Corridors et logistique

Le corridor Imec : une aventure fantastique mais sans lendemain

Les attaques des Houthis contre les navires dans le détroit de Bab el Mandeb a relancé l’intérêt pour le corridor entre l’Inde, le Moyen-Orient et l’Europe. Une alternative multimodale combinant le maritime et le ferroviaire.

Les attaques des Houthis contre les navires obligent les opérateurs à adapter leurs chaînes logistiques. Une des solutions consiste à combiner le maritime et le ferroviaire entre l’Inde et l’Europe. Pour Pablo Rodas-Martini, la question se pose : le corridor Imec (India – Middle East – Europe Corridor) remplacera-t-il une grande partie du trafic passant par le canal de Suez ? Et la réponse apportée par l’expert se résume en un mot, non.

Une absurdité logistique

Carte du corridor Imec
Le Corridor Imec avec sa partie maritime d’Inde à Dubaï, sa partie ferroviaire d’Arabie Saoudite à Israël et sa partie maritime jusqu’au port du Pirée.

Dans un post sur Linkedin, l’expert maritime considère cette alternative comme « une absurdité logistique ». Alors pour poser le débat, Pablo Rodas-Martini cite deux extraits du journal Times of India. Le premier rappelle que l’Inde et les Émirats arabes unis ont conclu un pacte pour rendre opérationnel l’Imec. Le second souligne que ce corridor relie l’Inde à Dubaï par voie maritime pour ensuite emprunter le ferroviaire par l’Arabie Saoudite, la Jordanie et Israël, à Haïfa, pour relier ensuite rejoindre Le Pirée par voie maritime. Pour Pablo Rodas-Martini, « c’est un vœu pieux ».

Déjà, une proposition de Dammam à Haïfa

Cette idée n’est pas neuve, souligne l’expert maritime. En 2017, le ministre israélien des Transports, Israël Katz propose une solution logistique depuis le port de Dammam au port de Haïfa en Israël par voie ferroviaire. Une solution qui n’intègre pas l’Inde et les Émirats arabes unis. Cependant, dans un entretien avec Reuters, le ministre des Transports de l’époque souligne que ce plan « pourrait également donner aux Palestiniens une capacité à exporter des biens de la Cisjordanie occupée vers le monde arabe ». Ce discours est resté théorique.

L’enthousiasme mesuré des pays arabes

Et parce que Pablo Rodas-Martini semble dubitatif à propos de ce corridor, il cite un article du Financial Times. Cet article rappelle que « les ambitieux projets d’infrastructures transfrontalières dans le monde arabe ont toujours eu peu de succès. Cela vise aussi le projet de réseau ferroviaire de 2 117 km reliant les six membres du Conseil de coopération du Golfe. Plus de dix ans après son lancement, ce réseau n’est encore que partiellement construit ».

L’Inde veut concurrencer la Chine géopolitiquement

Cependant, en se plaçant du côté de l’Inde, les choses sont plus concrètes. En effet, d’une part, New Dehli ne cache pas sa rivalité géopolitique avec la Chine. D’autre part, le pays a créé des affinités avec les pays de la péninsule arabique. Alors, pour concurrencer les Nouvelles Routes de la Soie, l’Inde mise sur ce corridor. Et l’expert maritime indique que l’Inde « arrive avec une décennie de retard sur la Belt and Road Initiative, lancée en 2013. De plus, elle ne dispose pas de l’effet de levier économique des investissements chinois massifs. »

Le corridor Imec, un projet de politique indienne

Alors, l’expert maritime se range du côté du réalisme. Il s’aligne sur l’opinion publiée par Politico Europe. « Certains experts suggèrent que c’est peut-être parce que le projet Imec est davantage un stratagème politique. Ce projet est devenu un sujet de discussion pour les prochaines élections plutôt qu’un projet sérieux dans lequel l’Occident investira de l’argent. » Or, les élections au Parlement indien se déroulent en avril et mai. Le lien entre le projet de corridor et les ambitions politiques du premier Ministre indien ne fait aucun doute pour l’expert maritime.

Le corridor Imec suppose une facture lourde

Alors, quand en septembre, Joe Biden et Ursula von der Leyen parlent de « big deal » et « d’accord historique » pendant la réunion du G20 à New Dehli, « ce ne sont que des banalités », affirme Pablo Rodas-Martini. De plus, la question financière doit être envisagée. Les États-Unis et l’Europe investiront-ils dans le corridor Imec ? « Bien sûr que non », affirme l’expert maritime. Quant aux pays de la péninsule, Émirats arabes unis, Arabie Saoudite et Jordanie, ils ne se montrent pas pressés de payer une facture dont la rentabilité n’est pas assurée.

L’aspect sécuritaire doit être pris en compte

Ensuite, se dessinent des facteurs géopolitiques. Le corridor emprunte une partie du réseau jordanien. Un pays, rappelle Pablo Rodas-Martini, qui abrite de nombreux réfugiés palestiniens. Or, face à des alternatives logistiques qui passent par la Jordanie, des manifestations se déroulent dans le pays pour s’opposer au « pont sioniste ». Alors, entre devenir un point de transit pour ce corridor et risquer la stabilité politique du pays, Amman choisi la stabilité. Une position que partage l’expert maritime. Enfin, l’aspect sécuritaire de ce corridor doit être pris en compte. De nombreux groupes politiques armés pourraient attaquer les convois ferroviaires dans le cadre d’actions terroristes.

Alors, un corridor Imec avec la Turquie ?

Il reste que lors de la réunion du G20, la Turquie a déclaré vouloir son corridor avec l’Inde. Cependant, si nous examinons ce corridor d’un point de vue géographique, le trajet par l’Arabie et Israël apparaît « parfois bizarre », souligne Pablo Rodas-Martini. « L’Imec turc serait comme un tableau de Dali, absolument surréaliste », s’amuse l’expert maritime. Et pour conclure, il reste sceptique sur ce corridor. « Soyons francs : un corridor Inde-Moyen-Orient-Europe, peut avoir l’air génial. Mais, c’est un peu comme l’aventure de Frodon à travers la Terre du Milieu dans le Seigneur des Anneaux ! Mais ce n’est qu’une aventure fantastique de plus. »