Juridique et social

Piraterie : un rapport de l’ONU pointe les violations perpétrées par les sociétés de sécurité

Un rapport du groupe de travail des Nations Unies sur les mercenaires, publié en août et présenté le 1er novembre à l’Assemblée générale examine les violations des droits de l’homme et du droit humanitaire perpétré par les sociétés militaires et de sécurité privées, indique Gaël Cogné dans un article de Mer et Marine.

Torture, usage disproportionné de la force, privations de liberté, utilisation d’armureries flottantes et prolifération d’armes en mer… Publié le 4 août par le Groupe de travail sur les mercenaires des Nations Unies, mais présenté le 1er novembre à l’Assemblée générale, un rapport examine les violations des droits de l’homme et du droit humanitaire perpétrées en mer par des sociétés militaires et de sécurité privées.

Des services qui ont pris de l’ampleur

Longtemps bannis par les armateurs craignant une surenchère de violence, des sociétés proposant de fournir des gardes armés pudiquement nommées « entreprises de sécurité privées (ESP) maritimes » ont fait leur apparition sur les ponts des navires marchands. Un revirement provoqué par la multiplication des attaques de piraterie au large de la Somalie au milieu des années 2000, dans le but d’enlever des équipages pour réclamer des rançons.

Parallèlement à la mise en place d’opérations navales de lutte contre la piraterie, comme Atalanta par l’Union Européenne, des États du pavillon ont commencé à autoriser le recours à ces sociétés dans les zones à haut risque pour protéger équipages, navires et cargaisons. La France, par exemple, a autorisé en 2014 le recours des équipes de protection armées dans ces zones dangereuses.

Une prérogative auparavant régalienne

« Incontestablement, le déploiement de sociétés de militaires et de sécurité maritimes privées a contribué à une diminution substantielle des attaques de pirates dans la Corne de l’Afrique », reconnaissent les auteurs du rapport. Pointant que la menace n’a pas disparu dans le monde pour autant, ils estiment qu’il est « fort probable que la demande d’entreprises militaires et de sécurité privées en mer continuera d’augmenter ». La fourniture de services de sécurité en mer reste donc un marché important pour ces sociétés.

Des services qui peuvent aller jusqu’à la détention de pirates

Ces services peuvent couvrir la protection (armée ou non) de navires, la formation d’équipages et des audits de sécurité, mais s’étendent parfois jusqu’à la détention de pirates ou l’entretien de systèmes d’armes. En l’absence de sécurité étatique, le capitaine du navire exerce son autorité sur l’usage de la force, sauf en cas de légitime défense où le personnel de sécurité armé peut exercer une « force raisonnable et nécessaire » pour dissuader une menace en dernier recours (menace imminence pour sa vie ou celle d’autrui ou enlèvement). En principe, ils ne peuvent pas détenir un suspect, mais il semble que cela soit possible si l’individu représente une menace.

Les forces navales louent les services des ESP

Phénomène nouveau, cette protection privée se double désormais d’une inquiétante « hybridation » de la sécurité maritime, en particulier dans le golfe de Guinée. La piraterie en haute mer ayant reculé dans cette zone, elle s’est tournée vers les canaux du delta du Niger. Pour lutter contre ce brigandage, des forces navales d’État louent leurs services en complément de ceux de sociétés privées. Un phénomène problématique du point de vue des droits de l’homme car il rend plus difficile la possibilité d’établir les responsabilités lorsque des violations se produisent.

De nombreux cas signalés

Le Groupe de travail indique dans son rapport avoir « reçu des informations sur de multiples formes de violations des droits de l’homme et leurs conséquences dans le contexte de la fourniture de sécurité privée en mer ». Des violations qui ne concernent d’ailleurs pas que les pirates, mais qui se retournent aussi parfois contre le personnel de ces sociétés ou des marins. Déplorant « l’absence de réglementation efficace et exécutoire sur les normes relatives à l’usage de la force », il observe que « des recours disproportionnés et/ou inutiles à la force sont répandus dans le contexte maritime sans responsabilité ni réparation concomitantes ».

Des armureries flottantes

Encore une fois, exploitant des zones juridiques floues, des sociétés de sécurité privées ont recours à de discrètes « armureries flottantes ». Des armes sont stockées et entretenues sur des navires qui ne quittent pas les eaux internationales. Ainsi, le personnel peut embarquer sur un navire marchand sans armes et se les faire livrer hors des eaux territoriales. Ces armureries flottantes, profitant de pavillons peu regardants, peuvent aussi proposer la location d’armes ou loger du personnel. Non seulement, cela pose des problèmes de sécurité des armes, mais cela peut aussi faciliter des trafics.

Des cas de pirates tués

Le Groupe de travail rapporte aussi des informations selon lesquelles « un certain nombre de personnes soupçonnées d’être impliquées dans des actes de piraterie ont été tuées en mer ces dernières années, dans certains cas par des agents de sécurité privés, en violation du droit à la vie et du droit à une procédure régulière ». Aucun chiffre n’est avancé, armateurs comme ESP n’ayant pas d’obligation de signaler les attaques de piraterie. Le rapport pointe également des signalements de traitements cruels, inhumains ou dégradants perpétrés par des ESP sur des marins, des privations de liberté (notamment sur des clandestins) ou des violences de genre ou sexistes. Enfin, le droit du travail n’est pas toujours respecté.

Un terreau favorable

Ces violations des droits de l’homme sont favorisées par la distance à laquelle ces sociétés opèrent des forces de l’ordre. Sans compter, explique le rapport, qu’il existe « une absence préoccupante de réglementation spécifique et/ou efficace par les États du pavillon des opérations des sociétés militaires et de sécurité privées à bord des navires dans les zones à haut risque de piraterie et de vols à main armée. De plus, il y a un manque de connaissance des réglementations existantes de la part du secteur du transport maritime, des entreprises militaires et de sécurité privées et de leur personnel, ainsi que des autorités portuaires et côtières ». Le Groupe de travail recommande notamment aux États d’adopter une législation pour réglementer efficacement les activités de ESP en mer, de garantir un système de recours, de veiller à ce que les ESP et leurs personnels soient civilement et pénalement responsables de violations des droits de l’homme en mer, ou encore d’assurer une supervision efficace des opérations hybrides.

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