États-Unis : l’effet Trump 2.0 sur la logistique maritime et portuaire
La victoire de Donald Trump aux élections présidentielles suscite des inquiétudes chez les opérateurs. Les distributeurs emplissent leurs stocks pour éviter d’hypothétiques taxes.
À peine Donald Trump proclamé 47è président des États-Unis, les opérateurs logistiques ont senti un vent de panique s’emparer des chargeurs. Au cours de sa campagne électorale le candidat Trump a annoncé vouloir mettre des barrières tarifaires pour préserver l’économie américaine.
Une étude de la NRF sur l’effet des taxes
Pour les distributeurs américains, l’annonce de l’arrivée en janvier de Donald Trump à la Maison blanche inquiète. Ainsi, deux jours avant les élections, la National Retail Federation (NRF), qui regroupe les distributeurs américains, a publié une étude qui confirme l’effet négatif des taxes à l’importation. Elle démontre que des taxes de 10 à 20% sur des produits comme les jouets, les chaussures et les objets de décoration en provenance de tous les pays, voire des barrières douanières à hauteur de 100% pour les productions chinoises, auront un impact négatif sur le pouvoir d’achat des Américains.
De 40 Md$ à 78 Md$ de pouvoir d’achat perdu
En effet, selon cette étude la perte de pouvoir d’achat des Américains est estimée entre 40 Md$ et 78 Md$ par an. Et le vice-président de la NRF, Jonathan Gold, de rappeler qu’un « tarif douanier est une taxe payée par l’importateur américain, et non par le pays étranger ou l’exportateur. Cette taxe se retrouve en fin de compte à régler par les consommateurs sous la forme de prix plus élevés ».
Les chargeurs constituent des stocks
Alors, face à cette perspective, les distributeurs constituent des stocks pour se prémunir contre des prix plus élevés à venir dans les prochains mois. Une situation que le directeur de Vespucci Maritime, Lars Jensen, a posté sur Linkedin un commentaire de cette élection, le 6 novembre. Sans faire de la politique, le consultant prévoit, à court terme, un afflux d’importations aux États-Unis. « Les chargeurs dont les produits ne sont pas soumis à des dates de péremption vont faire entrer davantage de marchandises avant l’entrée en vigueur de nouveaux droits de douane. Comme nous ne connaissons pas exactement l’ampleur de ces droits de douane, ni où ils s’appliqueront, ni quand ils s’appliqueront, il pourrait en résulter une forte augmentation de la demande. »
Les schémas logistiques perturbés
Sur un terme plus long, le consultant estime que le résultat de ces élections transformera les schémas logistiques des produits destinés aux États-Unis. Les promesses électorales sur ces taxes risquent d’envenimer la guerre commerciale avec les partenaires commerciaux américains. Déjà, les produits chinois empruntent des routes alternatives avec le Mexique pour éviter des droits de douane trop élevés. Demain, si Donald Trump applique ses promesses électorales, ces alternatives ne suffiront pas à éviter des droits de douanes supplémentaires. Outre les hausses de prix sur les produits importés, les productions américaines risquent de se voir imposer des taxes dans les autres pays, en représailles. « Cela accentuera le déséquilibre des conteneurs pleins et vides avec le pays », continue Lars Jensen.
Un pas dans la mauvaise direction
Des risques de perturbations plus importants que prévus. Peter Sand, directeur des analyses chez Xeneta, écrit dès le 6 novembre, « une nouvelle présidence avec Donald Trump est un pas dans la mauvaise direction. » Et pour appuyer ses dires, il rappelle que la mise en place de taxes à hauteur de 25% contre les produits chinois en 2018 a entraîné une hausse de 70% des taux de fret sur les États-Unis. Or, pendant la campagne électorale le candidat républicain a menacé de taxes jusqu’à 100% sur certains produits chinois.
L’arrivée de Donald Trump n’est pas accueillie avec bienveillance
Déjà, l’année 2024 a été compliquée pour les chargeurs américains en raison de la crise de Suez. Les menaces de grèves dans les ports de la côte Est constituent un risque supplémentaire. « L’arrivée de Donald Trump à la Maison blanche ne sera pas accueillie avec bienveillance par les importateurs et les exportateurs. Cependant, ils attendent un résultat clair. L’incertitude est toxique pour les affaires. Néanmoins, la filière a appréhendé les risques et peut mettre en place les plans qu’elle a préparé en amont », conclu Peter Sand.
L’alliance Gemini, les « preferred carriers » de demain
Face à ce pessimisme ambiant, Jérôme de Ricqlès, expert maritime chez Upply, tempère. Il rappelle que les deux plus gros armateurs qui ont su conserver des navires sous pavillon américains sont Mærsk et Hapag Lloyd. Ainsi, la future alliance Gemini, dont l’entrée en service interviendra en février 2025, soit quelques jours après l’arrivée de Donald Trump à la Maison blanche, sortira en très bonne position de ce scrutin. « Ils deviendront en quelque sorte les preferred carriers », nous a confié l’expert de Upply.
CMA CGM et ONE ont une carte à jouer
Par ailleurs, le groupe CMA CGM peut avoir une carte à jouer dans cette nouvelle donne. L’armateur marseillais pourra tenter de s’imposer avec APL, armateur d’origine américaine. De plus, le groupe français a posé des jalons dans les ports de la côte Est et Ouest des États-Unis. Des atouts indéniables dans la situation actuelle, note Jérôme de Ricqlès. Enfin, l’analyse de la situation ne doit pas oublier ONE, membre de la future Premier Alliance. Le CEO de ce groupe est américain et un ancien du groupe Mærsk. De plus, les trois armements composants ONE sont d’origine nippone, une Nation proche de Washington depuis 1945. « Nous sommes donc dans un environnement favorable », estime Jérôme de Ricqlès.
Des effets sur l’économie mexicaine
Selon la journaliste Lori Ann Larocco de CNBC, il est probable que l’administration de Donald Trump souhaite revoir les accords de libre-échange avec le Mexique. L’accord signé entre les trois pays (Canada, Mexiques et États-Unis), en 2020, s’étend jusqu’en 2026. L’attitude de l’administration américaine sera déterminante pour l’avenir de ce traité. Dans son article, elle rapporte les inquiétudes des transporteurs qui assurent la liaison quotidienne entre les deux pays. John Deward, président de Redwood Mexico, spécialisée dans le transport routier, indique que les chargeurs souhaitent accélérer les importations.
Des taux de fret attendus en hausse sur le routier
Le transporteur envisage la fin de l’année avec un afflux de demande. « Chaque semaine ce sont environ 2 M$ de marchandises qui transitent entre les deux pays. La menace de nouvelles taxes va changer la donne. Pour répondre à la demande à court terme, nous devrons disposer d’entrepôts à la frontière. » Et le dirigeant de Redwood estime que les taux de fret vont s’envoler. « Nous subissons déjà la pression en raison du manque de chauffeurs. La croissance de la demande va accroître cette hausse. » Quant à l’économie mexicaine, elle risque de voir de nombreux projets d’implantation s’annuler.
L’attitude de la future administration sur les ports
L’autre interrogation soulevée par Lars Jensen concerne le monde portuaire. Le syndicat des dockers, l’International Longshoremen Association, actif sur la côte est, a négocié avec la partie patronale (US Maritime Alliance) une suspension de grève jusqu’au 15 janvier. Entre dockers et manutentionnaires, les discussions continuent pour aboutir à un nouvel accord. « Ce dossier doit être vu sous un angle nouveau. La future administration de Donald Trump invoquera-t-elle le Taft/Hartley Act (disposition qui permet au gouvernement d’invoquer la sécurité nationale pour suspendre un mouvement social) ? De plus, se pose la question de l’engagement du gouvernement pour trouver un accord entre l’ILA et l’USMX ? »