Corridors et logistique

Vracs secs : un semestre à l’aune des changements

Les armateurs spécialisés dans les vracs secs affichent des résultats financiers en nette progression sur le premier semestre. Le conflit entre l’Ukraine et la Russie change les données du marché.

Pour les armateurs de vracs secs, le conflit entre l’Ukraine et la Russie a changé les fondements de ce marché. L’invasion le 24 février d’une partie de l’Ukraine a rapidement eu pour effet de limiter les exportations de céréales. Les acheteurs internationaux se sont rounés vers de nouvelles sources d’approvisionnement.

Les effets du conflit

De plus, ce conflit a entraîné une hausse importante du prix de l’énergie. De ce fait, des filières qui nécessitent beaucoup d’énergie, comme la sidérurgie, ont limité leur production. Enfin, les sanctions contre la Russie a amené aussi des changements notamment sur les importations de charbon russe.

L’allongement du temps de transport

Ces conditions de marché ont eu pour effet de rallonger les temps de transport en raison des nouvelles sources d’approvisionnement. Un effet bénéfique pour les armateurs qui ont vu leurs navires avec un taux d’utilisation en hausse et une offre se raréfié. De ce fait, les TCE (Time Charter Equivalent, taux journalier d’un navire vraquier) ont enregistré une hausse sur ces six mois.

Des TCE en forte progression

Cette augmentation des TCE se décline sur tous les types de navires. Diana Shipping affiche une progression de 88,1% de son TCE à 23 400$/j. Une des plus fortes hausses des armements que nous avons observé sur ce semestre. Diana Shipping représente l’état actuel du marché. En effet, l’armement dispose d’une flotte majoritairement composée de Capesize (47%) et de Post-Panamax (10%). Le solde de sa flotte regroupe des Newcastlemax (destiné au transport de charbon depuis le port australien de Newcastle), des Panamax (actifs principalement dans le secteur céréalier) et de Kamsarmax (pour le transport de bauxite depuis le port guinée de Kamsar).

Un TCE record pour les Supramax

Ces taux sont dans la même lignée pour Star Bulk. Les Capesize et Newcastlemax affichent un TCE de 28 299 $/j sur le premier semestre. Les Panamax, post-Panamax et Kamsarmax se sont négociés à 28 291$/j. Quant aux Ultramax et Supramax, ils affichent un TCE de 29 758$/j sur les six premiers mois. Quant à Eagle Bulk, opérant principalement dans le segment des Supramax, il affiche un TCE de 30 207$/j, un record sur les trois dernières années.

Armements Revenus Évolution Net income Évolution TCE Évolution
Star Bulk 778,2 52,1% 360,50 125,5% 28 924 49,3%
Eagle Shipping 383,0 69,2% 154,10 112,0% 30 207 40,0%
Genco Shipping 273,9 31,3% 91,20 114,6% 26 354 59,6%
Diana Shipping 140,5 59,5% 61,60 4006,7% 23 400 88,1%
Source: rapports semestriels des armements. (en M$ sauf pour les TCE en $/j)

Des augmentations de revenus

Ces taux ont permis d’améliorer considérablement les revenus de ces opérateurs. La progression de leurs revenus varie entre 31% et 69%. Dans le même temps, leurs bénéfices nets s’envolent avec des progressions à trois chiffres, voire quatre pour Diana Shipping.

Hausse de 1,2% en tonnes/miles

Cette santé financière retrouvée des armements opérant dans les vracs secs tient principalement à des conditions de marché en mutation. La demande en matières premières devrait rester en hausse avec une croissance de 1,2% en tonnes/miles sur 2022, indique le rapport financier semestriel de Eagle Bulk. Une croissance qui devrait néanmoins s’estomper à regarder en tonnes.

Hausse des petits vracs

Selon les chiffres diffusés par Eagle Bulk, les principaux vracs que sont le charbon, les minerais de fer et les céréales sont attendus avec une diminution de 0,8% en 2022. Cette diminution sera compensée par la hausse des petits vracs comme la bauxite, les produits forestiers ou encore les produits agroalimentaires.

Les minerais de fer brésiliens ont manqué à l’appel

Ces conditions de marché doivent être tempérées par la faiblesse des exportations de minerais de fer depuis le Brésil. Avec 155 Mt exportées sur ces six mois, le premier semestre de l’année demeure parmi les plus faible de la dernière décennie. Une donnée que Genco Shipping voit comme une annonce d’un second semestre en forte progression. Les années avec un premier semestre faible sont compensées par une croissance de la demande de 25% en moyenne sur la seconde partie de l’année.

La politique chinoise, moteur pour les vracs

Cette reprise attendue pour les minerais de fer dépend en grande partie de la politique dans l’immobilier et les infrastructures en Chine. Or, les annonces faites par Xi Jinping en mai et juin montrent une volonté de Pékin de relancer l’activité industrielle et immobilière dans le pays.

Céréales : le bouleversement des flux

Quant aux céréales, le début du conflit entre l’Ukraine et la Russie a bouleversé les paradigmes de ce marché. Les pays dont l’approvisionnement dépendait en grande partie de l’Ukraine et de la Russie ont été confrontés à une crainte de voir leurs approvisionnements se tarir. Les autres exportateurs céréaliers comme la France, l’Argentine et les États-Unis ont tenté de prendre le relais. En France, la hausse de la demande en produits céréaliers a entraîné une fin de campagne « sur les chapeaux de roues » pour des ports comme Rouen et La Rochelle. Ces nouveaux circuits logistiques ont malgré tout allonger les temps de transport et donc le taux d’utilisation des navires.

Les corridors logistiques ukrainiens : 700 000 t exportées

Fin juillet, l’ouverture des corridors logistiques a permis de débloquer la situation. En quelques semaines, l’Ukraine a exporté plus de 700 000 t. De plus, la récolte importante de maïs au Brésil semble ouvrir de nouveaux marchés. Les Chinois trouvent au Brésil une nouvelle source d’approvisionnement qui sera plus longue en tonne/miles mais qui diversifiera ses sources.

Un carnet de commandes historiquement bas

Outre les changements du côté de la demande, l’offre reste à un niveau bas dans les différents secteurs de ce marché. Sur la fin de l’année, le carnet de commandes prévoit l’entrée en flotte de 1,5% de la flotte actuelle. Un taux historiquement bas qui devrait rester dans les mêmes niveaux dans les prochaines années. De plus, 7,9% de la flotte de vraquiers a atteint ou dépassé les 20 ans. Pour les armateurs, les investissements sur ces navires seront trop onéreux pour les rendre conformes aux normes environnementales actuelles. Cette partie de la flotte pourrait rapidement faire son dernier voyage vers la démolition.

L’adaptation aux normes environnementales

Parce que pour les armateurs de vracs secs, comme les autres, une grande partie des résultats financiers engrangés au cours de ces mois a servi à financer la mise en place de scrubbers et d’autres dispositifs pour réduire les émissions de CO2 et de particules. La mise en place de ces dispositifs sur des navires anciens signifie aussi un temps d’immobilisation des navires plus longs lors des arrêts de maintenance. Enfin, pour limiter les émissions de gaz à effet de serre, la vitesse des navires est ralentie. Alors, avec une vitesse réduite et des navires plus longtemps en arrêt, la capacité globale de la flotte se réduit, augmentant par la même les taux de fret.

Des prévisions optimistes

Quant aux derniers mois de l’année, les prévisions sont optimistes, selon Genco Shiping. Le marché des Capesize devrait enregistrer une croissance de 8,2% comparativement au premier semestre. Ce secteur sera tiré par le rebond des exportations de minerais de fer du Brésil. Le charbon continuera d’être un vecteur de croissance pour l’industrie du fret maritime. Avec une hausse prévue de 5% des volumes, les navires de type Capesize et Panamax profiteront de cette croissance.

Les céréales tempèrent cet optimisme

Les seules baisses sont attendues sur les volumes de céréales. Réalisés par des Panamax, et Handysize majoritairement, les trafics de céréales sont estimés perdre 1,9% entre le premier et le second semestre de cette année. Des données tirées des premières estimations des récoltes de l’hémisphère nord qui doivent encore être affinées selon les capacités de l’Ukraine à exporter sa production et les qualités récoltées en juillet. Quant aux petits vracs, ils devraient rester stable sur la fin de l’année et permettre aux navires de type Supramax et Handysize de rester dans des niveaux de rentabilité.