Shipping Days (1/6) : les changements de paradigme dans la conteneurisation
Les Shipping Days se sont déroulés les 16 et 17 avril à La Rochelle. Nous diffuserons pendant les prochains jours un résumé des six conférences. Nous commençons avec le premier épisode sur la conteneurisation.
Les Shipping Days ont ouvert le cycle des conférences sur la conteneurisation. Les changements actuels comme les nouvelles alliances maritimes, la crise de la mer Rouge et la politique tarifaire de Donald Trump impactent cette filière. Jérôme de Ricqlès, expert maritime chez Upply, a commencé par dresser le paysage actuel du marché. En premier lieu, la surcapacité dans la conteneurisation se trouve « en partie masquée par le contournement des navires par le cap de Bonne-Espérance. » Cependant, il rappelle que « cela reste une épée de Damoclès au-dessus des compagnies maritimes dans l’hypothèse d’un retour par le canal de Suez ».
En octobre 2023, le 40’ se négocie à 1000$
Il rappelle que depuis 2016, les taux de fret sont « d’une maigreur confondante jusqu’au Covid ». Or, si pendant la pandémie, ils ont progressé, dès la fin de la crise, la tendance s’est inversée. « Il faut se souvenir qu’en octobre 2023, soit juste avant l’attaque du Galaxy Leader, le prix d’un 40’ entre l’Asie et l’Europe était sous les 1000$, c’est-à-dire sous le coût d’exploitation d’avant Covid. » Aujourd’hui, les taux reviennent au niveau d’avant Covid. Or, les coûts d’exploitation ont progressé.
Un conseil : « rester calme »
Il est revenu sur les flux transatlantiques entre l’Europe et les États-Unis. Ce marché est « installé », ce qui constitue une force pour se mettre au point. Et pour aller plus loin Jérôme de Ricqlès a alerté sur la taxe sur les droits de douane. « Derrière tout cela, nous assistons à un changement de paradigme. Le décalage est devenu important entre ce que l’administration de Donald Trump voudrait faire et ce qu’elle pourrait faire. Alors, un conseil aux praticiens, sur le Transatlantique, il faut rester calme pour le moment et se préparer à des solutions ».
Le transatlantique peu affecté, le transpacifique lourdement touché
Pour les commissionnaires en transport, la situation appelle à l’attentisme. En avril, le retour à 10% de taxes pour les produits européens, contre les 20% originalement prévu, « épargne le transatlantique », a indiqué Louise Drouin, déléguée aux affaires maritimes de TLF Overseas. Elle a élargi le débat sur le transpacifique. Avec 300 annulations de conteneurs par jour en ce milieu du mois d’avril, la situation est plus inquiétante.
La proximité de stockage et de lieu de production parmi les choix des chargeurs
Dans le baromètre réalisé pour l’année 2024, les chargeurs regardent le coût du passage portuaire « mais aussi la proximité des lieux de stockage et de production dans le port », a souligné Jean-Michel Garcia délégué aux affaires internationales de l’AUTF. Quant à la crise de la mer Rouge, l’impact a touché tous les interrogés. Cet impact a été plus important pour 83% des sondés. Du côté des congestions et des blocages, 66% des répondants avouent modifier les dessertes dans cette hypothèse.
Les grèves dans les ports ont impacté l’activité
En 2025, le contexte n’est guère meilleur. « L’incertitude s’accentue ». Les événements en Israël et à Gaza et la politique tarifaire du gouvernement de Donald Trump auront des impacts. La règlementation européenne comme celle sur les ajustements de carbone aux frontières a un impact sur les coûts et le lieu de sourcing. Autre paramètre important de ce début d’année, les grèves dans les ports en France a des impacts. Ainsi, « le contexte maritime est bien plus important cette année qu’en 2024. »
La difficulté d’anticiper la production
Face à ces crises, Louis Jonquière, président de l’Unim, a rappelé que certains éléments peuvent être anticipés quand d’autres le sont plus difficilement. Ainsi, l’augmentation de la capacité des navires et, par voie de conséquence, le gigantisme peut se préparer. Les crises géopolitiques sont plus compliquées. Le souci de l’industrie de la manutention vient des retards des navires. « 90% des navires que nous travaillons ne sont pas dans leur berthing windows, à savoir l’horaire initialement prévu d’arriver. Or, notre industrie est comme les autres, elle a besoin de prévision. » Dans ces conditions, la pression augmente à tous les niveaux, qu’il s’agisse des hommes, du matériel mais aussi des « gates » des terminaux. Les commissionnaires et les chargeurs subissent aussi cette pression. « Pour faire face à ces changements, nous tentons de trouver des solutions comme l’ouverture des terminaux à des heures supplémentaires qui sont coûteuses. »
La congestion des ports et le manque de prévisibilité
Pour une autorité portuaire, le contexte actuel est compliqué. « Nous ne savons pas où nous allons aujourd’hui », indique Dominique Mathern, représentant en France du port d’Anvers-Bruges. Outre le manque de prévisibilité, les ports souffrent de la congestion. L’exemple pour le port belge a été les « darks fleet » russes. Les navires ne pouvant plus décharger en raison des règlements européens, ils ont patienté devant le port. « Ils ont fini par congestionner l’entrée du port », confirme Dominique Mathern.
L’Europe a la mainmise sur le transport maritime
Quant aux alliances maritimes, « ce sera la solution, d’après elles, pour augmenter la qualité de service et la fiabilité. » Et Dominique Mathern a rappelé que les trois premières compagnies maritimes conteneurisées demeurent européennes. « Si la Chine a la mainmise sur la production, les États-Unis sur le digital, l’Europe a la mainmise sur le transport maritime. Alors, nous avons un rôle de souveraineté maritime européenne extrêmement puissant à jouer dans le monde. » Enfin, s’agissant des droits de douane, le port d’Anvers-Bruges croit dans les partenariats avec les autres ports.
L’impact des mouvements sociaux a surtout concerné l’export
Les mouvements sociaux dans les ports ont surtout impacté les flux à l’export, constate Louise Drouin. Ainsi, les conteneurs sont sortis par d’autres ports européens. « Cela implique un coût supplémentaire pour chaque boîte », rappelle la déléguée aux affaires maritimes de TLF. Ces coûts supplémentaires représentent une facture de 45 M€ de janvier à mi-mars, selon les données de TLF. « Alors, nous attendons une stabilité en 2025. »
La non-régularité des escales aggrave la situation
Pour répondre à ces chiffres, Louis Jonquière s’accorde sur ce discours. Les coûts supplémentaires liés aux mouvements sociaux sont indéniables. Cependant, la non-régularité des escales aggrave la situation. « En raison du caractère urgent d’une livraison d’une boîte, les opérateurs de la chaîne logistique vont recourir au transport routier plus fréquemment. Cela se fait au détriment du report modal. Or, utiliser le report modal permet une meilleure anticipation des flux et donc limiter les impacts. » Les nouvelles alliances assurent une meilleure régularité. « Cela permettra de programmer les escales et un report modal plus important. »
Intégrer le short sea dans le report modal
Ce transfert vers des modes de transports massifiés doit aussi intégrer le cabotage maritime. « Cette solution est une alternative avec le fleuve et le ferroviaire. Cependant, pour que ce mode fonctionne, il doit garantir une régularité et une fréquence », indique Dominique Mathern. Ce mode fonctionne avec la massification des flux en hinterland. Et Jean-Michel Garcia de rappeler que le cabotage maritime passe aussi par une organisation et une fiabilité portuaire. « Aujourd’hui, ce mode est encore trop méconnu des chargeurs. » Pour Louis Jonquière, le cabotage peut se développer sans investissements. « Les ports existent, les manutentionnaires sont présents, les navires existent. Il faut le promouvoir pour développer le tissu économique local. La solution passe par des moyens mutualisés. »