Juridique et social

Conflit Russie/Ukraine : quand juristes et assureurs s’en mêlent

L’entrée des troupes russes en Ukraine a des implications juridiques. Holman, Fenwick Willan, cabinet d’avocats à Londres, s’interroge sur l’avenir des contrats. Du côté des assureurs, les surprimes pour risque de guerre vont s’envoler.

L’entrée des troupes russes en Ukraine créé un trouble à tous les échelons du monde du transport. Dans le bulletin de févrierconsacré au maritime, Alex Kemp et Jean Koh, avocats au cabinet Holman, Fenwick & Willan (HF)W de Londres, s’interrogent sur les conséqucens de ce conflit. Sous le titre, « Poutine a-t-iol déchiré vos contrats ? », les deux avocats apportent les premières réponses aux impacts juridiques de ce conflit.

 

Pour les deux avocats, même si l’entrée des troupes russes en Ukraine n’a, pour le moment, pas impliqué de puissances étrangères ni de coalition comme l’Otan ou l’ONU, la situation pourrait se détériorer. La dégradation de la situation pourrait amener une telle situation à survenir. « Si cela devait arriver, qu’est-ce que cela signifierait pour vos contrats ? », s’interrogent les deux avocats. L’analyse se penche en premier lieu sur la situation du côté des P&I Clubs.

Les P&I clubs, qui s’assimilent à des mutuelles d’assurance responsabilité des armateurs, excluent d’office les risques de guerre dans leurs contrats. Ces risques peuvent néanmoins être « rachetés » avec des surprimes et pour un montant de garantie limité. À titre d’exemple, le UK P&I Club limite les risques de guerre à une garantie de 500 M$ avec une franchise de 50 000 $.

Chartes parties: une option de rupture

L’état de guerre est aussi prévu dans les chartes parties, indiquent les avocats de HFW. « Les parties disposent d’une option de résiliation de la charte partie, au travers d’une clause, quand un état de guerre survient, notamment quand elle implique, la Russie, les États-Unis et le Royaume-Uni. « Cette clause peut s’avérer être un outil important pour les propriétaires de navires qui refuseraient de voir leurs navires escaler dans les ports ukrainiens ou russes, voire rompre une charte partie qu’ils jugent défavorables », précisent les deux avocats britanniques.

Les scénarios de guerre réelle

La question clé pour les deux avocats réside sur l’état de la situation : « avons-nous une déclaration de guerre ? » Selon les actions des puissances occidentales (États-Unis, Union européenne et Royaume-Uni) plusieurs situations peuvent survenir. Le premier scénario imaginé par Alex Kemp et Jean Koh vise au déploiement de matériels militaires avec l’accord des Nations Unies. Dans cette hypothèse, précisent les avocats, il s’agit d’une mission de maintien de la paix et non pas d’une déclaration de guerre. Ces missions sont ordonnées par le conseil de sécurité des Nations Unies, dont la Russie est membre permanent et peut donc opposer son véto. « Il semble peu probable que le Conseil de sécurité intervienne en Ukraine », indiquent Alex Kemp et Jean Koh.

Une intervention de l’Otan

Le second scénario concernerait l’Otan. Or, lors de l’utilisation de moyens militaires de l’Otan, il ne s’agit pas des forces armées d’un pays mais de celles d’une alliance, indiquent les avocats. Alors, il s’agira d’un conflit entre l’Otan et un pays. « S’il est indéniable qu’il s’agit d’une guerre, elle n’est pas considérée par le droit comme une guerre entre la France, l’UE ou les États-Unis ». Ainsi, ce conflit n’entre pas dans les conditions des clauses des chartes parties. « L’Otan étant une alliance militaire pour défendre ses membres, il est peu probable qu’elle engage un conflit avec la Russie, l’Ukraine n’étant pas membre de cette alliance.

Une guerre directe

La troisième hypothèse serait de voir les États-Unis ou un autre pays entrer directement en conflit avec la Russie sans être sous mandat de l’Otan ou des Nations Unies. Une situation survenue lors du conflit irakien et afghan. « Il est possible que l’appétit américain pour ces conflits ait diminué », notent les avocats. Pour cela, Washington aurait déjà déployé des forces en Ukraine pour entraîner clandestinement l’armée ukrainienne. « Dans le cas où ces militaires entreraient en contact avec les forces armées russes, un conflit surviendrait et pourrait escalader. »

La guerre, une notion jugée restrictivement par le droit anglais

Les tribunaux britanniques ont rejeté depuis des années une définition de la guerre. Même si le ministère des affaires étrangères britannique reconnaît le statut de guerre, le droit ne le suit pas toujours. Ainsi, le conflit sino-japonais de 1937 a été reconnu comme une guerre, quand les conflits des Malouines, la guerre de Corée ou encore la guerre civile espagnole n’ont pas hérité de ce statut. « Il n’est pas impossible que la situation se détériore en Ukraine dans les prochaines semaines donnant lieu à une déclaration de guerre. Cela aurait des effets sur les chartes parties et les contrats d’assurance en ouvrant des options de rupture », concluent Alex Kemp et Jean Koh. Une analyse qui devra être confirmée par la jurisprudence britannique qui ne suit pas toujours les opinions de la doctrine.

Assurances: une analyse quotidienne du Cesam

Le monde de l’assurance reste, en France, attentif à l’évolution de la situation. Le Cesam analyse quotidiennement les évolutions sur le terrain, « mais aussi en fonction des déclarations que font l’une ou l’autre des parties engagées à ce conflit », nous a précisé un courtier d’assurances. La couverture des assurances risques de guerre dépend en grande partie de la qualification de la zone par le Cesam. Lors de l’entrée des troupes russes en Ukraine le 24 février, le Cesam a placé les ports de mer Noire et de la mer d’Azov en zone 7. Cette classification signifie que les contrats risques de guerre sont résiliées dans un délai de 48 heures à partir du jour de cette classification. Ainsi, le 27 février à 0h01, les clauses de résiliation automatiques des risques de guerre ont été enclenchées.

Des cotations au cas par cas

La résiliation de ces clauses ne concerne que les marchandises à charger après la date du 27 février. « Toutes les marchandises embarquées sur un navire sont couvertes dans les conditions d’assurance prévues au jour de chargement », nous a précisé un courtier d’assurances français. Pour les autres chargements, les garanties risques de guerre devront se faire au cas par cas.

« À ce jour, nous n’avons pas eu de demandes de la part de nos clients pour des transports vers la mer Noire, l’Ukraine ou la Russie », nous confie la responsable du courtier d’assurances. Les clients portent une attention toute particulière sur leur exposition aux risques et réorganisent leurs chaînes logistiques.

Une extension probable sur les pays limitrophes

Le placement de la mer Noire en zone 7 par le Cesam peut être parfois interprété plus sévèrement par les assureurs. Certains considèrent que les pays voisins, comme la Biélorussie, la Pologne, la Roumanie, la Turquie, la Géorgie ou encore la Moldavie pourraient être impactés par la mesure. Déjà, des compagnies d’assurances indiquent avoir étendue la classification de l’Ukraine à une zone de 200 km autour du pays. Des transports vers des points proches des frontières de l’Ukraine pourraient être concernés.

Le courtier d’assurances précise que ces conditions concernent uniquement les risques de guerre. « Les risques ordinaires ne sont pas concernés par ces dispositions ». Si aujourd’hui les opérateurs du commerce international tentent d’éviter la mer Noire, le courtier en assurances prévient que les surprimes pour risques de guerre pourraient s’envoler rapidement en fonction de l’évolution de la situation localement.