Conteneurs : fin de cycle, ou pas
En entamant le second semestre, les analystes prédisent un atterrissage des taux de fret qui ne se fera peut-être pas doucement.
Les marchés du monde maritime vivent des heures difficiles. Les vracs secs subissent des baisses en raison de la situation géopolitique. Un contexte qui se décline aussi dans la filière conteneur.
Un semestre différent
Dans son analyse du 30 juin, le consultant britannique Drewry annonce un second semestre différent des premiers mois de l’année. « Le marché de la conteneurisation a pris un virage, mais n’attendez pas une normalisation douce », averti Simon Heaney, senior manager conteneurs chez Drewry.
Érosion des taux de fret
Depuis quatre mois, les taux de fret des différentes routes maritimes s’érodent par rapport à l’année dernière. Des taux qui perdent de leur teneur même si les volumes transportés accusent un repli sur les derniers mois. « Nous avons toujours su que des taux élevés n’étaient pas tenables sur le long terme. La question était de savoir quand le marché prendrait son virage et à quelle allure », continue le consultant britannique.
Une offre atténuée
Une approche partagée par Jérôme de Ricqlès, expert maritime chez Upply. « Le scénario dans lequel nous avions estimé que les compagnies maritimes garderaient la main s’est concrétisé sur le premier semestre. » L’offre forte du début de l’année s’est atténuée au fur et à mesure des mois, continue l’expert maritime.
Des stocks importants chez les détaillants
Plusieurs raisons expliquent cette situation, indique Jérôme de Ricqlès. Après la consommation effrénée de la fin de 2021, les détaillants disposent de stocks importants. D’autre part, la hausse des coûts logistiques a pesé sur la demande. « Après la consommation importante, les ménages occidentaux se tournent plus vers la consommation de services que de biens ». Une analyse partagée par le consultant britannique. Le monde est enfermé dans une « polycrise » : crise de confiance, crise de la demande, crise de la chaîne logistique.
La congestion portuaire, carte maîtresse des armateurs
Et pour Drewry, la carte maîtresse réside dans la congestion portuaire. Elle est entre les mains des armateurs. « Retirer cette congestion et nous pouvons nous attendre à une normalisation douce », indique Simon Heaney. Les relevés AIS des navires montent que le nombre de porte-conteneurs en attente devant les principaux ports reste élevé.
Pas de solution avant 2023
Cette congestion portuaire ne devrait pas se résoudre avant le premier semestre 2023 pour 48% des responsables interrogés. Et 40% des sondés indiquent être encore plus pessimistes en devant attendre plus longtemps la résorption de cette congestion.
Assouplir la politique du Zéro Covid
Le consultant de Drewry ne prévoit pas d’amélioration tant que la Chine n’aura pas assoupli sa politique du « Zéro Covid ». D’autre part, les négociations actuelles entre dockers et manutentionnaires des ports de l’ouest des États-Unis peuvent faire empirer la situation. Pour Jérôme de Ricqlès, l’avenir semble dépendre d’autres éléments. D’abord, il n’imagine pas que la situation dans les ports de la côte ouest américaine puisse envenimer les choses.
Congestion portuaire à l’ouest et l’est des États-Unis
En effet, une partie des trafics ont décidé de se reporter sur les ports de la côte est du pays. Cela entraînant une nouvelle congestion à l’est mais avec une situation moins catastrophique qu’il n’y a quelques mois. Quant à la situation en Chine, elle reste contenue. Le tsunami attendu lors de la fin du confinement de Shanghai n’a finalement pas eu lieu. Les commandes demeurent mais avec un flux contrôlé.
Imaginer des nouveaux relais de croissance
La question de l’attitude du gouvernement chinois devra être examiné à la loupe dans les prochaines semaines. Le contrôle de l’inflation dans les pays occidentaux amène une baisse de la consommation. Dans ce contexte, les ménages consomment moins et, par voie de conséquence, commandent moins auprès des entreprises chinoises. Or, le gouvernement de Pékin a prévu une croissance de 5,5% qui sera difficile d’atteindre. Dans ces conditions, il devra trouver, voire imaginer, de nouveaux relais de croissance.
Les niveaux de consommation demeurent élevés
Pour S&P Global, le marché va rester dans des niveaux de croissance économique malgré la situation géopolitique. « Cependant, précise S&P Global dans son analyse trimestrielle, des signes d’un ralentissement apparaissent ». Les besoins en biens manufacturés restent à des niveaux élevés en Europe, aux États-Unis et dans certains pays d’Asie. La Chine, pour sa part, voit sa production baisser en dessous des niveaux d’avant la crise Covid.
L’arme du blank sailing
Les prochains mois devraient s’avérer décisif pour les chaînes logistiques maritimes. D’un côté, le contrôle de l’inflation avec des politiques monétaires dures vont difficilement faire reprendre la consommation. D’un autre côté les compagnies maritimes devront garder la main sur le marché. Pour cela, elles disposent d’une arme qui a fait ses preuves : les blanks sailings ou annulation d’escales.
Éviter de voir les taux de fret spots rejoindre les taux contractuels
Cette stratégie d’entreprise permettra aux armateurs de conserver des taux de fret à des niveaux élevés. « Nous allons passer un cap en voyant les taux de fret baisser pour rester sur des niveaux à quatre chiffres, contre cinq actuellement. Ils vont entrer dans un terrain plus acceptable pour les opérateurs du marché », continue Jérôme de Ricqlès. Une stratégie qui évitera de voir les taux FAK rejoindre ceux des contrats annuels. En effet, le risque d’une baisse trop importante des taux spots et donc rejoindre le niveau des taux de fret négociés annuellement pourrait déboucher sur un nouveau round de négociation entre armateurs et chargeurs directs. Une partie de poker que ni l’une ni l’autre partie n’est assurée de gagner.