Ports

Quand la Chine réveillera les ports européens

La volonté du groupe chinois Cosco Ports de prendre une participation minoritaire de 35% dans le terminal de Tollerort, à Hambourg secoue la classe politique allemande. Les craintes d’une prise de position trop importante des sociétés de manutention chinoises dans les ports européens refait surface.

En septembre 2021, Cosco Ports a fait une offre pour reprendre 35% des parts du terminal de Tollerort au groupe allemand HHLA. Une opération boursière pour permettre au manutentionnaire chinois de se placer dans les ports allemands.

Opposition du vice-chancelier

Depuis lors, les autorités allemandes se concertent pour donner leur avis sur cette reprise. Pour sa part, le chancelier allemand, Olaf Scholz, serait favorable à voir le groupe chinois entrer au capital de ce terminal. Une position que six de ses ministres, indique le site Politico, ne partage pas et notamment, le vice-chancelier Robert Habeck. Ce dernier, appartenant au groupe des Verts allemands, craint de voir une « dépendance risquée à la Pékin ».

La Grèce puis l’Italie

A priori, rien de bien inquiétant si ce n’est qu’avec cette affaire, la crainte d’un « péril jaune » ressurgit en Europe. En effet, déjà, lors de la cession du port du Pirée à Cosco, les européens s’étaient inquiétés du pied posé par le groupe dans la manutention portuaire européenne. Ensuite, ce fut au tour des ports italiens d’être la cible du groupe chinois avec ses visées sur Gênes et Trieste. Désormais, Cosco Ports regarde du côté septentrional.

10% des volumes manutentionnés

Récemment, sur Linkedin et Twitter des posts ont fait craindre de voir les Chinois disposer d’un nombre grandissant des terminaux en Europe. Selon certains commentateurs, ces manutentionnaires de l’Empire du milieu disposeraient de 10% de terminaux représentant 10% des volumes en Europe.

Une présence des trois sociétés chinoises à Rotterdam

Nous avons tenté de dresser un tableau de la présence chinoise en Europe. Si nous prenons les deux groupes chinois de Cosco Ports et de China Merchant Ports auquel nous ajoutons Hutchison Ports (ce groupe est basé à Hong Kong), leur présence en Europe s’avère importante. En effet, à Rotterdam, premier port européen, les trois opérateurs sont présents avec des participations au-delà des 50% dans les différents terminaux du port. À Anvers, China Merchant Ports et Cosco Ports disposent de terminaux. Des participations qui restent importantes mais qui laissent une place pour d’autres opérateurs.

La présence de Terminal Link en France

En France, China Merchant Port est présent au travers de Terminal Link, une co-entreprise avec CMA CGM. Le groupe chinois possède 49% de cette filiale quand l’armement de Marseille en rassemble 51%. Cette structure est présente au Havre, à Marseille mais aussi à Dunkerque et Montoir.

Hutchison Ports en Grande-Bretagne

Quant à Hutchison Ports, le groupe est présent surtout en Grande-Bretagne avec des parts importantes dans les ports de Felixstowe, Harwich, et Thamesport. Outre cette présence, le manutentionnaire de Hong Kong a déployé son réseau en Pologne, à Gdynia, aux Pays-Bas, à Amsterdam et en Espagne à Barcelone avec le terminal Best.

Noatum Ports s’est développé en Espagne

Enfin, pour donner une image relativement complète de ce panorama portuaire chinois en Europe, il faut ajouter les concessions octroyées au groupe Noatum dont Cosco Ports est majoritaire. Ce groupe détient des terminaux à conteneurs à Castellon, Malaga, La Corogne et Cartagène. Outre les terminaux à conteneurs, Noatum dispose de nombreux terminaux polyvalents et rouliers dans la péninsule ibérique.

Des sociétés qui investissent

Au global, les concessions portuaires détenues et gérées par les trois sociétés chinoises disposent de nombreuses positions dans le monde portuaire européen. Il reste que ces sociétés investissent pour le développement de leurs terminaux, expliquent les rapports annuels de ces sociétés. Face aux sociétés chinoises, l’Europe compte aussi des groupes de manutention internationaux à l’image de APM Terminals et de TIL Group, filiale du groupe MSC. Ces sociétés ont développé leur réseau en Europe mais aussi sur les autres continents.

Des capacités financières plus importantes

Les craintes d’un « péril jaune » sont-elles justifiées ? En revenant quelques années en arrière, à la fin des années 90, quand le port d’Anvers a connu un élan de son trafic, les traditionnelles Nations anversoises ont disparu au profit de sociétés internationales. Pour le gouvernement belge, cette internationalisation de ses quais, avec notamment l’arrivée de PSA (Port of Singapore Authority) inquiétait. Du côté de l’autorité portuaire, les responsables de l’époque justifiaient ces changements en expliquant que les sociétés belges n’ayant pas les finances pour investir, il a fallu se tourner vers les groupes internationaux.

Socialement, Le Pirée reste un échec

Cependant, quand Cosco a repris la concession du terminal à conteneurs du Pirée, la réussite économique a été au rendez-vous. En 2021, le port affiche un volume de plus de 5 MEVP, soit une progression de 44,8% en six ans. Socialement, les choses ont été plus tendues. Régulièrement, les syndicats grecs des dockers alertent sur les conditions sociales dans le terminal. En 2015, un syndicaliste grec nous a confié « travailler selon le modèle chinois ignorant toutes les législations sociales européennes et nationales ».

Un collier de perles portuaires

Le gouvernement chinois n’a jamais caché ses ambitions pour s’implanter en Europe au travers des sociétés qui, si elles sont cotées en bourse, n’en demeurent pas moins partiellement contrôlées par Pékin. Chaque nouvelle volonté d’implantation se fait conjointement par les opérateurs économiques et les voies diplomatiques. Les commentateurs parlent d’un collier de perles portuaires que la Chine confectionne sur tous les continents.

Que dire des Européens ?

Il reste une question à élucider : et si demain les Africains craignaient d’un « péril blanc » sur leur paysage portuaire ? La présence en Afrique de l’Ouest de groupes européens reste majoritaire. Bolloré Ports, qui sera demain intégré à TIL Group, et APM Terminals, filiale du groupe danois Mærsk, détiennent plus de 50% des volumes traités entre Nouakchott et Luanda. Des concessions que ces groupes ont développé au travers d’investissements importants au cours des dernières décennies. Le montant n’est pas connu mais il doit dépasser allègrement les 5 Md€ sur les dernières années. Ce que les Européens reprochent aux Chinois, ils font de même en Afrique de l’Ouest.