Corridors et logistique

Rodolphe Saadé : « la ligne Antilles n’escalera plus à Nantes Saint-Nazaire »

Le 22 septembre, la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale a auditionné Rodolphe Saadé, président directeur-général du groupe CMA CGM. Il est revenu sur la situation de l’armement et le contexte international.

Les thèmes abordés par les députés lors de cette audition vont de la compétitivité de l’armement aux questions de géopolitiques. Rodolphe Saadé a expliqué la position de l’armement sur plusieurs points.

États-Unis : « je vais où sont mes marchés »

Les questions des députés ont porté, notamment, sur le commerce international. Le contexte géopolitique joue un rôle majeur actuellement. Pour Rodolphe Saadé, le commerce mondial est compliqué. « Il part dans tous les sens. » Le groupe tente de naviguer au mieux mais les décisions de la Maison blanche sur les tarifs douaniers aggravent le secteur. « Il faut que nous nous adaptions. » Et des élus ont demandé les raisons de sa présence à Washington dès le mois de mai. « Nous réalisons environ 20% de notre chiffre d’affaires aux États-Unis. Il est normal que je réponde positivement à une invitation du président. Je vais où sont mes marchés ». Un pays où CMA CGM investi de 3 Md$ à 4 Md$ par an.

Partager les coûts d’escorte dans le détroit de Bab el Mandeb

Les complications du commerce international sont en partie liées au déroutement des navires du canal de Suez vers le cap de Bonne-Espérance. Le groupe CMA CGM a malgré tout décidé de reprendre la route par le canal de Suez et le détroit de Bab el Mandeb pour certains services. Pour assurer la sécurité des navires, la Marine nationale assure une protection des navires. Dans ces conditions, le coût de ces escortes est, in fine, pris par la collectivité. Pour le président de l’armement, ces escortes sont nécessaires. « Néanmoins, si la situation à l’approche de Suez devait perdurer, je suis ouvert à la discussion avec l’État pour partager les coûts quand nous demandons une escorte. »

Le départ de Nantes pour des raisons opérationnelles et économique

Le Pdg du groupe est revenu sur la situation des ports français. Il s’est montré optimiste sur la situation de cette industrie. « Nous avons tendance à regarder le verre à moitié plein. Or, cela se passe bien dans les ports français. » Pour preuve, CMA CGM a investi 130 M€ avec l’État. Aujourd’hui la situation est sous contrôle, affirme Rodolphe Saadé. Cependant, le groupe annonce son départ du GPM de Nantes Saint-Nazaire à compter du 1er janvier 2026. « Nous avons décidé pour des raisons commerciales et opérationnelles de ne pas tenir cette escale. » La raison invoquée tient à la difficulté de maintenir les horaires affichés. La desserte des terminaux de Montoir ajoute 38 heures de navigation au service. « C’est compliqué à tenir. »

Le groupe CMA CGM candidat à la reprise des terminaux de CK Hutchison Ports

Quant au développement du réseau de ports, le Pdg a rappelé sa stratégie vers les pays émergents. « Notre stratégie est de foncer. » Ainsi, le développement de terminaux en Inde, au Vietnam, au Maroc et en Syrie se confirme. D’ailleurs, le groupe a sécurisé la concession du terminal à conteneurs de Lattaquié en Syrie. Le groupe CMA CGM vise à créer dans chaque pays un réseau pour se développer rapidement. Par ailleurs, Rodolphe Saadé confirme son intention du rachat des terminaux de CK Hutchison Ports. « Dans ce dossier, la géopolitique est omniprésente. » Ainsi, la Chine veut la présence d’une entreprise nationale dans le tour de table. « Le deal est loin d’être fait ». Cependant, il appelle les autorités de concurrence à regarder avec attention la situation dans les ports. Dès lors qu’une compagnie maritime joue un rôle dominant dans un pays, elles devraient analyser la situation.

Le pavillon français est aussi une affaire de coûts

La discussion a aussi porté sur la flotte du groupe. D’une part, le Pdg a rappelé que le carnet de commandes du groupe s’élève à 150 navires. « Des commandes faites auprès de chantiers chinois et coréens. Ils sont les meilleurs marchés. Cela ne changera pas dans les prochaines années. » Toujours est-il qu’une partie de ces navires seront sous pavillon français armé avec des marins français. Une démarche qu’il défend même si le recrutement d’équipage français demeure difficile. « Nous n’arrivons pas à recruter suffisamment de marins français au vu du nombre de navires que nous déployons. »  Ensuite, il précise que de disposer de navires avec des marins nationaux coûte le double qu’avec des navigants internationaux. « Ne pas armer plus de navires sous pavillon français est aussi affaire de coûts. »

La décarbonation : un engagement pour 2050

S’agissant de la flotte, les députés s’interrogent sur les mesures prises par le groupe en faveur de la décarbonation. Rodolphe Saadé a répété qu’il a pris « l’engagement d’être carbone Zéro en 2050. » Et, il précise que « pour être honnête, on se demande comment on va faire. » Pour y parvenir, il demande une coopération entre les pouvoirs publics et les entreprises. Aujourd’hui, CMA CGM a fait le choix de navires avec une motorisation au GNL. « C’est une énergie de transition. Il y aura mieux plus tard, mais je ne sais pas quand. » En attendant, d’autres énergies émergent. Cependant, « elles multiplient le coût par trois. Nous ne pouvons pas absorber ce surcoût et nos clients non plus. »

Taxe au tonnage : un régime nécessaire pour rester compétitif

Pour rester sur ce sujet, la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale a longuement interrogé le responsable du groupe sur la taxe au tonnage. Dans un contexte de restrictions budgétaires, cette taxe est perçue, par certains députés, comme un avantage fiscal qui permet de réduire le montant des impôts. Rodolphe Saadé a été ferme. « La taxe au tonnage est un régime international. La remettre en cause impliquerait toute la stratégie du groupe. » Il plaide pour un maintien de ce dispositif au nom de la compétitivité de l’entreprise. Et pour remettre dans son contexte les avantages fiscaux tirés de ce dispositif, le directeur financier du groupe, Ramon Fernandez, a donné les éléments chiffrés. En 2023, cette taxe a rapporté 583 M€ au groupe. En 2024, ce montant s’élève à 1,4 Md€. Cependant, sur une période de 20 ans, avec les évolutions financières du groupe, la taxe au tonnage a apporté un bénéfice de 50 M€ par an.

12 Md€ investis dans la logistique et le transport

Les députés ont aussi longuement interrogé le p-dg du groupe sur sa stratégie d’investissement. Son rôle dans les médias français interpelle. Il a justifié ces choix. Il a aussi indiqué que le groupe a consacré plus de 12 Md€ dans des acquisitions ces dernières années dans le secteur logistique. Ainsi, le rachat de Ceva Logistics a permis de donner une nouvelle dimension au groupe. « Et en plus, le siège social de cette société a été transféré de Suisse à Marseille. » Des prises de participations qui se sont aussi tournées vers KLM-Air France, Brittany Ferries ou encore la Méridionale.