Corridors maritimes : développer les coopérations entre l’Europe et l’Afrique
Le 14 mai, Expertise France a organisé, à Marseille, un colloque sur l’avenir des corridors maritimes. Il s’agit de verdir ces corridors et de développer la stratégie européenne de Global Gateway vers le continent africain.
Le choix de la cité phocéenne pour le colloque sur les corridors maritimes n’est pas anodin. En choisissant Marseille, Expertise France, structure dépendant de l’Agence Française de Développement, fait le choix « d’une ville passerelle entre les deux rives de la Méditerranée », a indiqué Jérémie Pellet, directeur général d’Expertise France. Et pour aller plus loin, il a rappelé le rôle de l’agence de coopération. « Nous jouons un rôle de catalyseur par notre présence internationale. Nous pouvons aider à bâtir des partenariats entre les acteurs de ces corridors maritimes. »
La stratégie du Global Gateway
Or, ces corridors maritimes peuvent parfois être perçus comme des politiques d’exclusion. Christophe Castaner, président du conseil de surveillance du GPM de Marseille-Fos l’a indiqué à propos des Nouvelles Routes de la Soie. « Le gouvernement chinois réinvente la mondialisation avec la création de comptoirs », affirme Christophe Castaner, se référant à la stratégie déployée par l’Europe au 17è siècle. L’Europe a adopté une stratégie à l’opposé de celle-ci en développant la politique du Global Gateway.
La mobilisation de 300 Md€
En effet, elle repose sur le développement « des liens intelligents, propres et sûrs dans les domaines du numérique, de l’énergie et des transports. Elle vise à renforcer les systèmes de santé, d’éducation et de recherche dans le monde entier », indique le site de la Commission européenne. Carla Montesi, directrice générale de la DG INTPA (direction des partenariats internationaux) de la Commission européenne, a précisé que la stratégie européenne est basée sur la création de partenariats gagnant-gagnant avec les pays voisins sur les valeurs européennes de développement durable, social et équitable. Au total, Global Gateway doit mobiliser 300 Md€ dont 150 Md€ pour l’Afrique.
L’Afrique doit mieux se connecter à elle-même
Or, cette stratégie européenne doit se faire entre les institutions publiques et le secteur privé. Pour Éric Melet, CEO d’AGL, Global Gateway « est une bonne nouvelle ». Elle s’inscrit dans les objectifs du groupe. « Les deux tiers de nos forces humaines se concentrent sur les corridors et les ports secs. Nous avons investi plus de 350 Md FCFA (534,2 M€). » Et cette volonté de s’impliquer dans le développement, notamment en Afrique, a parfois été difficilement vécu. « Nous nous sommes sentis seuls parfois », assure le CEO d’AGL. Malgré tout, le groupe conserve de nombreux projets dans ses tiroirs en se concentrant sur le développement durable mais aussi la régionalisation des échanges. « L’Afrique doit mieux se connecter à elle-même », a rappelé Éric Melet.
Adapter le Global Gateway au terrain africain
Dans le cadre du développement de ces corridors sur le continent africain, les intervenants ont rappelé la nécessité d’adapter les projets aux réalités du terrain. « Global Gateway doit être basée sur les relations entre les continents », a souligné Jean-Marie Koffi, délégué général de l’AGPAOC (Assemblée générale des Ports d’Afrique de l’Ouest et du Centre). Une position que le président d’Expertise France, Jérémie Pellet, a appuyé. « En Afrique, le développement des corridors doit s’appuyer sur la multimodalité. » Or, ce mode peine parfois à répondre à la demande malgré les tentatives des gouvernements de l’améliorer. Et pour aller dans la même veine, Hervé Martel, président du directoire du GPM de Marseille-Fos a rappelé que le concept de Global Gateway doit s’appréhender comme « une coopération de savoir-faire. C’est une vision politique qui englobe les solutions partagées ».
Kribi : un port 100% routier
En Afrique, « tous les ports sont différents », a rappelé Michael Mama, directeur du développement du Port autonome de Kribi. De plus, leur hinterland reste limité. Le cas du port camerounais de Kribi entre dans ce schéma. Le port a été construit pour développer les trafics conteneurisés et conventionnel. « Au début, personne n’a cru en notre projet. Nous avons été aidés par une société chinoise pour la construction. Ensuite, nous avons parié sur le groupe CMA CGM et AGL pour développer le port. » Construit dans une région souffrant d’un déficit d’infrastructures de transport, Kribi s’est développé en se dotant d’une route pour relier les quais au réseau national. L’absence de liaison ferroviaire du port entraîne une répartition modale des pré et post acheminements à 100% par la route. Or, comme le rappelle Michael Mama, le développement d’un port dépend principalement de ses infrastructures de transport.
Hydroélectricité et développement du fluvial
Dans ce contexte, la stratégie européenne de Global Gateway peut participer à la croissance de Kribi. Elle doit permettre un transfert technique vers les opérateurs. Ensuite, Michael Mama rappelle que les PME sont les premiers pourvoyeurs de trafic à Kribi. « Nous avons besoin de les former à la multimodalité. » Ensuite, il insiste sur la nécessité d’entreprendre des « investissements productifs et efficients ». Or, si le Cameroun possède un potentiel de développement d’énergie hydroélectrique, « construire des barrages pour produire de l’électricité verte signifie, en contrepartie, de réduire la multimodalité par le fluvial. Nous devons donc nous concentrer sur le ferroviaire. »
Le port comme tour de contrôle
Ce transfert modal du camion vers le ferroviaire n’est pas chose évidente. Christine Cabau, vice-présidente en charge des terminaux du groupe CMA CGM, souligne le rôle que jouent les armateurs et les opérateurs de terminaux. « Nous tentons de le faire en partenariat avec les ports. » Elle estime que l’autorité portuaire doit jouer un rôle de « tour de contrôle » entre les acteurs. Ce travail de décarbonation des transports passe par une organisation en écosystème. « Cependant, le verdissement des corridors doit se faire à coût constant. Les clients ne sont pas disposés à payer plus cher. » Et, elle enfonce le clou en s’indignant des mesures européennes sur le maritime. « La règlementation européenne des ETS taxe le transport maritime et notamment les liaisons short sea. Dans le même temps, le tout route n’est pas concerné. » Une aberration pour la responsable du groupe CMA CGM.
La digitalisation, élément du développement des corridors
De plus, les corridors maritimes doivent aussi prendre une dimension digitale. Le nombre de documents pour un conteneur devient aujourd’hui pléthorique. « Un conteneur c’est plus de 20 documents. Il faut donc que l’ensemble des opérateurs de la chaîne communiquent », a rappelé Rémi Julien, président du directoire de MGI. En développant des PCS (Port Community System) pour permettre des échanges entre le secteur privé et les administrations de la chaîne logistique, MGI facilite les opérations portuaires. Cantonnés aux ports, ces PCS s’étendent désormais sur l’hinterland. « Nous sommes en cours de déploiement de ces systèmes informatiques sur le Rhône et la Saône pour favoriser le développement du fluvial et du ferroviaire. » L’avenir de ces PCS doit aussi se faire à un niveau international. « Les ports n’échangent pas de données entre eux. Cela viendra du privé et notamment au travers du concept de corridor », a expliqué Rémi Julien.
Imec : Marseille, porte d’entrée du corridor en France
Gérard Mestrallet, représentant pour la France pour le corridor IMEC (India Middle East Corridor), a rappelé les conditions d’intialisation de ce projet de corridor. Il est intervenu lors de la réunion en mars 2023 des BRICS (Brésil, Inde, Russie, Chine et Afrique du Sud) dont une partie des discours s’est montrée hostile aux économies occidentales. « Pour sortir l’Inde de cette tendance, l’Europe et les États-Unis ont signé un MOU pour développer ce corridor. Il doit se développer depuis l’Inde vers l’Arabie Saoudite, la péninsule arabique, Israël et les ports méditerranéens. »
Alors, le GPM de Marseille-Fos doit être positionné comme la porte d’entrée de ce corridor pour la France. Ce corridor est la concrétisation des accords d’Abraham qui normalisent les relations diplomatiques entre Israël et les pays du Golfe persique. Au total, le MOU prévoit des investissements à hauteur de 600 Md$ dont 200 Md$ proviendront des États-Unis. Un projet qui a connu son premier coup de canif. Le 14 mai, l’Inde a signé avec l’Iran un contrat pour exploiter le port de Chahabar, dans le sud-est du pays. Une première étape vers la concrétisation du projet iranien de développer un corridor depuis l’Inde sur la Méditerranée par l’Iran et la Turquie ? Selon des représentants iraniens, le ferroviaire dans la péninsule arabique mérite de lourds investissements, contrairement au réseau iranien opérationnel. En concédant le port de Chahabar, l’Iran prend une option sur le corridor avec en contrepartie, de probables sanctions américaines contre l’Inde pour développer des relations commerciales avec Téhéran.