Windcoop commande le premier porte-conteneurs à voile et coopératif
Windcoop commande son premier porte-conteneurs à voile. Un navire qui sera réalisé par les chantiers turcs de RMK Marine. Nous reprenons ci-dessous l’article de Caroline Britz, journaliste à Mer et Marine.
C’est bien plus qu’un navire à voile. C’est aussi un tout nouveau modèle de société maritime. La compagnie française Windcoop vient de commander son premier porte-conteneurs, qui sera réalisé par le chantier turc RMK Marine. Le navire sera exploité entre la France et Madagascar.
Trois ailes de 1050 m2
Trois ailes CWS d’une surface totale de 1050 m², une grue, une capacité de 210 EVP pour un navire long de 91.3 mètres… Le premier porte-conteneurs à voile va être français et coopératif. Windcoop, tout nouvel armateur basé à Lorient, vient de le commander aux chantiers turcs RMK Marine de Tuzla.
Une compagnie maritime sous forme de coopérative
« Windcoop, c’est une compagnie maritime organisée en coopérative », explique à Mer et Marine Nils Joyeux, directeur général de la toute nouvelle structure. « La genèse de cette aventure, c’est la rencontre avec Julien Noé, qui est un militant du modèle coopératif et notamment président – fondateur d’Enercoop. Il ne connaissait pas bien le monde des navires du transport maritime mais se posait des questions sur les conditions sociales des marins, sur les modes de financement qui lui paraissaient un peu opaques, sur le schéma global. Et il s’est demandé s’il n’y avait pas moyen de créer quelque chose ».
Repenser le rôle de l’entreprise
Entre Julien et l’équipe de Zéphyr et Borée, d’où vient Nils Joyeux, l’idée germe de trouver une solution pour développer une compagnie maritime qui a un but politique et militant. Et qui sera détenue par le plus grand nombre possible de citoyens. Une SCIC (société coopérative d’intérêt collectif) est créée, « car c’est la seule structure qui peut intégrer des citoyens, des collectivités et des entreprises. En commençant cette aventure, ce que nous voulons aussi c’est repenser le rôle de l’entreprise dans la société. Le plus souvent, l’entreprise est souvent utilisée comme un centre de profit avant tout. En coopérative, l’idée est de développer des entreprises qui servent leur raison d’être, autrement dit c’est une structure juridique qui encadre le fait qu’un groupe de personnes qui travaillent pour rendre des services à d’autres groupes de personnes, et en rendant simplement un service payé au prix juste. La SCIC est, par définition, à lucrativité limitée. 57.5% des bénéfices sont mis en réserve pour réinvestissement, les parts sociales ne peuvent pas être rémunérées à plus de 2% et ne peuvent faire l’objet de plus-values lors de leur cession. L’ensemble de ces caractéristiques garantissent aux entreprises organisées en SCIC de servir leur raison d’être et l’intérêt commun. La forme juridique de l’entreprise est peut-être un détail pour certains mais pour nous, le fait de lancer la construction de ce premier cargo avec cette structure organisée en SCIC n’est pas moins novateur et porteur de progrès que le fait qu’il y ait des ailes rigides sur le pont du bateau ».
L’embarquement d’Arcadie à bord
Avec le soutien de Julien Noé, l’équipe Windcoop va rencontrer les acteurs de l’économie sociale et solidaire. « Nous devions trouver des clients avant de se lancer car notre structure était jeune et que nous n’aurions pas été en mesure de financer le premier bateau sans un engagement fort de futurs clients. C’est une proposition de valeur nouvelle et une banque ne peut pas prendre le risque de financer un tel projet sans la garantie que ce type de service rencontre une réelle demande. Donc, nous devions trouver des chargeurs qui prennent les risques, des clients qui s’engagent pour des années ». Windcoop est donc parti à la rencontre de chargeurs tous azimuts : épices, café, vêtements éco-responsables… « On était prêt à aller sur toutes les destinations (Amérique du Sud, Afrique de l’Ouest, etc). Et puis on a rencontré Arcadie ». L’entreprise française leader dans l’import d’épices bio et éthique équitable était, depuis quelque temps déjà, à la recherche d’un transport plus vertueux et avait contacté la compagnie morlaisienne Grain de Sail, qui exploite de petits voiliers-cargos. Celle-ci se concentrant sur du transport transatlantique, elle ne pouvait fournir la prestation souhaitée par Arcadie, dont les principaux imports proviennent de Turquie et, surtout, de Madagascar. Mathieu Brunet, président d’Arcadie, a alors proposé l’aventure à Windcoop : « Arcadie avait 2 M€ à investir et 40 conteneurs annuels garantis entre Madagascar et la France. Ils ont embarqué dans le projet et nous avons commencé à réfléchir à un voilier ».
L’option du moteur hybride
Les calculs d’échelle commencent. « On a beaucoup itéré. On a testé beaucoup de configurations et de design. On s’est rendu compte que si on faisait un bateau uniquement pour les besoins d’Arcadie, il serait petit et présenterait un prix de transport très cher, environ 20 000 € par conteneur. Il fallait donc faire un peu plus grand, et donc chercher d’autres clients pour massifier notre marché. La question de la propulsion s’est aussi beaucoup posée. La tentation première était de concevoir un pur voilier, très toilé, tout en formes, ce qui impliquait une capacité de chargement limitée. Mais nos plans se sont heurtés à la réalité : nous le savons, sur la ligne que le bateau empruntera, il y a des zones sans vent dans lesquelles il nous faudrait obligatoirement démarrer le moteur. Ces quelques passages au moteur, combiné à une capacité d’emport limitée, aboutissaient à un bilan carbone par conteneur transporté supérieur à celui d’un navire moins vélique et mieux « rempli ». Et que comparé à une propulsion hybride, un tel régime est en réalité moins performant quand on rapporte l’émission de CO2 par kilo transporté. En fait, après avoir testé différents designs, notre conclusion était la suivante : il n’y a pas d’entre deux possible : soit on fait le choix radical d’un pur voilier, avec une propulsion uniquement à la voile, mais alors on décide de se cantonner sur un marché d’ultra-niche et très cher ; soit on fait un bateau plus gros en assistant la navigation à la voile avec un moteur thermique, c’est le modèle hybride pour lequel nous avons opté », détaille Nils Joyeux.
Une unité entre France et Madagascar
Après beaucoup de travail, le choix s’arrête donc sur un bateau d’un peu plus de 90 mètres et de 210 boîtes sur une ligne entre la France et Madagascar, sur un itinéraire desservant les ports de Marseille, Tamatave, Diego Suarez et Majunga. Une ligne pour laquelle Windcoop dispose de « 45 lettres d’intention à long terme de chargeurs ». Des marchandises très diverses : les épices d’Arcadie, de la vanille, du cacao, des huiles essentielles, des vêtements, des produits agricoles vers la France et beaucoup de divers, effets personnels et produits de grande distribution vers Madagascar. « Nous avons eu plusieurs transitaires qui se sont engagés avec nous. Il y a un flux conséquent entre la France et Madagascar mais aucune compagnie maritime n’offre actuellement de route directe. Il y a toujours un ou deux transbordements, ce qui aboutit à un transit time compris entre 45 et 70 jours. Avec notre bateau, même en faisant le choix d’adopter une vitesse moyenne faible de 9 nœuds, nous offrons finalement un temps de transit très compétitif de 28 jours. Et clairement, cela a été un argument pour certains de nos chargeurs ».
Un contrat avec les chantiers RMK
Le plan de financement du navire est bouclé : 2.5 M€ ont été levés auprès de citoyens, 4.3 M€ auprès de personnes morales (les chargeurs comme Arcadie, Prova, Valrhona, ainsi que des fonds d’investissement privés et publics) et 23 M€ empruntés auprès de Banque Populaire Grand Ouest. La construction a donc été confiée au chantier turc RMK Marine, qui réalise déjà un premier cargo français à voiles, le Neoliner Origin, dont la livraison est prévue en juin. Celle du navire de Windcoop, dont les premières tôles seront découpées en 2026, doit intervenir en 2027. « Nous avons consulté de nombreux chantiers pour faire notre choix et avons finalement signé avec RMK qui, en plus de posséder une vraie appétence pour le vélique, avait le calendrier qui fonctionnait le mieux pour nous ».
Ne jamais recourir au dumping social
Le bateau devrait commencer ses rotations à l’été 2027 avec 10 membres d’équipage à son bord. « Nous avons un équipage complet, officiers et marins, malgache et un équipage complet français. Les deux nationalités navigueront ensemble, et tout le monde aura le même rythme d’embarquement, nous y tenons. L’un de nos engagements fondamentaux est de ne jamais recourir à quelque forme de dumping social ». Un deuxième bateau sur la ligne est déjà à l’étude, « pour arriver à être en mesure de proposer une rotation par mois ». La structure de SCIC a un capital variable ce qui permet à des nouveaux acteurs, y compris citoyens, de rejoindre l’aventure à tout moment pour devenir co-armateurs des navires de Windcoop.