Charbon : la Suisse en croque, financièrement
Dans un document publié en novembre, l’organisation non gouvernementale suisse Public Eye dénonce le poids de la Suisse dans le commerce de charbon. Elle demande à « décarboner » la place financière suisse en se retirant du commerce du charbon.
En pleine COP 27, l’organisation non gouvernementale suisse Public Eye vient de jeter un pavé dans la mare, ou plutôt un morceau de charbon dans le jardin écologique de la Suisse. Réunis à Sharm el Sheikh, les gouvernements négocient pour décarboner la croissance économique. Cette décarbonation passera par un retrait progressif des énergies fossiles, pétrole, charbon et gaz.
345 sociétés suisses impliquées dans le charbon
Parce que les pays producteurs de charbon ne sont pas toujours les seuls responsables, Public Eye braque les projecteurs sur le rôle de la Suisse dans le commerce du charbon. L’ONG suisse a identifié plus de 345 sociétés basées sur son territoire actives dans le commerce du charbon. « Elles couvrent 40% du commerce mondial et extraient plus de 500 Mt chaque année », indique le rapport de Public Eye.
L’angle mort de la politique climatique
La participation indirecte des sociétés suisses dans ce commerce constitue un « angle mort de la politique climatique de la Suisse », continue Public Eye. Et pourtant, la dernière mine suisse de charbon a fermé au sortir de la seconde guerre mondiale, en 1947. Depuis lors, la confédération helvétique produit son électricité à partir de sources hydrauliques à 58,1%, du nucléaire à hauteur de 32,9%, 6,7% d’énergies renouvelables et 2,3% d’énergies fossiles. Alors, pour l’administration helvétique la conclusion s’impose d’elle-même : 65% de l’électricité est fournie depuis des énergies renouvelables. Ce choix de se tourner très tôt vers les énergies renouvelables a été porté par une géographie adaptée.
Le choix de la Suisse pour sa fiscalité
Le poids des énergies fossiles dans le mix énergétique de la Suisse cache cependant le poids économique que le charbon joue dans le pays. Les 245 sociétés suisses actives dans le négoce du charbon n’ont pas choisi le pays alpin pour son fuseau horaire. « Au rang des principaux avantages comparatifs de la Suisse, citons une fiscalité avantageuse ; la proximité avec les banques helvétiques et européennes, promptes à investir des capitaux ; la stabilité politique et monétaire ; une logistique facilitée ainsi qu’une certaine culture du laisser-faire économique et régulatoire », souligne Public Eye.
Les cantons de Baar et de Zoug préférés
La Suisse abrite un quadrilatère d’or des sociétés actives dans le charbon. Un des sommets de ce quadrilatère se situe à Baar avec l’implantation de Glencore. La société possède 26 mines de charbon dans le monde. « Grâce à sa fusion avec le géant minier Xstrata, en 2013, Glencore est devenu le leader incontesté de la suie », indique le rapport de Public Eye. Le deuxième sommet se situe dans le canton de Zoug, au sud de Zürich. Le plus petit canton suisse est devenu, dans les années 90, le pied à terre des sociétés minières russes après la chute du mur de Berlin.
Genève a pris le train charbonnier
La décision du gouvernement fédéral d’appliquer les mêmes sanctions contre la Russie après l’invasion de l’Ukraine a incité ces sociétés à déménager leur activité commerciale charbonnière à Dubaï. Le troisième sommet de ce triangle se retrouve à Genève. La cité des bords du lac Léman a pris le train du charbon en marche et accueille désormais des groupes tel que Mercuria et Adani, propriétaires de mines en Afrique du Sud et en Inde.
Le Tessin a rejoint les autres cantons
Enfin, pour clore le périmètre de ce quadrilatère, la place de Lugano, dans le Tessin, est devenue un lieu de résidence de groupes actifs dans le monde de l’énergie. Après l’installation de Duferco, négociant qui a su s’imposer dans les aciéries russes et ukrainiennes, d’autres sociétés l’ont rejoint pour former une place de négoce de charbon.
500 Mt négociées en Suisse
Au total, les sociétés suisses traitent, bon an mal an, la commercialisation de plus de 500 Mt de charbon. Un marché qui ne salit pas le pays puisque ces produits transitent loin des vallées suisses. Le charbon n’a pas fini de produire ses effets. S’il est l’énergie fossile le moins cher à extraire, il est aussi le plus polluant. Dans les discours sur la transition énergétique, les gouvernements plaident en faveur du gaz, qui reste un hydrocarbure fossile, de l’hydrogène avant de pouvoir compter sur les énergies renouvelables pour produire toute l’électricité nécessaire.
5,4 Mdt de CO2 indirectes
« Rien que pour la Suisse, les émissions « indirectes » générées par la production, le transport et la combustion du charbon des sociétés installées sur son territoire représentent près de 5,4 milliards de tonnes de CO2 par an. De quoi convertir la Suisse en une gigantesque montagne de charbon fumante », continue le rapport de Public Eye. Dans son approche, Public Eye demande que la Suisse sorte du charbon notamment dans son approche financière.
Le charbon face aux sanctions
Si le charbon apparaît comme une source d’énergie polluante, elle reste une alternative qui a encore le soutien des gouvernements. Face aux sanctions contre le gaz russe et la difficulté pour les pays européens de trouver du gaz depuis d’autres pays, certains, à l’image de l’Allemagne ont décidé de réactiver les centrales thermiques pour assurer aux populations de l’électricité.
Une production de 8 Mdt
Dans ce contexte, la production de charbon n’a eu de cesse de progresser cette année. Ainsi, en 2022, la production de charbon devrait atteindre 8 Mdt. Un record dans les annales des miniers. Le principal producteur mondial de charbon est la Chine avec 3,7 Mdt. Viennent ensuite l’Inde avec 775 Mt, les États-Unis avec 641 Mt, l’Indonésie avec 601 Mt et l’Australie avec 504 Mt. Les producteurs peuvent aussi être des importateurs importants. Ainsi, la Chine, premier producteur est aussi le premier importateur mondial.
Plus de 1 Mdt échangées
Selon l’Association internationale de l’énergie, les flux de charbon thermique devraient augmenter de 4,3% en 2022 et franchir le cap des 1000 Mt échangées. Quant au charbon pour l’industrie métallurgique, les échanges sont estimés en hausse de 1,3% à environ 310 Mt.
L’Indonésie, premier exportateur mondial
Le dernier rapport de l’Association internationale de l’énergie rappelle que l’Indonésie a été le premier exportateur mondial de charbon thermique en 2021 avec 434 Mt, en progression de 6,6%. L’Australie vient ensuite avec 199 Mt suivie par les États-Unis qui ont livré 36 MT sur les marchés internationaux. Seule l’Afrique du Sud a vu ses échanges baisser de 9 Mt à 66 Mt. Une diminution des flux liée à des perturbations ferroviaires dans le pays. S’agissant du charbon pour la métallurgie, l’Australie a vu ses exportations se réduire en raison des tensions diplomatiques avec la Chine. En 2021, le premier exportateur de charbon métallurgique ont été les États-Unis avec 41 Mt suivi par la Russie avec 32 Mt.
L’Australie et l’Afrique du Sud face aux perturbations logistiques
En 2022, les sanctions contre le charbon russe vont modifier les échanges internationaux. L’Australie et l’Afrique du Sud ne devraient pas suppléer le charbon russe en raison des conditions météorologiques qui perturbent les acheminements en Australie et des mouvements sociaux dans les services ferroviaires sud-africains. Selon le rapport de l’AIE, l’Indonésie devrait en partie suppléer à l’absence de la Russie ainsi que des pays comme le Mozambique et la Tanzanie.
Un choix politique
Alors, pour ces pays d’Afrique de l’Est, entrer sur les marchés internationaux représentent une entrée de devises non négligeables. Dans ses revendications, Public Eye demande que la Suisse soit plus sévère vis-à-vis des sociétés impliquées dans le négoce de charbon. Faut-il laisser partir ces sociétés sous d’autres cieux plus cléments ou les accepter sur le territoire de l’Europe tout en leur demandant d’accélérer la transition énergétique ? Il s’agit d’un choix politique plus qu’économique.