Corridors et logistique

Bella pasta, ciào

L’invasion de l’Ukraine par l’armée russe fait paniquer les Italiens. La flambée des prix du carburant a provoqué une grève des routiers et celle des céréales est en train d’enrayer la production du plus important consommateur de pâtes. Plusieurs fabricants ont déjà réduit leur voilure. Un article de Ariel F. Dumont à Rome.

Le gouvernement met à jour le plan  stratégique  pour la gestion des urgences radiologiques et nucléaires et le distribue aux vingt régions, les routiers multiplient les mouvements de grève pour protester contre la flambée du prix du carburant et les fabricants de pâtes qui importent une partie de leur blé dur et tendre de Russie et d’Ukraine,  se préparent à mettre la clef sous le paillasson.

Une dépendance au gaz russe

Depuis que l’armée russe enchaine les bombardements et pilonne aussi les centres nucléaires, l’Italie s’inquiète. Le 9 mars, d’ailleurs, le président du Conseil italien Mario Draghi a tiré la sonnette d’alarme en détaillant les possibles conséquences de la guerre en Ukraine pour le pays. Le  secteur énergétique est particulièrement à risque en raison de la forte dépendance de la Péninsule qui importe de Russie 46% du gaz qu’elle consomme, soit  l’équivalent de 70 à 90 Mm3 par an et qui lui sert aussi à produire 60% de son électricité.

Environ 100 000 t de blé importé depuis la Russie

La Péninsule redoute aussi des problèmes d’approvisionnement agroalimentaire notamment en ce qui concerne les céréales qui commencent déjà à manquer. Selon les estimations des différentes associations des professionnels agricoles, l’Italie importe environ 64% de son blé et 53% de son maïs destiné à l’élevage. Cette dépendance qui augmente d’année en année, est liée à la disparition durant les dix dernières années de plus d’un demi-million d’hectares de terre agricoles affirme la Confédération italienne des exploitants agricoles (Coldiretti).  « L’an dernier, l’Italie a importé plus de 120 000 t de blé de l’Ukraine et environ 100 000 t toujours de blé dont 51 000 t de blé dur de la Russie. Cette dépendance va nous coûter très cher compte tenu du contexte de crise qui risque de perdurer et pas seulement au niveau des importations de céréales », a récemment détaillé Ettore Prandini, président de Coldiretti.

L’Italie dépendante du maïs russe

La Russie et l’Ukraine assurent aussi 19% des importations italiennes de maïs utilisé pour le bétail, mais les livraisons sont interrompues en raison de la fermeture des ports de la mer Noire.  Dans un  contexte de crise, continuer à faire tourner les moteurs des usines de pâtes est devenu un véritable casse-tête pour les fabricants italiens et en rebond, pour les Italiens qui consomment chaque année environ 26 kg de pâtes et 8 kg de pizza par habitant.

Un navire pour Divella bloqué à Rostov

Plusieurs fabricants ont déjà réduit la voilure comme le groupe La Molisana  qui produit environ 470 t de pâtes par jour. Ou encore, Divella qui produit pour sa part, quelques 1000 t de pâtes sèches par jour, 35 t de pâtes fraiches et 90 t de biscuit et qui réalise un chiffre d’affaires annuel de 310 M€.  « La navigation en mer Noire est bloquée et nos navires ne peuvent pas entrer dans les ports, par ailleurs, un autre de nos navires qui devait charger du blée russe protéique de grande qualité a été bloqué dans le port de Rostov, la situation est catastrophique », se désole Vincenzo Divella, administrateur délégué du groupe.  Depuis le 7 mars, le fabriquant a décidé de mettre la pédale douce et de placer une partie du personnel en vacances.

Des moulins fermés dans les Pouilles

Une première dans l’histoire de Divella pris entre l’enclume de la flambée des prix et le marteau de la grève des transporteurs qui fait rage dans la région des Pouilles. « Le gouvernement a passé des accords avec une partie des syndicats des professionnels de transport mais pas avec les routiers des Pouilles qui n’ont pas de syndicat. Résultat : une bonne partie des moulins de la région sont fermés et les livraisons sont interrompues », a confié le patron de Divella à la presse italienne qui envisage déjà de retoucher ses prix.  « En un an, le prix du blé italien a doublé, il est passé de 28€ le quintal, le prix affiché en juin 2021 à 54€, le blé étranger frôle la barre des 60€à cause de la guerre, produire dans de telles conditions est insoutenable sur le moyen terme, nous avons déjà négocié une première augmentation avec nos clients de 30 centimes par paquet d’un demi-kilo, hélas, c’est insuffisant ».

Augmentation de 20% du prix des pâtes

D’autres producteurs sont nettement plus prudents comme le fabricant Garofalo qui affiche un chiffre d’affaires annuel de 220 M€ et une masse salariale de 222 personnes. « Nous naviguons à vue, on ne peut pas rédiger des prévisions durables sur les coûts compte tenu de l’évolution de la situation internationale qui varie de jour en jour », estime Massimo Menna, administrateur délégué de Garofalo. Soit,  mais l’association agricole Cia-Agricoltori pour sa part, prévoit déjà une augmentation à court terme de 20% du prix des pâtes.

Un pan de l’économie menacé

Tandis que les Italiens dépités se préparent à revoir leur consommation de pâtes, le gouvernement de Mario Draghi réfléchit. Il doit régler la question épineuse de la grève des transporteurs en débloquant des aides, trouver des solutions à la crise des céréales qui bloque le pays et aussi, trouver un plan B pour compenser les pertes des échanges commerciaux avec la Russie. L’une des raisons pour lesquelles, Rome a réfléchit  avant d’adhérer aux sanctions contre la Russie. Selon Coldiretti, l’an dernier, les exportations agroalimentaires ont dépassé la barre du milliard d’euros. « Les exportations de certains produits comme le vin, le Prosecco, l’huile, les pâtes et le café sont à risque et tout un pan de l’économie italienne est menacé ».