Juridique et social

Loi d’Orientation des Mobilités: l’analyse des articles 35 et 35 bis

La Loi d’Orientation des Mobilités (la LOM) a suscité des inquiétudes dans le monde portuaire. Au travers des articles 35 et 35 bis de ce texte, Reynald Briec, avocat associé chez EY, revient sur les conséquences de ce texte. L’avocat explique les avancées majeures que la LOM apportera pour favoriser l’investissement privé sur le domaine public des Grands ports maritimes français.

A l’issue de la réforme portuaire engagée par la loi n° 2008-660 du 4 juillet 2008, les nouveaux grands ports maritimes anciennement ports autonomes, ont bénéficié d’un transfert en pleine propriété du domaine public portuaire. Les missions de ces nouveaux établissements publics ont également été redéfinies, principalement dédiées désormais à « la gestion et la valorisation du domaine » (Article L.5312-2 du code des transports).
Dans le même temps, les autorités portuaires ont été poussées hors de l’exploitation des activités portuaires, celles-ci devant laisser la place, sauf exceptions strictes, aux opérateurs économiques. (Articles 7,8 et 9 de la loi n°2008-660 du 4 juillet 2008). Or, en l’absence de prise en charge de ces activités, l’essentiel des recettes est désormais issu des redevances domaniales, le rôle du Port étant recentré sur sa fonction d’aménageur.
Dans le cadre de cette redéfinition des missions, un réel besoin est apparu en matière d’investissement sur le domaine public portuaire. Toutefois, un cadre juridique toujours plus repoussoir pour les investisseurs privés a été mis en place au fur et à mesure des réformes affectant la domanialité publique.

© Hervé Deiss

Les terminaux doivent en effet faire l’objet de convention de terminal, ces dernières devant être conclues à l’issue d’une procédure « ouverte, transparente et non discriminatoire » (Article R5312-84 du code des transports). Par ailleurs, le régime juridique de ces conventions a fait l’objet de nombreux débats devant les prétoires, fragilisant davantage les relations entre autorités portuaires et occupants (sur ce point, en particulier, les débats autour de la qualification du contrat d’exploitation du Terminal du Verdon. Conseil d’État 14 février 2017). La précarité des occupants du domaine portuaire s’est également accentuée avec l’introduction des nouvelles obligations issues de l’ordonnance du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques. Par principe, le grand port maritime, comme toute autorité portuaire publique, doit désormais engager une publicité et une procédure de sélection préalable à la délivrance d’un titre d’occupation en vue de l’exercice d’une activité économique (Ordonnance n°2017-562 du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques). Le domaine public, déjà peu attractif au regard des modalités de valorisation des investissements portés par les opérateurs économiques (en fin d’occupation domaniale, le principe reste une destruction des ouvrages existants ou, à défaut, une reprise à la simple valeur nette comptable), devenait de ce fait une source d’insécurité juridique quant à la qualification donnée aux titres d’occupation et de contentieux au regard des procédures qui y sont désormais attachés.
Dans ce contexte, il était attendu du législateur des réformes profondes du droit positif en vigueur afin d’apporter des gages de sécurité dans le cadre des relations contractuelles entre opérateurs économiques et autorités publiques, et favoriser par là-même l’investissement privé sur les emprises portuaires, quitte à bousculer quelque peu l’ordonnancement juridique…
C’est là le but poursuivi par les articles 35 et 35 bis du projet de Loi d’Orientation des Mobilités (Projet de loi d’orientation des mobilités -TRET 1821032L). Ces deux articles réforment en profondeur, uniquement et exclusivement pour le domaine public des grands ports maritimes, certains principes attachés à la domanialité publique.

Un caractère non concessif

En premier lieu, un effort de clarification bienvenu est à noter puisque l’article 35 précise que les conventions de terminaux sont, par principe, des autorisations d’occupations temporaires. Contrairement aux analyses doctrinales qui avaient animés les juristes depuis deux ans, le législateur confirme ainsi le caractère non concessif de ces titres. Il ne s’agit donc pas de contrats de la commande publique, sauf lorsque l’occupation visée répond à un besoin spécifique du grand port maritime propriétaire. Cette dernière qualification sera toutefois très rare. Elle pourra être retenue exceptionnellement pour des projets à caractère de service public ou des missions d’intérêt général. On pensera bien évidemment à des terminaux dédiés à l’alimentation de notre territoire en énergie, tels que terminaux méthaniers, bien que, même dans ce dernier cas, la qualification en concession pourra prêter à discussion. Au total, la mise en concurrence des opérateurs de terminaux ne passera donc pas par la case procédure concession particulièrement longue et réglementée pour laisser aux ports la possibilité d’engager une sélection plus souple, respectueuse de l’égalité de traitement des candidats mais selon un processus adapté aux spécificités du terminal visé.

La fin de la reprise obligatoire à la simple valeur comptable

En second lieu, et sur ce point le domaine portuaire prend très clairement ses distances avec le régime domanial général, l’article 35 ouvre la possibilité aux grands ports maritimes d’indemniser leurs cocontractants, exploitants de terminaux, pour les ouvrages, constructions, biens meubles et immeubles construits ou financés par ces derniers et perdurant à l’issue du titre d’occupation. Exit la reprise à la valeur nette comptable lorsque le port, dans un geste de clémence, n’ordonnait pas la destruction des équipements édifiés pour une activité. Le contrat d’occupation peut désormais prévoir par anticipation le rachat des équipements privés à une valeur vénale. Il est fort à parier que cette disposition sera jalousée par les collectivités locales et autres propriétaires publiques qui ne disposent pas d’une telle latitude. Les opérateurs de terminaux peuvent en tout état de cause se réjouir de cette avancée qui leur permettra d’envisager des investissements nouveaux en cours d’exécution de convention et même en fin d’occupation sans craindre que ces efforts financiers ne soient réduits à néant par une déconstruction rendue obligatoire ou une indemnisation plafonnée à un amortissement résiduel.
Cet article prévoit également la possibilité pour les grands ports maritimes de céder ces biens au nouvel entrant. Ce dernier, désigné à l’issue d’une mise en concurrence, devra s’acquitter d’un droit d’entrée afin d’indemniser le Port des financements opérés au profit de son prédécesseur.
Pour accompagner cette mesure qui vise très clairement à inciter et mieux valoriser les investissements effectués par les opérateurs économiques sur le domaine public portuaire, le législateur a également souhaité refondre le régime des droits réels dont peuvent bénéficier les occupants du domaine public. Jusqu’alors, les occupants du domaine public ne pouvaient bénéficier de droits réels que pour les ouvrages qu’ils avaient édifiés ; ces droits réels permettant ainsi de garantir les créanciers-prêteurs. Afin que l’opérateur entrant, qui s’est acquitté d’un droit d’entrée, mais qui n’a pas édifié lesdits équipements, puisse également rassurer les prêteurs éventuels dont il aurait besoin pour financer son installation, l’article 35 élargit le spectre des droit réels aux simples financements sans construction attachée. Ces droits réels sont même érigés en principe pour les opérateurs qui devront s’acquitter de cette soulte au profit de l’autorité portuaire.
Enfin, l’article 35bis complète ce nouveau corpus juridico-financier à disposition des investisseurs portuaires par la possibilité, pour ces derniers, d’utiliser les droits réels et équipements non hypothéqués dont ils bénéficient sur une emprise portuaire pour garantir la réalisation, l’acquisition, la modification ou l’extension d’autres équipements mobiliers situés sur une autre dépendance du même grand port maritime. L’exploitant d’un terminal pourra ainsi, à titre d’exemple, garantir le financement d’un hangar par un autre hangar qu’il a érigé sur un autre terminal qu’il exploite au sein de l’emprise du port.

Au total, ces articles confirment la nécessité de mettre en œuvre une procédure de mise en concurrence pour l’octroi des conventions de terminaux. Toutefois, il convient de noter que la qualification de concession tant redoutée, tant pour ses aspects procéduraux que par les pouvoirs de contrôle qu’elle confère aux autorités portuaires, est désormais limitée à des cas rarissimes. Mais c’est sans doute la possibilité d’obtenir une indemnisation à la valeur vénale des équipements réalisés qui retiendra l’attention des opérateurs portuaires et les encouragera à investir sur les terminaux français. Cette nouvelle possibilité dans la relation public-privé devra cependant trouver une rédaction adéquate dans les conventions de terminaux. La méthode d’évaluation n’est pas imposée par le texte de loi et fera probablement l’objet d’âpres négociations. La méthode de l’Actif Net Réévalué, ou méthode patrimoniale, ne devrait pas pouvoir être appliquée. L’occupant portuaire n’est pas propriétaire des actifs qu’il exploite. Il dispose seulement, et au mieux, de droits réels sur ces actifs. L’actif net est ainsi principalement constitué d’aménagements et d’installations sur sol d’autrui à faible valeur de marché et non susceptibles de réévaluation par rapport à la valeur comptable. Cette méthode est par ailleurs fonction d’une valorisation passée, au regard des flux générés lors de la convention qui prendra fin.

A cet égard, il devrait être pris en considération qu’il ne s’agit pas de valoriser un actif au regard de contrats avec des clients de l’opérateur sortant (soit somme toute un fonds de commerce), mais au regard du potentiel futur des équipements qui feront l’objet d’une indemnisation à son profit (soit une valorisation à l’aulne de la trésorerie que sont susceptibles de dégager les actifs que souhaite conserver l’autorité portuaire pour les mettre à disposition d’un tiers). A cet égard, la méthode DCF (discounted cash flows) selon laquelle la valeur d’un actif est égale à la valeur actuelle nette des flux de trésoreries futures qu’il génère pourrait être utilement mise en œuvre. La durée et le taux d’actualisation sera appréciée au cas par cas en fonction des actifs considérés.