établissement. De toute évidence, excellemment noté et avec une exposition médiatique supérieure à la sienne, je le gênais. J’ai donc été écrasé par des accusations infamantes pour m’inciter à démissionner (ce qui m’a effectivement été proposé), puis pour tenter de me licencier pour faute grave (donc sans avoir à verser d’indemnités de licenciement, pensait alors mon ex-employeur).

Licencié pour avoir « nui à la performance du port » et primé pour sa performance…

Le temps des pervers, aux Éditions Max Milo.

J’ai ainsi été accusé de harcèlement moral puis, pour bien s’assurer que je craquerais, et détruire toute valeur à ma parole (mon ex-employeur a d’ailleurs confié autour de lui craindre que je me défende), une dose de harcèlement sexuel a été ajoutée. On ne fait pas mieux pour détruire quelqu’un aujourd’hui. Comme le procédé est éminemment pervers, il s’est gardé d’agir directement et a habilement excité certaines passions tristes parmi quelques salariés en tirant les bonnes ficelles. Cependant, il n’avait pas prévu deux choses. La première fut que des salariés remarquables intervinrent pour me blanchir de ces accusations, et la seconde que la Convention Collective Nationale Unifiée ne privait pas d’indemnités un salarié licencié pour un motif de faute grave. À partir de là, son plan se mit à déraper et il dut agir avec encore plus de la perversité pour arriver à ses fins. Finalement, il m’a licencié pour « avoir nui à la performance du port », ce qui était un comble. Son objectif était atteint : j’étais licencié et détruit. Mais, le plus extraordinaire est que, trois semaines après mon licenciement, probablement pour tenter d’acheter mon silence, j’ai reçu une prime de performance exceptionnelle accompagnée d’un courrier de mon ex-employeur qui me remerciait de mon engagement remarquable… Tout cela se passe de commentaire tellement c’est délirant.

Un management plus médiocre dans les ports

Pour répondre à votre question, je ne dirai pas que l’on observe dans les ports un management plus « rude » que dans le passé, mais plus médiocre, avec toutes les conséquences qui en découlent. Il suffit de regarder dans certains ports comment les membres du directoire sont choisis, ou même comment la présidence et la vice-présidence sont incarnées. La chute de niveau depuis une quinzaine d’années est vertigineuse. L’objectif n’est pas de s’entourer de compétences, mais de personnes soumises, transparentes, voire inutiles ou dont la présence sera recherchée pour faire office de faire-valoir. Là est toute la mécanique de la médiocrité. Une fois que celle-ci est installée, la perversité dans les méthodes n’en est qu’un prolongement.

P&C : La situation que vous avez vécue peut s’apparenter à du Kafka. Quand vous décrivez l’interrogatoire de la commission d’enquête diligentée par votre ex-employeur, nous nageons entre Kafka et Orwell. Il s’agit plus de tortures psychologiques que d’un échange. Avez-vous intenté des actions judiciaires après cet entretien ?

P-A.M : Ce que l’on m’a fait vivre est en effet kafkaïen. On peut parler aussi de « procès de Moscou ». L’objectif était vraisemblablement de me fracasser par la violence et l’absurde pour me détruire et m’acculer au suicide. On appelle cela le « suicide forcé ». C’est une méthode qui laisse peu de trace et qui est difficilement prouvable, laissant son auteur à l’abri de toute poursuite. Bref, du harcèlement poussé à son maximum. Il faut lire la description des faits pour prendre la mesure de ce que peut produire la perversité quand elle sait ne rien risquer et être couverte quoi qu’il arrive. Elle n’a alors aucune limite, ou plutôt si, elle n’en a qu’une et une seule : la destruction définitive de sa cible.

Un traumatisme équivalent à celui vécu par les victimes de viols multiples

Ce que j’ai subi est la volonté assumée et rageuse d’une destruction professionnelle, sociale, familiale, psychologique et physique, habitée par une obsession mortifère. C’est absolument incroyable. Les psychiatres s’accordent pour dire qu’une victime de ce type de harcèlement extrême subit un traumatisme équivalent à celui vécu par une victime de crash aérien, de viols multiples ou, même, celui vécu par un prisonnier politique dans un camp de travail. C’est donc extrêmement violent. Voici donc ce que j’ai vécu au travail, dans un établissement public géré par l’État, labellisé pour l’attention prétendument portée au bien-être des salariés. Mais, nous le savons, et pour le dire de façon triviale, le bien-être au travail, c’est un peu comme la culture et la confiture.

Un label « d’exemplarité managériale »

Dans mon livre, je décris l’étendue de la perversité qui a présidé à mon élimination organisée. Je décris le « raffinement » de la torture psychologique qui m’a conduit à un burn-out sévère et à un stress post-traumatique. Je décris les faux-témoignages, l’écriture de faux, la falsification a posteriori de témoignages me disculpant, et les mensonges soutenus par mon ex-employeur malgré des éléments factuels démontrant le contraire. Je décris comment dans un État qui se réclame « de droit », dans un établissement public piloté par un haut fonctionnaire « ingénieur général » et membre du corps des ponts, qui plus est, paré des meilleurs labels Qualité, Sécurité, et autres, dont celui de l’« exemplarité managériale » au sens de la RSE décerné par l’Afnor, on peut agir ainsi en toute impunité, avec la bienveillance du conseil de surveillance et de la DGITM.

Silence et indifférence

C’est effrayant. Tout cela en dit long, d’une part, sur l’hypocrisie entourant ces labels et, d’autre part, sur la totale impunité dont jouit un membre du corps des ponts. Bien sûr, toutes les personnes qui, de fait, ont couvert cette situation s’engagent la main sur le cœur contre les violences psychosociales et écrivent de belles chartes. J’ai informé chaque niveau hiérarchique de la DGITM (tous, membres du corps des ponts), dont le commissaire du gouvernement présent au conseil de surveillance. J’ai demandé une enquête neutre sur les pratiques que je subissais. En retour, ce ne fut que silence et indifférence.

Promotions et voitures de fonction pour les salariés qui ont aidé l’employeur

Le réseau maçonnique a aussi bien évidemment été mis à contribution. Et, en point d’orgue de l’ensemble, pour remercier les quelques salariés de l’établissement qui ont aidé mon ex-employeur, des promotions et des voitures de fonction leur ont été distribuées. Enfin, pour terminer, mon ex-employeur s’est attaché les conseils d’un avocat pénaliste dès le début et tout au long de son action. Aussi, via différents procédés, il s’est protégé de tout recours de ma part contre lui au pénal. Du travail d’orfèvre de la part d’un « manager exemplaire ». Comment, dans un état dit « de droit » cela est-il possible de la part de membres de la haute fonction publique ?

P&C : Vous qualifiez le directeur du port de « criminel » par certains égards. Ne pensez-vous pas diffamer par ce qualificatif ?

P-A.M : Comment qualifier autrement de tels agissements ? C’est une vraie question. Les très nombreux messages que je reçois de lecteurs qui ont vécu des situations semblables, ou qui ont connu quelqu’un en vivre une, réagissent aussi à ce qualificatif et me disent qu’il n’y en a pas d’autre à poser. J’ai été contacté par des psychologues, des sociologues, des psychiatres, des philosophes, et tous confirment cette façon de qualifier de tels agissements.

Bafouer la dignité d’autrui constitue un crime

Revenons aux faits. Quand vous poussez méticuleusement un collaborateur au suicide, quand vous le détruisez en lui provoquant un burn-out de grande intensité, quand vous occasionnez en lui un trauma équivalent à celui d’un prisonnier de camp politique ou d’une victime de viols, quel autre terme choisir ? Par définition, bafouer la dignité d’autrui constitue un crime. C’est le fondement des droits de l’homme. Ce que l’on m’a fait vivre dans un établissement public géré par l’État est une atteinte caractérisée à la dignité humaine. On est bien loin des belles chartes RSE… Et je sais que je ne suis pas le seul à avoir subi une telle volonté de destruction dans un silence institutionnel assourdissant.

P&C : Quelle a été l’attitude des syndicats du port : CGT, FO, CFDT ?

P-A.M : Pour ce qui est de la CGT, elle est restée neutre, estimant probablement n’avoir pas à intervenir compte tenu de mon statut cadre. Concernant l’autre syndicat, je raconte dans « Le clan des seigneurs » comment il avait été créé. Une très probable fraternité maçonnique a permis à mon ex-employeur de l’avoir à ses côtés et d’agir en synergie. L’absence de déontologie et d’éthique est contagieuse. Comme me disait un ancien DG de port « On peut acheter n’importe qui. Il suffit de connaître son prix ».

Une chape de plomb est tombée

N’y a-t-il pas d’autres Grands ports maritimes dans lesquels des faits très graves de harcèlement ont eu lieu ? Et que s’est-il passé? Rien. Une chape de plomb est tombée, le ou les fautifs ont été protégés ou exfiltrées, et les victimes restent impactées à vie. On peut aussi évoquer la médecine du travail qui a refusé de m’écouter quand elle a compris de qui je parlais quand je suis allé lui faire part de ce que je vivais. Ou encore de l’Afnor qui, confrontée à la contradiction flagrante entre le label de « manager exemplaire » et les faits que j’exposais (ainsi que les premières décisions de justice qui arrivaient), m’a répondu qu’elle n’était pas « un service de police » et donc qu’elle n’avait aucune raison de s’interroger quant à la sincérité d’un manager lors d’un audit RSE ; aussi maintenait-elle le niveau « management exemplaire ». Pour mémoire, mon interlocuteur, le directeur de la certification de l’Afnor, est aussi membre du corps des ponts

La valeur de ces labels délivrés par des organismes comme l’Afnor

Encore une fois, c’est effarant mais c’est la réalité. Cela jette un éclairage très cru sur la valeur de ces labels ou sur la façon très simple de les pervertir. Certains ont compris qu’ils pouvaient les utiliser pour blanchir un comportement toxique, l’Afnor n’étant visiblement pas capable de dégrader un niveau RSE, et ce d’autant moins quand il s’agit d’une activité gérée par l’État qui l’a investie d’une mission d’utilité publique et qui nomme à sa tête des hauts fonctionnaires.

Un comportement grégaire

La perversité crée un écosystème pervers qui la sert en retour et lui permet de devenir normale, puis normative. Des membres du corps des ponts que je ne connaissais pas se sont ainsi joints au concert de calomnies, justifiant ainsi leur ami sans pourtant rien connaître de l’affaire. Il semble que l’on puisse avoir au sein de ce « grand » corps d’État, pourtant si prestigieux par le passé, un comportement grégaire pour soutenir celui qui, en son sein, pourrait être en risque, quitte à fouler aux pieds toute éthique élémentaire. C’est, entre autres, par ce genre de comportement, et ceux que je décris, que l’on peut mesurer le naufrage d’une « élite ». Le premier devoir d’une élite n’est-il pas d’être la garante d’une éthique rigoureuse ? Sans la pratique de celle-ci, non seulement cette « élite » perd toute légitimité mais, plus grave, le contrat social est condamné et la ruine du pays annoncée.

P.C : Le burn-out que vous décrivez peut survenir dans n’importe quelle industrie, dès lors que la direction se sente investie d’une mission de performance. L’actualité nous montre que cette situation survient ailleurs comme à Orange. Sans minimiser vos atteintes physiques et psychologiques, considérez-vous cet ouvrage comme traitant du burn-out ou du monde portuaire ?

P-A.M : La thèse originale de mon livre est que le burn-out ne survient pas forcément dans un contexte de performance, mais plutôt dans un environnement pervers du fait, soit d’un individu au comportement pervers, soit d’un système pervers, comme chez France Telecom. Le burn-out existe dans tous les secteurs professionnels, qu’ils soient publics ou privés, et il est en très forte augmentation année après année. On estime aujourd’hui à 500 000 cas de burn-out/an en France, ce qui est considérable, et extrêmement couteux. J’ai travaillé avec des employeurs pour lesquels la performance était une valeur forte et je ne me suis jamais senti aussi bien au travail. En soi, la performance est tout à fait saine. Elle crée du sens car elle emporte avec elle le groupe. En revanche, la perversion sait utiliser la performance dans un but malsain, ce qui fait que l’on associe souvent performance et burn-out.

Les effets de la corruption morale

Mon livre traite du burn-out dans un contexte de perversion généralisée des valeurs, de relativisme et de perte de sens dans notre société. Je l’ai construit comme un roman qui se déroule en particulier dans le monde portuaire car ce que j’ai vu et vécu illustre tout à fait ce qui conduit un individu ou une société au burn-out, à savoir l’absurde, le mensonge, la perversité, ainsi que des techniques de harcèlement psychologique. Cette « copinocratie » que j’évoquais précédemment est naturellement à la racine de la corruption morale dont je décris les effets tout au long de mes deux derniers livres. Elle a fait main basse, entre autres, sur les ports.

Aucune remise en question depuis des années

Ils sont des lieux idéaux pour une caste qui dirige en jouissant de l’irresponsabilité et de l’impunité. Une telle caste s’est fait une spécialité d’expliquer doctement l’effondrement continu des ports par des causes dont elle est toujours absente : elle accusera pêle-mêle la « conjoncture internationale », les « conditions climatiques », la « CGT », ou encore le « manque d’investissement de l’État ». « Et ça passe », comme dirait le membre d’une autre caste. Mais, de remise en question, aucune depuis des décennies. Aussi, continuons-nous d’assister à un ballet de parachutages ou de recyclages qui, sauf exceptions, enfoncent toujours plus profondément les ports français. Leur trafic est aujourd’hui plus faible qu’en 1984 malgré des dizaines (ou plus probablement des centaines) de milliards d’euros d’investissements. Entre-temps, la croissance du commerce maritime mondial a explosé de 240%, les ports des pays frontaliers se sont considérablement développés, et les membres du corps des ponts ont reçu promotions et légions d’honneur.

On explique que mesurer la performance d’un port par son trafic est dépassé

Année après année, pour essayer de masquer les échecs patents et ne pas tuer trop vite la poule aux œufs d’or, on gagne du temps. On convoque la novlangue, on invente des concepts fumeux, on tort vigoureusement les chiffres dans les business plan de projets majeurs, berçant d’illusions ceux qui n’effectuent pas leur travail de contrôle, on se décrète stratège et on célèbre tout cela au champagne, truffes et foie-gras dans un entre-soi satisfait. Pour essayer de voiler un réel qui, lui, ne ment pas, on veille à remplir les communiqués de presse avec les nouveaux « mot-valises » des cabinets de conseil, tels « résilience » ou « agilité » ; on explique, seuls au monde, que mesurer la performance d’un port par son trafic est dépassé ; enfin, on s’émerveille de sa conscience RSE en promouvant le vélo électrique ou la Zoé à l’intérieur de l’enceinte portuaire, et on sacrifie à « l’inclusivisme » woke … pour gagner quelques points sur le listing de l’auditeur RSE. On en est là…

Des dérives managériales inévitables

Au passage, l’usage du mot « résilience » est intéressant car, en creux, il illustre beaucoup de choses. La résilience est la capacité des organismes à se relever après un traumatisme. Quel trauma ont vécu les ports à part la médiocratie ? Où est la résilience alors que les ports continuent leur inexorable effondrement ? Bref, quel sens un salarié peut-il trouver à ce marketing du vide ? Comment des personnes compétentes, honnêtes ou incapables de déroger à des valeurs qu’elles estiment essentielles peuvent-elles éprouver de la fierté dans un tel contexte ? Pour accompagner la médiocrité, on préfèrera alors les collaborateurs soumis, opportunistes, ou redevables. Celui qui ne présentera pas ces « qualités » d’un nouveau genre sera prié d’aller voir ailleurs, ou sera éliminé. Dans un tel contexte, les dérives managériales sont inévitables. Je raconte à ce sujet une anecdote édifiante dans mon livre : mon ex-employeur, furieux qu’une jeune cadre puisse s’opposer à lui alors qu’elle quittait le port, s’était écrié : « Grâce à mon réseau, je ferai en sorte qu’elle ne retrouve plus jamais de travail »…

P.C : Vous abordez, succinctement, les résultats des trafics du port. Estimez-vous qu’il existe un lien de cause à effet entre le management et la performance du port ?

P-A.M : Le lien de cause à effet est direct et sans appel. On ne peut mener un établissement au succès durable en truffant ses propres actions d’insincérité, de mensonges et de manipulations. L’illusion, possible sur le court terme, ne tient plus sur le moyen et le long termes. Quand on est capable d’agir comme je le décris dans « Le temps des pervers », qui plus est avec une telle impunité, il n’y a aucun espoir de performance. L’écart est trop grand entre ce que l’on professe et ce que l’on est ou ce que l’on recherche véritablement.

Le management actuel conduit à l’affaissement de la compétence

Plus généralement, avec la culture de la « copinocratie », le management des ports comme nous le connaissons conduit inéluctablement à l’affaissement de la compétence, compensé par une complaisance toujours plus grande au sein de l’entre-soi pour masquer les échecs, les fautes, la non-performance, tout en se congratulant, le tout aux frais du contribuable. La complaisance au sein du haut management est le poison mortel de la performance. La médiocratie s’est installée. Elle est le sujet incontournable des ports en France. Il me reste 15% d’énergie vitale

P.C : Et maintenant, dans quel état physique et psychologique êtes-vous ?

P-A.M : Le burn-out est la conséquence d’une atteinte profonde à la dignité humaine. Il ampute la vie de la victime en détruisant sa capacité à régénérer son énergie vitale et en affectant sa mémoire. Cinq ans après ce matin où je me suis réveillé sans être capable de lever plus que mon index à la suite du stress majeur que je vivais au travail, je reste avec environ 15% de l’énergie vitale dont je disposais avant le burn-out. Je suis donc capable de faire beaucoup moins de choses. Je dispose au mieux de deux à trois heures de capital énergie par jour environ. Je m’épuise très rapidement, soit physiquement, soit psychiquement.

Une invalidité au sens de la CPAM

L’épuisement est bien au-delà de la fatigue. Celle-ci est passagère et partielle. Elle s’efface. En revanche, l’épuisement atteint l’être dans sa totalité, et dans toutes ses dimensions. Les conséquences du burn-out sont plus ou moins profondes, en fonction de la violence subie. Dans mon cas, je suis invalide au sens de la CPAM (Caisse primaire d’assurance maladie) avec un taux d’Incapacité Permanente Partielle de 67%, ce qui laisse imaginer la violence et la perversité des méthodes de mon ex-employeur. Ce taux objective que je ne suis plus capable de retravailler. Mais, depuis quatre ans, pour se « défendre » (selon ses termes), et malgré de nombreuses expertises médicales, toutes convergentes, mon ex-employeur s’évertue auprès de la CPAM et des tribunaux à essayer de prouver que je mens, que je simule et donc que je serais un escroc. Il est allé jusqu’à soudoyer un psychiatre véreux qui, sans m’avoir jamais vu ni entendu, a établi un certificat médical pour stipuler que j’étais en forme !

Rarement, un tel niveau de perversité ne s’est vu

L’ultra-violence n’ayant pas dû lui suffire, il ajouta celle du déni et de l’accusation indigne. L’impunité et l’arrogance font tomber toutes les limites morales. Est-ce de telles pratiques que l’on attend d’une « élite » ? Pourtant, elle les cautionne. Et je ne m’étendrai pas sur les tentatives d’influences sur la justice via le réseau maçonnique. La « copinocratie » conduit à la perversion des valeurs élémentaires. Le lecteur n’imagine pas jusqu’où ça peut aller. Il le découvrira dans mon livre. Mes avocats m’ont confié qu’ils avaient rarement vu un tel niveau de perversité. C’est donc cela qu’est devenue la « grandeur » du corps des ponts ?

Ma femme m’a sauvée

Dans une telle épreuve, l’entourage est fondamental. Sans entourage aimant, on meurt, suicidé. Gabriella Wennubst, avocate suisse qui aide les victimes de ce genre de harcèlement extrême, explique que les deux tiers des victimes finissent par se suicider. Ma femme m’a sauvé, et des collègues très courageux aussi. En contrepartie, une telle épreuve transforme profondément et ouvre un chemin lumineux vers la liberté. C’est cela la résilience, la vraie.

P.C : Les procédures judiciaires avec le GPM sont terminées ou toujours pendantes ?

P-A.M :J’ai ouvert deux procédures auprès de la Justice. Une action aux prud’hommes, et une autre auprès du tribunal judiciaire pour faire reconnaître la faute inexcusable (ou « faute très grave ») de mon ex-employeur (la maladie professionnelle ayant été reconnue). Ces deux procédures sont toujours pendantes. Dans la première, j’ai gagné en première instance. Mon ex-employeur a fait appel. Dans la seconde, j’ai gagné en première instance, puis en appel, et mon ex-employeur s’est pourvu en cassation.

Déni, irresponsabilité et, toujours, la même absence de remise en question

À chaque fois, mon ex-employeur a fait appel ou s’est pourvu en cassation à la toute fin du délai réglementaire pour à la fois gagner du temps et jouer vicieusement à faire penser qu’il avait reconnu sa défaite. L’objectif est aussi de faire durer cette affaire au-delà de son mandat afin de n’endosser aucune responsabilité, sachant que la personne nommée à sa suite saura aussi se déresponsabiliser et agir de la même façon. Je laisse chacun se faire une opinion sur ce genre de pratique vide de tout respect et de toute grandeur. Pour ma part, je n’y vois que petitesse, déni, irresponsabilité et, toujours, la même absence de remise en question. Tout cela illustre ce que l’on trouve sous le vernis des labels rutilants et collectionnés comme des médailles. En résumé, on vous fait subir des violences psychologiques intenses puis, quand vous osez demander une légitime réparation, on vous en fait subir de nouvelles pour vous faire taire, vous user physiquement, psychologiquement et financièrement. Ce type de comportement porte un nom. Il est finalement assez semblable à celui du petit délinquant qui agresse une personne et qui, si celle-ci se défend, la jette à terre, la roue de coups et s’enfuit en courant. Mais, le plus tragique, je le répète, est que ce comportement est couvert. Le problème est systémique.

« Une mauvaise littérature »

P.C : « Le Clan des seigneurs », « Le Temps des pervers », et après ? Avez-vous repris votre plume pour un troisième ouvrage ?

P-A.M : J’ai plusieurs projets d’écriture dont un nouvel ouvrage qui viendra compléter « Le clan des seigneurs » et « Le temps des pervers ». La notoriété de ces deux derniers a largement dépassé les frontières du pays puisqu’ils ont des résonances au Benelux, en Suisse, et dans les pays d’Afrique francophone. On m’a aussi fait des propositions de traduction pour l’espace anglophone. Énormément de lecteurs me remercient pour mon « courage », ce qui parle explicitement de l’appréciation portée par les Français sur l’univers que je décris. Je reçois des invitations pour participer à des colloques, ou faire des conférences dans des endroits prestigieux. Des philosophes, psychologues, psychiatres, sociologues, m’écrivent pour exprimer que mes livres sont « importants » par ce qu’ils disent de notre société. Il semble donc que j’ai touché une certaine vérité, ce à quoi des membres renommés de la « copinocratie » rétorquent qu’il s’agit de « mauvaise littérature ». Je n’attendais pas mieux de leur part.