Corridors et logistique

Route arctique : la Chine démarre une ligne directe

La Chine lance en septembre son premier service maritime par la route arctique. En théorie, le projet présente des avantages. En pratique, la situation est toute autre.

L’ouverture en septembre d’une ligne maritime conteneurisé par la route arctique suscite des interrogations. Pour le courtier de fret Intermodal, « la Chine s’apprête à franchir une étape importante avec le lancement de son premier service conteneur entre l’Asie et l’Europe via la route maritime du Nord (Northern Sea Route – NSR). » Cette ligne maritime ouvre une nouvelle dimension. Pour la première fois, un service régulier Asie-Europe transite par l’Arctique russe. Il reliera Qingdao, Shanghai et Ningbo-Zhoushan à Felixstowe, Rotterdam, Hambourg et Gdansk. Une liaison qui se fera en 18 jours, « soit moins de la moitié du temps nécessaire via le canal de Suez », précise Intermodal.

Une route pour les marchandises à haute valeur ajoutée

Pour mémoire, MSC et CMA CGM ont annoncé officiellement leur renoncement à emprunter cette route pour des services maritimes en 2021. Alors, l’ouverture de cette liaison suscite des interrogations. En théorie, « l’intérêt est évident », souligne Intermodal. En effet, cette route évite la zone du détroit de Bab el Mandeb avec les risques d’attaque des Houthis. Elle réduit le temps de transport par rapport à la route par le cap de Bonne Espérance. « Pour les marchandises à haute valeur ajoutée et sensibles au facteur temps, de la mode éphémère à l’électronique grand public, la NSR offre une livraison plus rapide, des coûts d’inventaire réduits et la possibilité d’éviter la saison des fêtes en Europe. » Le ministère chinois des Transports a même mis en place un système de surveillance en temps réel de la banquise arctique afin de rassurer les clients sur la sécurité de la navigation.

Un service saisonnier

Cependant, la réalité est parfois toute autre. Intermodal rappelle que ce service restera strictement saisonnier. Il est limité à la période de juillet à novembre, jusqu’à ce que des porte-conteneurs de classe glace puissent prolonger la saison d’exploitation. Alors, cette année, un seul voyage est prévu. En revanche, la route de Suez offre une fiabilité tout au long de l’année et les économies d’échelle qui accompagnent les navires de plus de 20 000 EVP. « Le premier navire de l’Arctique est lancé avec un navire de 4 890 EVP, ce qui est important pour la navigation dans les glaces, mais modeste pour le commerce entre l’Asie et l’Europe. »

Les risques liés au manque d’infrastructures

Les contraintes de cette route arctique ne sont pas nouvelles. Dès 2018, plusieurs observateurs ont exprimé des inquiétudes sur l’utilisation de ce passage. En effet, la fonte des glaces peut ouvrir de nouveaux couloirs de navigation. Néanmoins, l’infrastructure clairsemée de la région, les conditions de glace imprévisibles et le manque de capacités de recherche et de sauvetage impliquent risques opérationnels. Aujourd’hui, la Russie propose des services de brise-glace. Une mesure qui ne suffit pas. « Les assureurs et les affréteurs restent méfiants à l’égard d’une voie plus liée à la géopolitique qu’à la stabilité commerciale. »

La route arctique comme révélateur diplomatique

En effet, la géopolitique est indissociable de cette histoire. La Russie a fait de la NSR une priorité stratégique. Elle met en avant les prestations de Rosatom pour développer les infrastructures et le soutien des brise-glaces. La Chine, quant à elle, considère le transport maritime dans l’Arctique comme faisant partie de sa « route de la soie polaire. » De plus, l’ouverture de cette route s’inscrit dans le renforcement des relations sino-russes. Ainsi, les sociétés chinoises investissent localement. Elles sont présentes dans des ports arctiques comme Arkhangelsk. Elles développent de nouveaux porte-conteneurs brise-glace.

Se libérer de la puissance navale occidentale

La route arctique offre également à la Chine un corridor moins vulnérable à la puissance navale occidentale et à la pression des sanctions. Un élément que les décideurs politiques européens conservent en mémoire. Par exemple, le retour en service cet été dans l’Arctique du New Polar Bear, un navire impliqué dans l’incident du pipeline Baltic Connector en 2023, illustre le poids diplomatique et la réputation dont souffrent certains opérateurs chinois. Pour les pays européens, déjà préoccupés par la sécurité des infrastructures maritimes, une présence chinoise accrue dans l’Arctique sera examinée d’un œil aussi critique sur le plan politique que commercial.

Une route marginale

Du point de vue du marché maritime, l’émergence de la route arctique est à la fois intrigante et marginale. Intrigante, car elle offre une véritable alternative à un moment où les chaînes d’approvisionnement mondiales ont besoin de résilience et de diversification. Marginale, car le volume commercial qu’elle peut transporter reste minime par rapport aux échanges commerciaux via Suez et le cap. Pour l’instant, les voyages dans l’Arctique serviront les transporteurs de niche à la recherche de rapidité. « Les services arctiques ne constitueront pas l’épine dorsale du commerce entre l’Asie et l’Europe », souligne le courtier.

Un optimisme prudent

La route arctique reste un atout pour réduire le temps de transport et « ouvrir une voie commerciale supplémentaire viable. » Dans ce contexte, le changement climatique joue un rôle majeur. Cependant, pour que ce passage se pérennise, plusieurs conditions doivent être réunies. En premier lieu, il faut parier sur une intensification du réchauffement afin d’éroder les glaces. En second lieu, le développement de la NSR dépend de l’entrée en flotte de navires classés pour la glace. Néanmoins, « le fossé entre la théorie et la pratique reste large. Les lacunes en matière d’infrastructures, les risques environnementaux et la politique consistant à s’en remettre à la Russie en tant que gardienne de la route font que le seul optimisme réaliste est la prudence. »

La route arctique: une soupape de pression occasionnelle

Le courtier de fret reste réaliste. « La leçon à tirer est de ne pas considérer l’Arctique comme un substitut au canal de Suez. Il est une couverture saisonnière, une soupape de pression que certains opérateurs, en particulier chinois, peuvent exploiter dans des conditions favorables. » Le service de ligne maritime par l’arctique n’est peut-être pas révolutionnaire. Mais, sa résurgence apparaît comme un signal : « l’Arctique n’est plus un lointain mirage pour la conteneurisation, mais un corridor qui passe lentement de l’expérimentation à une réalité commerciale limitée. »