Corridors et logistique

Blé : quand l’Afrique deviendra auto-suffisante

Un rapport publié en novembre par l’agence de presse Ecofin met en lumière l’importance des importations de blé sur le continent africain. Cette dépendance au blé interroge en raison des perturbations du marché international liées au conflit entre la Russie et l’Ukraine.

Les importations de blé dans les différents pays africains n’ont eu de cesse de croître au cours des dernières années. Ainsi, un rapport établi par Ecofin Pro rappelle que le blé est devenu la deuxième céréale la plus consommée sur le continent après le maïs. En effet, la progression annuelle de la consommation de blé progresse de 2% entre 2013 et 202, souligne le rapport d’Ecofin. Or, la consommation mondiale de blé progresse pour sa part de 1,6% en moyenne sur la même période.

L’Afrique importe 80 Mt de blé

Dans ces conditions, l’Afrique importe de plus en plus de blé. Des 69 Mt acheminées en 2013 vers le continent, ce sont aujourd’hui 80 Mt de blé qui sont transportées. Et le rapport d’Ecofin indique que l’Afrique englobe 10% de la consommation mondiale de blé. Cette consommation grandissante n’est pas identique dans les 54 pays qui composent le continent. Ceux d’Afrique du Nord tirent les importations de blé. Et parmi ces pays l’Égypte, le Maroc et l’Algérie absorbent 47% des besoins de blé du continent.

Une facture de 11,6 Md$ par an

Cependant, si l’Afrique du Nord emporte une grande partie des besoins de blé du continent, d’autres, à l’image du Kenya, de l’Éthiopie et de l’Afrique du Sud enregistrent une croissance de leurs besoins. Le blé talonne aujourd’hui le maïs, première céréale consommée dans ces pays. En Afrique de l’Ouest, le blé entre aussi parmi les premières céréales consommées. Finalement, l’Afrique s’impose comme le premier importateur mondial de blé. Selon le rapport d’Ecofin, chaque année, le continent débourse 11,6 Md$ pour l’achat de blé. Et ses terrains de prédilection pour l’achat des céréales se retrouvent parmi les principaux producteurs mondiaux : l’Europe, les pays de mer Noire, les États-Unis et le Canada.

La fin des corridors humanitaires en mer Noire

Or, avec le conflit entre l’Ukraine et la Russie, les pays africains ont craint pour leur approvisionnement. Pour mémoire, en 2021, le Ghana et le Bénin s’approvisionnent à 100% sur les marchés de mer Noire. Le déclenchement du conflit a été une source d’attention pour ces deux pays. De plus, lors de la mise en place des corridors humanitaires pour exporter les céréales ukrainiennes, la Russie a accepté l’accord, à condition que les céréales partent vers les pays les plus défavorisés. Face aux chiffres des exportations ukrainiennes, la Russie a refusé, en juillet, de signer cet accord. Son argument tient principalement à l’absence de pays africains dans le haut de la liste de ces expéditions.

Une option pour augmenter la production locale

La géopolitique du blé est devenue un élément essentiel à prendre en considération. Alors, pour réduire la dépendance africaine au blé des pays du nord, Ecofin propose deux options. La première vise à augmenter la production locale de blé. Une idée qui peut paraître naturelle mais que la géographie contrecarre. En effet, si en Afrique du Nord, la production de blé demeure, « peu de pays situés au sud du Sahara disposent des attributs biophysiques (climat et sol) nécessaires pour produire du blé à un prix compétitif », indique le rapport de Ecofin.

Les contraintes naturelles

Alors, pour parvenir à devenir producteur de blé, les pays doivent s’engager dans des investissements massifs pour augmenter les terres arables et disposer d’une productivité attractive. « Ce scénario reste cependant très optimiste, en raison du faible potentiel d’augmentation de la production en Afrique subsaharienne découlant de contraintes naturelles et de facteurs structurels, comme les investissements publics limités dans la filière », note Ecofin.

Remplacer le blé par des productions locales

La seconde option vise à utiliser des céréales et légumineuses produites localement pour réaliser des farines. Ecofin propose de remplacer la production de farine par des « denrées locales comme les tubercules (manioc), les céréales dites indigènes (sorgho, le mil, fonio etc.), les légumineuses (niébé) ou encore des fruits tels que la banane plantain. » Une solution qui prévoit malgré tout d’intégrer partiellement du blé. Si cette alternative semble intéressante en théorie, elle nécessite aussi l’importation ou la production locale de blé pour composer les farines.

Produire suffisamment de céréales de bonne qualité

Ces solutions sont confrontées à des défis importants à relever. En premier lieu, cette option doit s’accompagner d’une volonté politique. D’une part, les faibles taxes sur les importations ne plaident pas en faveur de cette alternative. D’autre part, les meuniers et les consommateurs locaux doivent accepter la modification de la production et des habitudes de consommation. De plus, pour que la seconde option soit viable sur le long terme, cela signifie que la production continentale des céréales soit suffisante. Et Ecofin de rappeler qu’en 1979, lorsque le gouvernement sénégalais a imposé d’intégrer du mil dans la fabrication du pain, le pays a rapidement été en pénurie.

Des changements sur les flux

Il ressort donc de cette étude que le remplacement du blé en Afrique ne sera pas chose facile. D’autant plus que les ports africains créent des terminaux spécialisés pour la réception de ces trafics, à l’image du Port autonome d’Abidjan. Qu’adviendra-t-il de cet outil ? Par ailleurs, la réduction d’achats de blé par l’Afrique sur les marchés internationaux aura une conséquence directe de réduction des prix du blé. Il sera alors plus rentable pour les pays d’importer une céréale moins chère que d’utiliser des produits locaux qui ne satisfont pas toujours aux qualités. Et enfin, que dire des lobbys céréaliers européens, américains et russes face à ces changements?