Corridors et logistique

Route de la Soie : les porcs français bouderont-ils les ports chinois ?

Une étude menée par l’AFEAA, Association France-Eurasie pour l’agroalimentaire, soutenue par FranceAgriMer analyse les flux potentiels de produits agroalimentaires à faire transiter entre la France et la Chine par la Route de la Soie.

Déjà en 2014, Inaporc, interprofession Nationale Porcine, a réalisé une enquête pour acheminer depuis la région Bretagne vers la Chine une partie de la production porcine locale. L’étude devait identifier et analyser les freins à l’utilisation du ferroviaire entre les deux pays. La mise en place en août 2014 d’un embargo par les autorités russes sur les produits agroalimentaires européens a coupé court à toutes démarches supplémentaires. Il est difficile d’éviter le réseau ferroviaire russe entre la France et la Chine.
En juillet 2019, les autorités chinoises ont fait pression sur le gouvernement de Moscow pour lever les blocages de ces produits entre l’Europe et la Chine. Des discussions sont en cours actuellement sur un dispositif de scellés électroniques des conteneurs qui garantirait le maintien fermé des boîtes pendant leur transit. Ce frein pourrait être levé dans les prochaines semaines selon la volonté du gouvernement russe.
Imaginer l’acheminement de viande porcine ou de produits agroalimentaires entre la France et la Chine pourrait bientôt devenir une réalité. « La Chine est structurellement déficitaire en produits agroalimentaires en raison de son déficit de terres arables et de son manque d’eau. Elle a besoin d’importer de nombreux produits qui sont aujourd’hui acheminés par voie maritime par les trois principaux ports de Tianjin, Shanghai et Shenzhen », a expliqué Didier Delzescaux, directeur de Inaporc. La nouvelle étude menée par l’AFEAA, association France-Eurasie pour l’agroalimentaire et soutenue par FranceAgriMer, vise à identifier tous les aspects techniques, les coûts économiques et les points qu’il faut travailler pour une utilisation régulière de cette route de la Soie. « Notre objectif vise à exporter une partie de notre production de viande porcine avec un test grandeur nature avant la fin de l’année », a annoncé le directeur d’Inaporc. La Chine a importé 3 Mt de viande de porc en 2019, un flux en progression de 50%. Et cela devrait encore s’accroître en 2020 en raison de la peste porcine qui sévit actuellement dans l’Empire du milieu. Le cheptel tend à se réduire fortement alors que la demande continue de s’accroître. Et la France pèse un peu plus de 5% avec 170 000 t de viande porcine exportée en Chine en 2019.

Dourges: le coeur des Routes de la Soie en France

Ainsi, l’étude de l’AFEAA prend toute sa dimension aujourd’hui. Le premier constat posé par l’AFEAA montre que la France n’a qu’un rôle mineur dans ce projet de Route de la Soie. Aujourd’hui hormis Dourges et Vénissieux, dans une moindre proportion, aucun centre ferroviaire français ne reçoit de trains directs depuis la Chine. Dans le même temps, en Allemagne, aux Pays-Bas ou en Pologne, des trains relient régulièrement les centres ferroviaires à la Chine.

La plate-forme multimodale de Dourges, point de connexion avec le réseau de la Route de la Soie. ©DR

Les contraintes pour utiliser ce mode de transport tient à des contraintes techniques. Les écartements de rail entre les différents pays n’est pas unifié. Le changement de train dépend de la route utilisée : soit par celle du transsibérien avec trois changements soit par le sud à travers la Biélorussie, le Kazakhstan et la Russie avec quatre changements. La solution existe pour résoudre ce problème en soulevant le wagon ou en changeant les bogies. Des options qui augmentent considérablement le temps de transit entre les deux points d’origine. Ensuite, à chacun de ces changements, les conteneurs sont manutentionnés. Or, dans le cas de la viande porcine, les conteneurs utilisés étant des reefers, la rupture de la chaîne du froid est grande. À chaque problème sa solution, il serait possible d’utiliser des conteneurs à température dirigée disposant d’unités de réfrigération autonomes. Une solution qui aura un coût non négligeable sur le prix du produit à l’arrivée. L’AFEAA propose alors deux options : soit négocier directement avec une société de location de conteneurs pour disposer d’une flotte de boîtes suffisante et d’un contrat à l’année, soit de démarrer les flux avec des conteneurs frigorifiques autonomes selon les disponibilités et de créer la demande pour inciter l’offre. Enfin, l’achat en propre de conteneurs frigorifiques autonomes serait aussi une solution avec la contrainte de devoir maintenir le parc mais surtout de disposer d’un parc de 400 conteneurs pour assurer une rotation hebdomadaire.
Les contraintes règlementaires interviennent aussi. Avec l’embargo russe sur les produits agroalimentaires, les conteneurs doivent être équipés de scellés électroniques pour veiller à ce que la boîte n’ait pas été ouverte au cours du transit en Russie. La question des formalités douanières se pose aussi fortement. Si dans les ports chinois, les autorités douanières sont accoutumées avec ces produits, les points de passage des frontières terrestres n’ont pas l’habitude de gérer ces produits. « Le risque de blocage est important, explique Inna Krivosheeva, chargée de mission à l’AFEAA. Un travail en amont visant à préparer le dédouanement avec l’administration chinoise, les transporteurs et les clients chinois doit être mis en place avant d’envoyer les conteneurs en Chine par le train ». Le blocage d’un conteneur lors du passage d’une frontière peut avarier les produits.
L’économie doit aussi être analysée en profondeur pour valider le choix ferroviaire de la logistique de la viande. L’expédition par voie maritime de viande coûte entre 13 et 15 centimes d’€ par kilo. Ce fret passe à 30 centimes d’€ par voie ferroviaire, en intégrant les subventions que peuvent recevoir les transporteurs et les chargeurs. Selon l’étude de l’AFEAA, la subvention chinoise pour un transport de Bretagne vers la Chine de l’est peut s’élever à 4 000€. Dans le même temps, les autorités chinoises ont indiqué que le prix du transport ferroviaire pourrait augmenter dans les prochaines semaines. Ces prix et les subventions sont déterminés par la régions chinoises. Pour éviter de prendre des risques financiers trop lourds, l’étude préconise d’attendre la publication des règles des subventions et suivre les négociations avec les régions chinoises pour choisir le bon itinéraire en fonction de la demande.

Rennes-Chine: 1800€ le billet de train par kilo

Si des points

Le coût du transport de viande porcine par voie ferroviaire vers la Chine s’estime aux alentours de 23 centimes d’€ le kilo. ©DR

de blocage sont encore à lever, « notamment du côté chinois », a insisté Didier Delzescaux, l’option d’une chaîne logistique ferroviaire entre la Chine et la France peut devenir rapidement une réalité. Plusieurs dossiers ont été demandés à des transitaires. Forwardis, filiale du groupe SNCF, a proposé plusieurs scénarios.

Le coût de transport serait de l’ordre de 15 centimes à 23 centimes par kilo dans un conteneur dry et entre 23 et 28 centimes d’€ dans un conteneur frigorifique. Le trajet serait assuré soit avec des trains multi-clients depuis la plate-forme de Dourges soit depuis des centres ferroviaires en Allemagne ou en Belgique. Autre devis remis, par la société Clasquin, qui prévoit un départ depuis Dourges. Le pré-acheminement de la Bretagne vers Dourges est assuré par voie routière. Le coût varie de 1950$ (1792€) pour un conteneur dry de Rennes à Tianjin (région de Pékin) et de 2850$ (2619€) pour un conteneur vers Shenzhen (sud de la Chine). La société ULTC, filiale des chemins de fer russe, a proposé un prix de transport de 2288€ pour un conteneur EQP dry entre Rennes et la Chine et de 2198€ pour le même trajet avec un conteneur frigorifique. Cette offre s’accompagne aussi d’une solution qui utiliserait en partie le transport maritime depuis la France jusqu’à Kaliningrad, d’où partent des lignes de chemin de fer sur le réseau russe jusqu’à la frontière avec la Chine. Si cette solution paraît plus longue, elle évite des transbordements ferroviaires à certains points frontières. Cependant, il n’existe que peu de liaisons avec Kaliningrad. Un point qui pourrait faire augmenter considérablement le coût du transport.