Pétrole : le Nigéria redessine l’équilibre du marché
La production pétrolière du Nigéria enregistre une progression sans précédent. Dans le contexte géopolitique actuel, ce regain de compétitivité du pétrole nigérian tend à redessiner les routes maritimes, indique Intermodal dans son rapport hebdomadaire.
Le pétrole nigérian a longtemps souffert d’une image teintée de sous performance et d’insécurité. Or, « l’industrie pétrolière nigériane connaît actuellement un regain d’activité rare », indique le courtier Intermodal dans son dernier rapport hebdomadaire. Ainsi, la production rebondie depuis cet été.
Les terminaux de Bonny et Forcados en hausse
En effet, la production atteint en moyenne 1,71 Mb/j en juillet, soit une hausse de près de 10 % par rapport à juillet 2024. Les exportations par les terminaux de Bonny et Forcados se renforcent. Ainsi, le port de Bonny a expédié 8,07 Mb/j en juillet. Un chiffre en augmentation de 13 % par rapport à juin. Pour sa part, le port de Forcados suit cette tendance avec 9,04 Mb/j, en progression de 2,1 % par rapport à juin.
Une reprise sur le long terme
Un contexte nouveau lié aux mesures de sécurité et au regain d’intérêt des compagnies pétrolières qui portent enfin leurs fruits. De plus, note Intermodal, l’activité des plateformes de forage s’accroît. En effet, en 2021, elles étaient huit contre 46 actuellement. « Cela suggère que la reprise n’est pas un pic à court terme. » Alors, ce rebond permet au Nigeria de se rapprocher de son objectif budgétaire pour 2025. Une cible fixée à 2,06 Mb/j que la production pétrolière actuelle n’a pas encore touchée.
L’Inde revoit sa stratégie d’importation
Dans le même temps, l’Inde revoit sa stratégie d’importation. Le premier consommateur de pétrole connaît la plus forte croissance au monde. Depuis 2022, New Delhi a choisi de se tourner vers le brut russe. Des approvisionnements qui se réalisent par voie maritime. Les raffineurs indiens profitent de cette source pour éviter d’être sujets aux effets de l’inflation liés à la guerre en Ukraine. Ainsi, en 2024, les barils russes représentent 37 % des importations indiennes.
Une baisse du brut russe en Inde
Mais, cette forte dépendance a désormais attiré les foudres de Washington. L’administration Trump a augmenté les droits de douane sur les produits indiens à 50 %. Par ailleurs, elle menace de sanctions secondaires, liant explicitement ces pénalités aux liens énergétiques de l’Inde avec la Russie. En réponse, les raffineurs indiens ont brièvement réduit leurs achats de pétrole brut russe au cours de l’été. Ils se tournent vers les qualités ouest-africaines et notamment du brut nigérian.
L’Inde ignore le brut américain
Ce changement est significatif, non pas parce qu’il marque un recul par rapport aux importations de brut russe par l’Inde, mais parce qu’il démontre la volonté de New Delhi de se couvrir. En effet, les volumes nigérians vers l’Inde ont plus que doublé en août par rapport à l’année précédente. L’Indian Oil Company (IOC) a ignoré le brut américain dans ses récents appels d’offres. Elle l’a remplacé par des cargaisons nigérianes et du Moyen-Orient. Un autre élément joue. Le pétrole américain WTI affiche un prix FOB moins cher que celui du Nigéria. Cependant, le prix rendu raffinerie du pétrole américain dépasse celui du Nigéria. La logistique et le fret fait pencher la balance en faveur de la production du Nigéria.
Une opportunité stratégique pour le Nigéria
Pour le Nigeria, ce contexte crée une opportunité stratégique. En effet, le maintien de la demande indienne « pourrait devenir la pierre angulaire du portefeuille d’exportations d’Abuja, lui permettant ainsi de se diversifier par rapport à ses acheteurs traditionnels en Europe et dans le bassin atlantique. » Cependant, des limites existent. Le quota de l’Opep pour le Nigeria plafonne la production à environ 1,5 Mb/j. Le gouvernement nigérian ignore ce plafond voire, à l’extrême, pourrait quitter l’Opep. D’un autre côté, la raffinerie du groupe Dangote pèse dans ce contexte. Elle traite actuellement 550 000 b/j. Du brut que le groupe achète localement. Or, sa pleine capacité de 650 000 b/j avec du pétrole brut nigérian est attendue dans les prochains mois. Alors, « le volume disponible pour les exportations pourrait se réduire », indique Intermodal.
Le brut nigérian gagne avec la logistique
La distance et les coûts de transport constituent une autre contrainte. Les barils nigérians génèrent beaucoup plus de tonnes-kilomètres s’ils remplacent les cargaisons russes d’Extrême-Orient vers l’Inde. Une composante qui augmente les coûts mais stimule aussi la demande. Pour les marchés du transport maritime, cette dynamique est une évolution bienvenue. Pour le courtier de fret, l’Inde n’abandonnera pas définitivement ses approvisionnements de pétrole russe. Les risques des sanctions américaines et des réactions internationales poussent les raffineurs indiens à se diversifier.
Un nouvel équilibre pour le marché
Le Nigeria, s’il parvient à maintenir, voire à augmenter sa production, est bien placé pour en tirer profit. La combinaison d’une production en hausse, d’une sécurité intérieure améliorée et d’une évolution des modèles de demande mondiale offre à Abuja une opportunité dont elle n’avait pas bénéficié depuis des années. Pour le secteur maritime, cela signifie davantage de pétrole brut ouest-africain transporté sur de plus longues distances. Dans ce contexte, le marché pourrait se trouver un rééquilibrage commercial dont les effets sont attendus en 2026 et au-delà.
L’Afrique de l’Ouest gagne sur le terrain géopolitique
Il apparaît clairement que la géopolitique du pétrole est en train de redessiner les routes maritimes. Les droits de douane imposés par Washington à l’Inde, la baisse de la capacité de raffinage de Moscou et la détermination du Nigeria d’augmenter sa production se rejoignent dans le commerce entre l’Afrique de l’Ouest et l’Asie du Sud. Chaque cargaison de brut nigérian en direction de l’Est est plus qu’une simple transaction commerciale. « Elle s’inscrit dans le cadre d’un rééquilibrage des flux mondiaux. »