Faire de La Martinique le Singapour français des Caraïbes
Après l’adoption en mai de la stratégie logistique de La Martinique, Sandra Casanova propose de transformer l’île en un hub à la Singapour sans pour autant faire un copié-collé du développement de l’île-État.
En mai, l’assemblée de la Collectivité territoriale de la Martinique a adopté « une stratégie logistique ambitieuse, plaçant l’île au cœur des dynamiques régionales de la Grande Caraïbe ».
La dématérialisation des documents de transport
Cette ambition comprend une dimension digitale. La Collectivité territoriale est lauréate du projet eFTI4ALL, de l’Union européenne. Il prévoit la dématérialisation des documents de transport. « Il permet d’instaurer un corridor numérique sécurisé entre la Martinique, les États membres de l’Union européenne et les pays tiers de la région », souligne la CTM.
Les cinq points de la stratégie logistique de La Martinique
Cette stratégie logistique se retrouve dans un document d’une centaine de pages. Elle repose sur cinq points :
- La modernisation des infrastructures : ports, aéroports et hubs intermodaux aux normes internationales ;
- La digitalisation des processus : systèmes d’information interconnectés et fluides ;
- Le renforcement de la coopération régionale avec les pays de la Grande Caraïbe ;
- Le soutien à l’innovation locale pour faire émerger des champions caribéens de la logistique verte et intelligente ;
- Et, la sécurisation des flux logistiques par une meilleure anticipation et coordination entre les acteurs publics et privés.
S’inspirer du modèle de Singapour
Et Sandra Casanova, experte en stratégie territoriale, logistique durable et coopération internationale, va encore plus loin. Elle propose : « si La Martinique s’inspirait du modèle singapourien ? » Pour la consultante, dans la comparaison entre Singapour et La Martinique, l’Île aux Fleurs n’a pas à rougir. D’une part, elle dispose d’une superficie du double de celle de Singapour. Alors, elle propose de transformer l’île. « Et si, nous aussi, nous pouvions transformer notre insularité en atout stratégique ? »
Les potentiels inexploités de l’île
La consultante continue en rappelant les potentiels inexploités de l’île. « Notre économie reste dominée par la consommation importée et peine à se projeter comme un hub régional », constate Sandra Casanova. Elle demeure réaliste et tient compte des spécificités locales. Elle appelle à s’inspirer du modèle singapourien sans copier « un modèle autoritaire ». En premier lieu, amener La Martinique à ce statut signifie de planifier à l’horizon 2050 une stratégie politique pour l’île.
Faire des ports et aéroports des portes d’entrées régionales
Ensuite, il convient de bâtir une stratégie logistique. Pour cela, elle propose de « faire de nos ports et aéroports des portes d’entrée régionales, via une zone franche industrielle et d’exportation. » En troisième lieu, elle appelle à investir dans le capital humain. Un point qui passe par une éducation multilingue, une formation aux métiers de demain et à l’innovation locale. Le quatrième point sur lequel elle propose de s’attacher est l’attractivité économique. Elle souhaite que soit mis en place un cadre stable, transparent et incitatif pour les investisseurs. Enfin, la stratégie de La Martinique doit aussi passer par la valorisation des ressources naturelles que sont l’agriculture, les énergies renouvelables et les filières vertes.
Construire son propre modèle
Pour Sandra Casanova, La Martinique doit construire son propre modèle caribéen en s’inspirant de Singapour. Il faut « transformer un territoire limité en taille en un acteur illimité en influence. » Alors, demain, La Martinique pourrait devenir un hub logistique et innovant de la Grande Caraïbe, reliant l’Europe, l’Amérique latine et le reste du monde. Elle appelle aussi à ne pas faire un copié-collé du « modèle autoritaire » de Singapour à La Martinique. Elle imagine un modèle s’inspirant de l’île-État.
Revoir les liens entre La Martinique et l’État français
Pour parvenir à cet objectif, La Martinique a besoin de changer de braquet. D’une part, elle doit revoir ses liens avec la Métropole. Un sujet que le Congrès des Élus de la Martinique a abordé le 8 octobre. Il propose une nouvelle relation entre La Martinique et la République. Un projet qui doit encore être présenté aux Martiniquais pour adhésion. Ensuite, il sera débattu avec les élus à partir de 2027. Il ne s’agit pas d’indépendance de l’île mais de transférer des pouvoirs normatifs de la Métropole vers La Martinique.
Revoir le coût de la manutention
D’autre part, le positionnement du port comme un hub régional passe par la garantie de la sécurité. Les mouvements récents, parfois violents, ne plaident pas en faveur de ce virage vers un hub financier et logistique. Encore, pour devenir un hub logistique, le coût de la manutention est à envisager. Face aux ports de Jamaïque, de Panama et de Colombie, le transbordement en Martinique s’alignera difficilement. La révision à la baisse de ces coûts peut provoquer un choc social.
Une idée qui germe depuis 2016
Ensuite, cette position de hub caribéen n’est pas nouvelle. En 2016, lors de l’agrandissement des écluses du canal de Panama, chaque pays et chaque île a tenté de s’imposer comme un hub. Face à la concurrence de la Colombie et de la Jamaïque, les opérateurs logistiques ont relayé le rôle des deux ports français de la Caraïbe au rang de hub régional. Pour finir, c’est le groupe CMA CGM qui a décidé d’organiser les deux ports caribéens et celui de Guyane en hubs mais pour ses lignes.
Concéder le terminal à un groupe indépendant
Encore, devenir un hub ne se décrète pas. Aujourd’hui, les principaux hubs mondiaux, comme Singapour, s’articulent autour de manutentionnaires qui sont indépendants des armateurs. Ainsi, à Singapour la manutention est assurée par Port Authority of Singapore (PSA), sans liens avec des armateurs. Les principaux hubs mondiaux se déclinent sur ce modèle. Ils se développent avec des sociétés comme DP World, Ictsi et Hutchison Ports. Dès lors qu’un armement prend une part majoritaire dans un terminal, les autres compagnies maritimes tendent à sortir. L’exemple du port de Gioia Tauro est emblématique. Depuis sa reprise par la filiale de MSC, il est déserté des autres armements. Alors, faire de La Martinique un hub logistique signifierait de disposer de d’un nouvel opérateur aux côtés du groupe CMA CGM. Qui acceptera de venir et à quelles conditions ? Ce projet tient à des réformes d’ampleur pour l’île.
Un projet coûteux
Par ailleurs, un hub logistique portuaire et aéroportuaire doit présenter des atouts pour s’imposer face à ses concurrents. Cela passe par la capacité du port à recevoir des navires de dernière génération, les Neo-Panamax. À l’heure actuelle, ces navires ne peuvent pas accéder au terminal à conteneurs de la Pointe des Grives. Or, ils sont essentiels dans la logique de hub entre navires-mères et feeders. De plus, ces navires exigent de disposer de portiques adaptés pour décharger au plus vite les navires-mères dans leur rotation. De plus, un hub doit disposer d’un terminal étendu ou d’un système de gestion optimale de ses quais. À titre d’exemple, les quais du port de Hong-Kong sont limités en raison de la configuration de l’île. Cependant, avec une gestion optimale de l’espace et des capacités de manutention, le port chinois atteint un trafic de 20 MEVP chaque année. Alors, pour porter le GPM de La Martinique à ce niveau, il faudra des investissements. Ainsi, si le projet est coûteux, il a le mérite de poser sur la table un débat sur l’avenir logistique de l’île