Ports

Susah, un port pour tous les libyens

En Libye, deux gouvernements se partagent le pays. La situation politique reste tendue depuis la chute de Mouammar Kadhafi. Alors que les deux gouvernements libyens se disputent la reconnaissance internationale, ils ont réussi à se mettre d’accord pour créer, dans la ville de Susah un port qui doit profiter à l’ensemble de la population du pays.

En Libye la situation politique reste tendue. Selon les différentes agences de presse présentes sur le territoire, la sécurité reste un vain mot. Politiquement, depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011, le pays est divisé en deux. Un accord signé entre les différents protagonistes politiques libyens devraient déboucher sur une transition démocratique. Le contexte politique et économique du pays reste néanmoins tendu. La sécurité des biens et des personnes n’est pas assurée dans le sud du pays. Le site du Quai d’Orsay fait état, dans le sud d’une agitation « par des tensions entre divers groupes et communautés (Ouled Slimanes, Toubous, Touaregs, Arabes Zwaï) qui sont en concurrence pour le contrôle des villes (Ubari, Sabha, Murzuq), des axes routiers et des ressources économiques. »

La Libye tire ses ressources de la production pétrolière. Elle est aussi située au cœur de la Méditerranée et pourrait, pour cela, bénéficier d’une situation stratégique dans l’économie des transports maritimes. Au début de la décennie le groupe Bolloré l’avait déjà envisagé. Avant la chute de Mouammar Kadhafi, le groupe français a remporté la concession du terminal à conteneurs de Misurata. Les mouvements de 2011 et la situation politique qui s’en est suivie n’ont pas permis au groupe Bolloré de prendre ses marques et d’investir dans ce terminal. La Libye dispose malgré tout d’atouts de taille pour disposer de ports avec des tirants d’eau naturels élevés.

Persuadé qu’il existe un potentiel portuaire dans ce pays, le groupe de Michael Guidry a décidé de s’investir pour créer un port dans la ville de Susah (voir la position sur la carte). Situé à 1300 km à l’est de Tripoli, sur la rive est de la baie de Syrte, Susah dispose à ce jour uniquement d’un port de pêche. L’atout principal de ce port est de disposer d’un chenal d’accès qui n’a pas besoin d’être dragué. « Les courants naturels localement permettent de maintenir le tirant d’eau du port », explique Michael Guidry. Un des critères qui a poussé le gouvernement local à choisir cette cité. « Le port de Misurata doit être régulièrement dragué et doit subir de nombreuses réparations. Il serait trop onéreux de reprendre de faire de ce port un futur hub ».

Le dernier port construit en Libye l’a été en 1985. « Depuis lors, les ports ont connu des améliorations mais restent en inférieurs aux standards internationaux. Il faut que la Libye s’assure d’une capacité d’entrée des produits mais aussi d’entrer dans la concurrence des hubs de transbordement dans la région », explique le président du groupe Guidry. Alors, quand il est envisagé d’investir pour mettre les ports actuels aux standards internationaux, Michael Guidry rejette cette option qu’il a estimé plus coûteuse que de créer un port ex-nihilo. D’autant plus que l’économie portuaire libyenne « gagne de l’argent actuellement et cela malgré la crise politique et économique du pays ».

Un contrat DBOT

Le projet de port de Susah est né en 2012. Quelques mois après la chute de Mouammar Khadafi, le gouvernement en place à l’époque décide de créer un port qui sera accepté par les deux pouvoirs politiques du pays. En avril 2012, l’autorité portuaire nationale de Libye attribue la concession du projet de port à Susah au groupe américain de Michael Guidry. Le contrat entre le gouvernement libyen et le groupe de Michael Guidry porte sur un contrat de DBOT (Design, Build, Operate and Transfer ; Concevoir, construire, opéré et transféré) pour une durée de 35 ans. Les études de faisabilité sont réalisées depuis le mois de septembre 2017 et sont achevées. « Nous avons terminé les études et nous pensons que nous pourrons contractualiser avec un consortium dans la première semaine de mars pour commencer les travaux », nous a confié Michael Guidry, président du Guidry Group. Il a fallu presque six ans de procédures depuis le lancement du projet mais, « la guerre civile a beaucoup retardé certaines prises de décisions », continue le président du groupe américain.

Michael Guidry, président du Guidry Group: « Nous avons terminé les études et nous pensons que nous pourrons contractualiser avec un consortium dans la première semaine de mars pour commencer les travaux. »

Michael Guidry a œuvré dans de nombreuses directions. Il lui a fallu faire de la diplomatie pour convaincre les deux gouvernements libyens de s’associer à ce projet. « Nous avons dû prendre le temps de nous assurer du soutien des deux gouvernements. Aujourd’hui, nous avons réussi à faire admettre que le projet du port de Susah sera de créer un port pour tous les libyens et pas uniquement pour l’un ou l’autre des pouvoirs politiques ».

Michael Guidry présente ce projet pour donner au port de Susah une dimension de centre logistique dans la région. « Nous souhaitons faire de Susah un port conteneurs et pour les marchandises conventionnelles ainsi qu’une porte d’entrée sur toute l’Afrique du nord. Il offrira au gouvernement libyen une nouvelle ère vers l’amélioration des infrastructures qui comprendra des installations portuaires mais aussi de nouvelles routes et de nouvelles opportunités de développement pour les libyens », assure Michael Guidry. Le document du projet veut mettre en avant les industries locales et notamment par le recours au ciment produit localement ou aux métaux ferreux. Le futur opérateur du terminal devra investir dans la formation du personnel local.

Le projet de port à Susah comprend plusieurs dimensions. Il prévoit de créer des terminaux à conteneurs, pour les marchandises conventionnelles et pour le pétrole et le gaz. La construction se fera en plusieurs phases, annonce le groupe de Michael Guidry.

Le terminal à conteneurs devrait pouvoir assure la manutention de 35 conteneurs par heure avec chaque portique. Le terminal conventionnel sera situé à côté du terminal à conteneurs. Un terminal croisières ainsi que des installations pour le trafic roulier sont prévues à terme. Une zone logistique et une zone franche sont prévues.

Le phasage du port de Susah doit se faire en fonction de différents critères déterminés par le concessionnaire de la concession : le volume de conteneurs pour le transbordement mais aussi pour le marché local, les conditions de financement par les institutions financières internationales, et l’implication du gouvernement pour le succès de ce projet. La première phase du projet comprend la construction du terminal à conteneurs avec un quai de 600 m, quatre portiques post-Panamax, une souille du terminal et un bassin d’évitage à 18 m, une digue et des bâtiments. Le volume prévu du terminal à conteneurs dans sa première phase prévoit un volume de 670 000 EVP par an. La seconde phase du projet prévoit la construction de 300 m de quai supplémentaires pour atteindre 900 m au global, la mise en service de deux nouveaux portiques post-Panamax et de nouveaux bâtiments pour les services de support. Cette phase permettra au terminal d’atteindre un trafic d’environ 1M EVP. La troisième phase de ce projet devrait donner 450 m supplémentaires de quais pour le terminal à conteneurs et quatre nouveaux portiques. Cette ultime phase devrait porter le trafic du port à 1,5M EVP. Un terminal avec un quai de 800 m pour les marchandises conventionnelles qui pourra accueillir aussi des trafics de colis lourds ou du roulier. Derrière ce terminal conventionnel, il est prévu de construire une zone de stockage de 20 hectares.

Ce ne sera que plus tard, dans ce que Michael Guidry appelle les phases ultimes que sont prévues la construction d’une zone logistique d’une quinzaine d’hectares, la construction de routes, un terminal gazier et pétrolier d’une superficie de 12 hectares et un terminal croisières de cinq hectares.

Pour que le port puisse jouer un rôle de hub de transbordement, le projet du groupe américain prévoit de certifier ce terminal selon les normes de sûreté ISPS.

Hervé Deiss

Guidry Group, un conseiller de crise qui évolue vers l’investissement

Le groupe de Michael Guidry, Guidry Group, a été créé en 1985. Il a pour vocation d’intervenir dans le cadre des kidnappings et des demandes de rançons. Il est ensuite intervenu pour apporter des solutions sécuritaires aux personnalités qui souhaitaient se rendre dans des endroits difficiles de la planète. Il est présent dans 148 pays. Cette dimension sécuritaire évolue vers le métier d’investisseur dans des infrastructures. Le projet du port de Susah constitue la première étape du groupe.

Aujourd’hui, l’implication de la société de Michael Guidry dans le projet libyen peut surprendre compte tenu des relations politiques et diplomatiques entre les États-Unis et la Libye. Pour le président du groupe, la vocation de Guidry Group est d’intervenir pour aider le pays à sortir de la crise sécuritaire en apportant un projet économique. « Le gouvernement ne nous met pas de bâtons dans les roues sur ce projet », précise Michael Guidry.