Juridique et social

Travail portuaire : la Cour européenne ne valide pas la libéralisation en Belgique

Une décision de la Cour européenne du 11 février rappelle qu’une loi peut réserver le travail sur les quais aux ouvriers reconnus. Cela doit se faire dans certaines conditions. Il semble que les syndicats aient gagné une bataille.

Le 11 février, sur une question préjudicielle, la Cour européenne a conclu à la possibilité pour une loi nationale de reconnaître un droit réservé aux ouvriers portuaires. Ce droit réservé doit néanmoins viser à « garantir la sécurité dans les zones portuaires et la prévention des accidents du travail ».

Une enquête de la Commission

La décision est intervenue après renvoi par un tribunal belge d’une question préjudicielle. En droit belge, le travail portuaire est régi par une loi stipulant que seuls les ouvriers portuaires reconnus ne peuvent intervenir sur les quais. Dans ce contexte, la Commission européenne a ouvert une enquête en 2014. Elle a demandé au gouvernement de revoir sa règlementation parce qu’elle enfreignait le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).

Une nouvelle règlementation belge

Devant cette injonction, le gouvernement de Bruxelles s’est plié à la demande de l’UE en promulguant un arrêté royal en 2016 relatif à la reconnaissance des ouvriers portuaires dans les zones portuaires. Le texte a établi les modalités de mise en œuvre de la loi organisant le travail portuaire, ce qui avait conduit la Commission à clore la procédure d’infraction à son encontre.

Deux affaires pour revenir sur cet arrêté

Deux sociétés de manutention belges, Katoen Natie Bulk Terminals et General Services Antwerp ont demandé au conseil d’État belge d’annuler ce texte aux motifs qu’il empêchait les deux manutentionnaires d’embaucher du personnel en provenance d’autres États membres. Autre affaire sur le même principe juridique. La société Middlegate Europe a été sanctionné d’une amende par la police belge pour avoir fait travailler un ouvrier portuaire non reconnu. L’affaire est montée jusque devant la Cour constitutionnelle belge qui a renvoyé une question préjudicielle à la Cour européenne.

Liberté d’établissement dans un port belge

Deux affaires belges qui amènent la Cour européenne à se prononcer sur le droit du travail portuaire. Pour la Cour européenne il fallait se prononcer sur la liberté d’établissement d’une sociétés européenne dans un port belge en premier lieu. Dans un premier temps, la Cour européenne reconnaît qu’en obligeant les sociétés qui souhaitent exercer des activités en Belgique de devoir avoir recours à des ouvriers portuaires reconnus « empêche de telles entreprises d’avoir recours à leur propre personnel ou de recruter d’autres ouvriers non reconnus. Dès lors, cette réglementation, qui peut rendre moins attrayant l’établissement de ces entreprises en Belgique ou la prestation, par celles-ci, de services dans cet État membre, constitue une restriction à ces deux libertés d’établissement et de prestation de services, garanties respectivement par les articles 49 et 56 TFUE », indique l’arrêt de la Cour.

Une règlementation euro-compatible

Dans un second temps, la Cour nuance cette réponse. Elle estime que la règlementation ne peut être considérée comme « inapte ou disproportionnée pour atteindre l’objectif qu’elle vise, à savoir la garantie de la sécurité dans les zones portuaires et la prévention des accidents du travail ». Dans ces conditions, elle a jugé que la règlementation belge est compatible avec les règles du TFUE.

Des règles claires et transparentes

Cette restriction a cependant une limite. La Cour a posé que « les conditions et modalités fixées en application de cette réglementation, d’une part, soient fondées sur des critères objectifs, non discriminatoires, connus à l’avance et permettant aux ouvriers portuaires d’autres États membres de démontrer qu’ils répondent, dans leur État d’origine, à des exigences équivalentes à celles appliquées aux ouvriers portuaires nationaux et, d’autre part, n’établissent pas un contingent limité d’ouvriers pouvant faire l’objet d’une telle reconnaissance », continue l’arrêt.

Liberté de circulation des travailleurs: la Belgique a faux

Outre la liberté d’établissement, la Cour européenne s’est penchée sur la liberté de circulation des travailleurs. Pour la juridiction européenne, la règlementation belge restreint la liberté de circulation à l’intérieur de l’UE des travailleurs portuaires.

Par ces affaires jointes, en plus de la réponse qu’elle devait donner à cette question, la Cour était invitée à dégager des critères supplémentaires permettant de clarifier la conformité du régime des ouvriers portuaires aux exigences du droit de l’UE. Or, dans la règlementation belge, il est prévu que les ouvriers portuaires seront reconnus par une commission administrative paritaire. Cette commission décide du nombre d’ouvriers portuaires reconnus en fonction du travail. La durée de leur reconnaissance est donc liée à la durée de leur contrat de travail. Enfin, la commission n’est tenue à aucun délai maximum de réponse. Dans ces conditions, la juridiction européenne considère que cette commission ne participe pas à la garantie de sécurité demandée et porte atteinte à la liberté de circulation.

Les tests visent à la sécurité en zone portuaire

Ensuite, la Cour a estimé que les tests réalisés pour la reconnaissance des ouvriers portuaires (tests de formation professionnelle et psychologiques) entrent dans l’objectif de sécurité du travail en zone portuaire. Cette exigence n’est donc pas une atteinte à la liberté de circulation des travailleurs.

De plus, lorsqu’un ouvrier aura obtenu sa reconnaissance dans un régime légal antérieur, il pourra prétendre à être repris dans le nouveau régime. Encore, la Cour a validé la règlementation belge permettant à un ouvrier de travailler dans une autre zone portuaire que celle pour laquelle il a été reconnu. Ce dispositif est conforme à la règlementation européenne.

Les certificats de sécurité sont valables

Enfin, la juridiction européenne reconnaît la validité du certificat de sécurité des travailleurs logistiques prévu par la convention collective. L’obligation de disposer de tels certificats n’est pas une restriction à la liberté de circuler des travailleurs « pour autant que les conditions de délivrance d’un tel certificat soient nécessaires et proportionnées par rapport à l’objectif de garantir la sécurité dans les zones portuaires et que la procédure prévue pour son obtention n’impose pas de charges administratives déraisonnables et disproportionnées. »

Le refus de la libéralisation par les syndicats

En septembre 2020, après les différentes réquisitions dans les deux affaires, les syndicats belges ont craint une « libéralisation du travail des dockers ». Le dirigeant de la société Katoen Natie a souvent déclaré que la Loi Major, qui régit le travail sur les quais belges, était un frein aux affaires. Pour les syndicats de dockers, et notamment Solidaire, l’arrêt de la Cour européenne prend une dimension sociale importante. Il doit éviter le recours à des sociétés d’intérim pour réaliser les tâches des ouvriers portuaires.

Pour Solidaire, « la question du statut des travailleurs et de la protection sociale ne concerne pas seulement les travailleurs portuaires. Il n’y a qu’à voir tous les secteurs où le travail est flexibilisé, où les syndicats n’ont pas la possibilité d’imposer des règles strictes, où le dumping social représente une menace constante. »