Corridors et logistique

Ferroviaire : une amélioration en 2024 et des besoins d’investissements dans le réseau

Le fret ferroviaire peine à se développer en France. Cependant, selon les derniers sondages de l’AUTF et de TLF, ce mode dispose d’un potentiel important. Et le gouvernement table sur une enveloppe de 2 Md€ sur la prochaine décennie. Il faudra chercher ailleurs que dans le transport routier pour financer ces projets, prévient l’OTRE.

Le fret ferroviaire en France a progressé en 2024. Il s’élève à 33 Md tkm. Une hausse de 12% par rapport à 2023. Cependant, tous les observateurs s’accordent à reconnaître que cette hausse ne suffit pas à rattraper les chiffres de 2022. En effet, les mouvements sociaux de 2023 en France ont fortement perturbé l’activité du fret ferroviaire. Alors, la reprise de 2024 n’est que partielle. De plus, l’éboulement survenu sur la voie de la Maurienne à l’été 2023 a perduré tout au long de l’année dernière.

Le prix du fret ferroviaire en retrait

Dans son baromètre annuel, TLF note que « le prix moyen annuel du fret ferroviaire a augmenté de 1,9 % en 2024. » Cependant, le prix moyen des flux nationaux s’affiche en retrait à fin 2024 (-1,5%). Une bonne nouvelle après les fortes hausses de 2022 et 2023. Pour leur part, les trajets internationaux s’inscrivent en augmentation de 4,5 % sur un an.

Un mode avec une organisation compréhensible

Des conditions économiques qui n’altèrent pas le sentiment des chargeurs face à ce mode. Dans leur baromètre annuel sur le fret ferroviaire, l’AUTF et Eurogroup Consulting indiquent qu’une grande majorité des opérateurs juge l’organisation de ce mode de transport « compréhensible et lisible ». Un chiffre en progression d’une année sur l’autre. Un élément qui plaide en faveur de ce mode de transport. Et pour aller plus loin, le baromètre place la visibilité de l’offre au premier rang des améliorations de l’offre ferroviaire. Le deuxième critère des chargeurs qui s’est amélioré est le respect de l’environnement. Enfin, 38% des panélistes considèrent que la flexibilité de l’offre ferroviaire s’améliore.

69% des chargeurs considèrent l’offre comme répondant partiellement à leurs besoins

Ces améliorations restent encore insuffisantes. Seuls 6% des chargeurs estiment que l’offre ferroviaire répond à leurs besoins. Ils sont 69% à estimer que l’offre n’apporte que des réponses partielles à leurs besoins. « Le transport ferroviaire conventionnel reste un mode de transport contraignant pour les chargeurs, qui doivent adapter leurs process et organisation afin de l’intégrer dans leur supply chain », indique le baromètre. La réponse partielle aux besoins s’explique par l’éloignement des plates-formes multimodales en raison d’un maillage territorial insuffisant, remarquent l’AUTF et Eurogroup Consulting.

Le report modal est une réalité pour 51% des chargeurs

Les industriels ont pris la mesure du report modal. Ainsi, le baromètre ferroviaire souligne que 51% des interrogés attestent transférer leur transport vers le ferroviaire ou le fluvial. Et ce report se fait à 49% vers le rail/route. Le transport ferroviaire conventionnel entre à hauteur de 34% et le fluvial représente 17%. Si le rail/route demeure la voie privilégiée de ce transfert, il perd 12 points en 2024 par rapport à 2023. Le baromètre pointe les critères de cette tendance. D’une part, l’amélioration de l’offre, notamment par la fiabilité et la flexibilité, motivent les chargeurs à hauteur de 64%, soit presque les deux tiers. Le second critère des chargeurs sont les incitations financières. Ainsi, le report modal se réalise, en partie, grâce aux aides.

Le short sea présente un potentiel plus élevé

L’amélioration de la perception de ce mode de transport reste malgré tout limitée. En effet, le baromètre met en lumière les perspectives de développement des chargeurs. 78% des interrogés estiment que le transport maritime à courte distance (short sea) a plus de potentiel de développement. Ils placent ensuite le rail/fleuve, puis le fleuve/route. Le rail/route n’entre qu’à hauteur de 30%. Ce sentiment se matérialise par un report modal inversé. Effectivement, 57% du panel déclare avoir transféré des flux du ferroviaire vers la route. Alors, 17% des panellistes indique « avoir modifié durablement son organisation logistique ».

Le report modal inversé lié aux grèves

Ce mouvement s’explique par l’impact des mouvements sociaux de 2023. En 2024, le nombre de mouvements sociaux dans le ferroviaire se réduit par rapport à l’année précédente. Cependant, 28% des chargeurs pensent que l’impact a été important. Ils sont autant à estimer l’impact faible.

Un maillage insuffisant

Cette analyse en profondeur du marché du ferroviaire par les chargeurs prend en compte les aspects opérationnels. Cependant, les opérateurs regrettent malgré tout un maillage insuffisant des plates-formes multimodales. Un rapport publié en mars dans le cadre de la Stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire (SNDFF) dresse un premier bilan des projets d’investissements. La SNDFF table sur une enveloppe de 4 Md€ dans les dix prochaines années pour ce mode.

Un financement de 2 Md€ sur dix ans

Financé par l’État à hauteur de 2 Md€, ce programme comporte deux originalités. La première tient à la démarche partenariale inédite associant SNCF Réseau, les opérateurs de fret ferroviaire et les chargeurs regroupés au sein de l’alliance Fret Ferroviaire Français du Futur (4F), et l’État par sa Direction Générale des Infrastructures des Transports et des Mobilités (DGITM). La seconde particularité de ce programme est de couvrir une période de dix ans, de 2023 à 2032. Il comprend à la fois des actions dites à « gains rapides » et des projets plus ambitieux qui nécessitent la réalisation d’études parfois complexes, de démarches administratives obligatoires, la recherche de cofinancements et la réservation de ressources humaines et capacitaires suffisamment longtemps à l’avance.

Développer le réseau capillaire

Les investissements visés par ce rapport concernent, en premier lieu, le réseau capillaire. Selon SNCF Réseau, il représente 2 000 km répartis dans 140 lignes. Selon l’autorité ferroviaire française, ce réseau capillaire accueille 16% du trafic fret national. Alors, « ne pas réaliser les investissements proposés aurait un impact négatif sur le trafic ferroviaire équivalent à 16% du marché actuel, soit environ 5,5 Mds tkm », indique le rapport.

Améliorer l’offre de wagon isolé par les centres de tri par gravité

En deuxième lieu, les centres de tri par gravité nécessitent une enveloppe de 156 M€. Actuellement, quatre centres existent en France : Woippy, Sibelin, Miramas et Le Bourget. Les investissements visent principalement les voies de service des installations, les freins de ces voies et les systèmes de protection assistés par informatique. Ces centres de tri permettent de développer l’offre de wagon isolé. Or, note le rapport, sans investissements, ces installations seraient vouées à la disparition. De plus, « en supposant que 80% du marché du wagon isolé est dépendant des sites de tri à la gravité, un tel renoncement entraînerait la perte de 19% du marché, soit environ 7 Mds de tkm. Il handicaperait par ailleurs la croissance des trafics conventionnels qui doit notamment venir du segment des services de wagons isolés. »

Redimensionner les infrastructures

Le troisième volet de ce programme concerne les voies de service. Il se compose de 10 000 km de voies. « Ce patrimoine est surdimensionné, en raison notamment des évolutions de trafic que le fret ferroviaire a connu ces dernières décennies. » Compte tenu de cette « sous-utilisation », SNCF Réseau envisage de « redimensionner les infrastructures au plus près des besoins actuels et futurs, et mettre en œuvre une dynamique commerciale cohérente. » Pour l’autorité ferroviaire, il s’agit notamment de cibler les investissements. Elle considère l’enveloppe nécessaire à hauteur de 75 M€ par an.

Connecter les systèmes d’informations

Le quatrième point a pour objectif de connecter et rendre interopérable des systèmes d’information entre SNCF Réseau et les opérateurs. « L’objectif est d’harmoniser et fluidifier les échanges d’information. Cet environnement connecté permettra de simplifier le parcours clients de bout en bout, depuis l’expression de besoin jusqu’à la circulation », indique le rapport. Le cinquième point table sur le développement des Installations Terminales Embranchées (ITE). Le soutien des ITE se fera par les mécanismes d’aide à la création et la modernisation mis en œuvre par l’État et les régions, conformément aux programmes convenus dans chaque Contrat de Plan État Région.

Donner un nouveau souffle aux terminaux rail/route

Autre domaine d’investissements prévus par le rapport, l’allocation de sommes pour développer les terminaux rail/route. Selon le document, les capacités atteignent leurs limites. Alors, le manque d’investissements sur la dernière décennie entraîne leur saturation. Par voie de conséquence, le rail/route ne peut se développer. Le besoin est important. « Le déficit de 500 000 manutentions doit être comblé avec la création de 13 nouveaux terminaux à localiser et à définir dans le cadre des études régionales », indique le rapport. Pour y parvenir, il faudra investir 1,1 Md€ dont 430 M€ pour la création de nouvelles installations.

Une stratégie d’aménagement des terminaux de ferroutage

Parmi les autres points envisagés pour le développement du fret ferroviaire se retrouve le ferroutage. Le rapport reste encore évasif sur le sujet. Il suggère que soit défini une « stratégie d’aménagement du réseau ferré national visant la couverture de l’ensemble du territoire par un réseau de services de transport de semi-remorques. Elle complète d’autres mesures opérationnelles comme la création de nouveaux terminaux, le lancement de nouveaux services, la réalisation de premiers travaux d’augmentation de gabarit sur réseau. »

Taxer le routier pour financer le ferroviaire

Ces différents axes de développement du fret ferroviaire nécessitent, des investissements lourds. Pour atteindre ces objectifs, le PDG du groupe SNCF, Jean-Pierre Farandou, propose de taxer le transport routier. Il s’agit d’une piste parmi d’autres. La proposition du PDG de la SNCF est de taxer les poids lourds. Une piste que l’OTRE juge difficile pour un secteur déjà exsangue ». Selon l’organisation routière, le transport routier français présente les marges les plus faibles d’Europe. De plus, continue l’OTRE, « le secteur est asphyxié par la fiscalité et les normes. » Et elle dénonce une volonté de remettre sur la table une « écotaxe généralisée ».

La nécessité d’une coopération globale

Dans un rapport publié en avril, Rail Freight propose des exemples de développement du ferroviaire dans les ports européens. Ce document insiste sur l’importance de la coopération entre les opérateurs logistiques, les ports et les administrations. Le développement du ferroviaire en France et en Europe passe par une analyse économique des besoins, voire un engagement à utiliser ce mode, avant d’ouvrir le porte-monnaie.