Automobile : la logistique bientôt en panne sèche
À l’occasion de son assemblée générale du mois d’octobre, European Car Group, regroupant les logisticiens de la filière automobile, a alerté sur le manque de moyens de la filière pour assurer ses prestations.
Et si demain, après avoir acheté votre nouvelle voiture, le vendeur vous annonçait que votre véhicule ne peut vous être livré. Une situation qui ne semble pas si ubuesque. Déjà en 2021, ECG s’inquiétait d’une situation tendue entre constructeur automobile et logisticiens. En effet, la baisse de production des véhicules en raison des difficultés d’approvisionnement de matériaux et de semi-conducteurs a incité les logisticiens à demander l’ouverture de négociations entre constructeurs et prestataires pour maintenir le niveau de service.
Crises après crises, les investissements manquent
En 2022, la situation s’est inversée. Les constructeurs cherchent à sécuriser les capacités logistiques dans un marché qui s’est réduit. Depuis plusieurs années, les opérateurs logistiques n’ont pas investi. « Nous avons vécu la crise sanitaire en 2020 suivie par une demande en forte progression. Des années difficiles qui ont restreint les investissements chez les logisticiens », a commencé par rappeler Wolfgang Göbel, président d’ECG. Et le directeur général de ECG, Mike Sturgeon d’ajouter, « alors même que les volumes de véhicules neufs devraient commencer à se redresser, cette pénurie de moyens logistiques constitue un défi important à relever ».
Une capacité réduite de 27% dans le transport routier
Ce manque de moyens logistiques a été mis en évidence lors d’une étude réalisée par ECG en octobre. Dans le transport routier, le sondage réalisé auprès des six principaux opérateurs montre que 27% de la capacité a été envoyée à la casse, soit environ 1500 camions. De plus, entre 5% et 10% de la flotte est arrêtée en raison du manque de chauffeurs. D’autre part, un grand nombre de sociétés, opérant en sous-traitants, ont cessé leur activité. « Une donnée qui reste encore difficile à chiffrer », continue l’étude.
Le manque de chauffeurs
Dans ce mode de transport, une des principales causes aux difficultés vient du manque de chauffeur. L’attrait pour cette filière s’amenuise en raison des conditions de travail par rapport à d’autres secteurs du transport routier. En 2021, la pénurie de chauffeurs s’est élevée à 10%. Elle pourrait atteindre 14% à la fin de cette année, soit 600 000 emplois. Pour y faire face, les constructeurs automobiles ont négocié des capacités en propre. « Cette tendance réduit encore plus les capacités puisque ces camions sont immobilisés quand le constructeur automobile n’en a pas l’usage », a continué le président d’ECG.
Vente de navires pour le marché asiatique
Du côté du transport maritime, et notamment du transport maritime à courte distance (TMCD) en Europe, le manque de capacité vient de la vente de nombreux navires. Les plus anciens ont été envoyés à la casse alors que d’autres ont été vendus à des intérêts asiatiques pour assurer les flux intracontinentaux. Encore, la forte demande en Asie a incité les opérateurs à déployer des unités vers ce continent au détriment de l’Europe.
Un carnet de commande bas
La solution serait d’augmenter les commandes auprès des chantiers. Or, l’étude d’ECG montre que le temps d’attente pour un navire neuf varie entre cinq ans et six ans. Les prochains navires attendus pour le marché sont destinés aux flux intercontinentaux quand le marché continental nécessite de nouvelles capacités. Ajouté à ces différents éléments, la congestion portuaire impacte lourdement les rotations. L’étude met en lumière des temps d’attente des navires en raison de cette congestion et du manque de personnel dans les ports à environ 10% de jours de rotation en moins au cours du premier semestre de cette année.
Ferroviaire : un handicap lié aux nombreux travaux
Quant au transport ferroviaire, il subit les mêmes handicaps. Les wagons et les locomotives les plus anciens ont été envoyés à la casse. Outre cette capacité réduite, ECG met en lumière les nombreux travaux sur l’infrastructure, notamment en Allemagne. En juillet, ce sont plus de 1000 sites en travaux outre-Rhin sans compter les désagréments sur les lignes les plus petites. Des perturbations qui allongent de 35% le temps de transport en raison des déviations.
Le fer se bat pour l’énergie et l’Ukraine
Ces difficultés s’ajoutent à la réticence des opérateurs ferroviaires de travailler pour cette filière en raison du manque de visibilité sur le long terme, indique ECG. Et le ferroviaire accumule aussi le handicap du manque de conducteurs de trains. Enfin, le ferroviaire privilégie aujourd’hui le transport pour l’énergie comme le charbon ainsi que le matériel de guerre destiné à l’Ukraine. Autant de raisons qui pousse ce mode de transport loin de la logistique automobile.
Revoir les relations contractuelles entre constructeurs et logisticiens
Le rapport publié par ECG propose des solutions pour sortir de cette ornière, « même s’il n’y a pas de lumière au bout du tunnel », précise le président d’ECG, Wolfgang Göbel. Globalement, la sortie de crise doit passer, pour les membres de l’organisation européenne par une approche plus générale. Elle propose des contrats à long terme avec un partage de risques, une prévisibilité des flux et des volumes garantis chaque année.
Retrouver la confiance avec les constructeurs
Plus précisément par mode de transport, le routier et le maritime ont besoin d’investissements, « or, personne ne veut investir dans un contexte d’incertitude », précise Mike Sturgeon. Pour voir de nouveaux investissements se réaliser, les opérateurs logistiques ont besoin de retrouver une confiance en leur client. Le conflit avec l’Ukraine, le manque de matières premières et de semi-conducteurs, l’inflation en Europe, la fermeture probable d’usines en Allemagne en raison du manque d’énergie et les tensions entre la Chine et Taïwan sont autant de facteurs qui érodent cette confiance.
La politique européenne du marché unique ferroviaire manque
Du côté du transport ferroviaire, la solution ne viendra pas des opérateurs logistiques mais des gestionnaires de réseau. « La situation actuelle tient au manque d’investissement pendant des années dans les infrastructures en Europe », indique le rapport de ECG. De plus, si la Commission européenne a su promouvoir le transfert modal vers le ferroviaire par sa stratégie Shift2Rail, elle a échoué dans la création d’un marché unique ferroviaire, souligne ECG.
Décarbonation : où sont les bornes de recharge ?
Ces transformations des relations entre logisticiens et constructeurs automobiles doivent prendre en considération les éléments de la décarbonation. Si des armateurs investissent dans des navires plus écologiques, « cela reste une question d’investissement », rappelle Bjorn O. Gran Svenningsen, directeur des ventes et du marketing de UECC et vice-président de ECG. De plus, certains constructeurs automobiles incitent leurs prestataires logistiques à disposer de véhicules plus verts. « Le prix d’un camion électrique est trois fois plus cher qu’un ensemble routier au gazole. Le manque d’infrastructures pour les recharger et l’absence d’électricité verte n’incitent pas les opérateurs à se tourner vers ces investissements », indique le rapport de ECG.