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Entretien avec Luc Arnouts, vice-président en charge des relations internationales du port d’Anvers-Bruges, un an après la fusion des deux ports

Les deux ports belges d’Anvers et de Zeebrugge ont fusionné le 1er mai 2022. Depuis lors, l’organisation se met en place pour créer une unité dans les équipes. D’autres défis sont à relever pour le futur.

Un an après cette fusion, nous dressons un premier bilan avec le vice-président en charge des relations internationales et des réseaux, Luc Arnouts.

Ports et Corridors : La fusion des deux ports d’Anvers et Zeebrugge est intervenue, dans les faits le 1er mai 2022. Quelles ont été les motivations de ce regroupement sous une seule entité ?

Luc Arnouts : Avant de répondre à cette question, il convient de rappeler que le travail réalisé en amont de cette fusion a été long. Nous avons dû convaincre les autorités portuaires mais aussi les responsables politiques des deux villes. Finalement, nous avons procédé à la cérémonie de signature le 22 avril 2022. Le 1er mai de la même année, nous avons commencé à travailler sous le nom de Port d’Anvers-Bruges.

Le premier objectif: la transition énergétique


Pour revenir à votre question, une des principales raisons de cette fusion a été la transition énergétique. Rappelons, d’abord, qu’à Anvers, nous disposons d’un cluster de la chimie important. Or, nous nous sommes engagés dans la transition énergétique en respectant les objectifs décrits par Fit for 55 de la Commission européenne pour une réduction de 50% des émissions de CO2 en 2030 et la neutralité climatique en 2050.

Pour entrer dans ce schéma de décarbonation de l’industrie, nous aurons besoin de la production locale des molécules vertes comme le méthanol, l’hydrogène et l’ammoniaque. De plus, nous devrons produire notre électricité verte avec le solaire et l’éolien. Cependant, la production locale ne suffira pas. Donc, nous importerons des produits verts.

Relier la réception de Zeebrugge au cluster d’Anvers

Alors, c’est là que la fusion prend tout son sens. Le port de Zeebrugge dispose déjà d’un terminal de GNL. De plus, il a des réserves foncières pour créer des terminaux pour recevoir ces molécules vertes. Selon nos prévisions, nous estimons que d’ici à trois ou quatre ans, nous commencerons à recevoir ces molécules depuis Oman, Chili, Égypte et Australie. Ces produits, réceptionnés à Zeebrugge, seront ensuite transférés vers le cluster chimique d’Anvers par pipe-line ou par voie ferroviaire. Nous pourrons aussi alimenter l’industrie allemande à un plus long terme. Notre objectif final est de devenir un des principaux hubs d’importation européen des molécules vertes.

P&C : Dans la réflexion qui a mené à la fusion, certains trafics comme le roulier ou encore le conteneur existent dans les deux ports. Comment avez-vous abordé cette question ?

L.A : Prenons l’exemple du trafic roulier. Le modèle de complémentarité entre les deux ports existe. En effet, des navires escalent dans les deux ports. Zeebrugge est davantage tourné vers le marché britannique quand Anvers desserte principalement le marché du Benelux, du nord de la France et de l’Allemagne. Sur ce trafic, nous n’avions pas de concurrence entre les deux ports mais plutôt une complémentarité.

Se reposer sur les capacités de Zeebrugge avant l’extension d’Anvers

Les choses sont différentes pour la conteneurisation. Le port d’Anvers prévoit d’agrandir ses terminaux dans un proche avenir. Or, cette expansion de capacité ne se fera pas du jour au lendemain. Il nous a semblé intéressant de pouvoir se reposer sur les capacités de Zeebrugge pour continuer notre développement dans ce segment. Ainsi, lors des perturbations logistiques en 2022, le manque de capacité sur le port d’Anvers a amené les armateurs à utiliser plus intensément les capacités de Zeebrugge. Cela nous a permis d’être plus résilient, même si nous accusons un repli du trafic, il est moindre que dans les autres grands ports du range.

P&C : Depuis un an, la fusion est opérationnelle entre les deux ports. Comment avez-vous approché les questions sociales de cette fusion, notamment face à la crainte de certains de voir Anvers prendre le dessus ?

L.A : Cette crainte s’est manifestée dès le début. Nous avons engagé avec les partenaires sociaux des discussions pour expliquer que notre approche était avant tout de prendre le meilleur de chaque port et l’ensemble des salariés. En effet, dès le début de ce projet, il a été convenu avec les syndicats des deux ports que cette fusion n’entraînerait aucun départ. Notre objectif a été de créer un véritable ensemble portuaire sans ajouter des strates administratives. Nous ne voulions pas créer une holding avec des filiales dans chaque port et des dirigeants territoriaux.

Socialement: très peu de départs

L’approche de cette fusion a été de véritablement intégrer les équipes de ces deux entités avec un président pour le nouveau port, un directeur financier, un directeur commercial, un directeur des ressources humaines. Chaque dirigeant est responsable pour les deux ports.

Un an après la fusion, nous sommes fiers de constater qu’elle s’est déroulée comme nous l’avions envisagé. Nous n’avons presque pas perdu une personne au cours de cette année. Cela signifie que chaque salarié a su trouver sa place dans l’organisation. De plus, dans le cadre de cette fusion, nous avons fait le choix de conserver les statuts de chaque salarié.

P&C : Outre les questions sociales, avez-vous profité de cette union pour optimiser certaines procédures ?

L.A : En effet, nous avons examiné chaque système et chaque procédure pour nous inspirer de ce que nous pensions être la meilleure. Ainsi, par exemple, le système financier du port de Zeebrugge nous est apparu plus efficace que celui d’Anvers. Nous l’appliquons désormais à l’ensemble de la place portuaire. Par ailleurs, au niveau digital, nous avons choisi celui qui nous semblait le plus adapté au monde actuel. Si, du point de vue des trafics, Anvers domine Zeebrugge, dans la fusion il s’agit d’une véritable intégration en prenant « le meilleur des mondes ».

P&C : La création du port d’Anvers-Bruges est intervenue alors que le marché, notamment dans la conteneurisation, connaissait des perturbations. Était-ce le bon moment de procéder à cette union ?

L.A : Je pense que oui, notamment pour la transition énergétique. La situation géopolitique mondiale a obligé à accélérer cette transition. Or, notre regroupement nous a permis d’être plus fort pour aller dans ce sens et résister à des phénomènes exogènes.

Des armateurs se déploient sur les deux ports

Même dans la conteneurisation, nous avons vu que les perturbations ont eu moins d’impacts. Et pour aller plus loin, la situation s’est dégradée sur le premier trimestre mais nous avons, en partie, compensée les pertes de certains trafics par le gain sur d’autres. La réunion d’Anvers et de Zeebrugge nous permet d’être plus résilient.

P&C : Est-ce que ce mouvement d’union s’est décliné sur les opérateurs portuaires et les logisticiens ?

L.A : Avant que la fusion entre en application, des opérateurs, comme PSA (Port of Singapore Authority) ou ICO (International Car Operator) travaillent sur les deux plates-formes. Cependant, il est intéressant de voir que derrière la création du port d’Anvers-Bruges, des armateurs ont emboîté le pas. Ainsi, Grimaldi, Sallaum Lines, Finnlines utilisent les deux plates-formes en fonction de leur besoin et de leur marché à desservir.

MSC a profité de Zeebrugge pendant les perturbations logistiques

Cette diversification des escales s’est aussi opérée dans la conteneurisation. Si CMA CGM et Cosco utilisent depuis quelques années les deux ports, MSC a profité de ce regroupement pour utiliser le port de Zeebrugge, notamment pendant les congestions portuaires. Enfin, nous sommes interrogés par des opérateurs portuaires qui travaillent sur l’un ou l’autre de ces ports pour s’étendre. Nous regardons ensemble mais, cela doit toujours aller de pair avec notre objectif premier : conserver des terrains pour développer la transition énergétique et l’économie circulaire.

P&C : La fusion est opérationnelle. Les chantiers sont terminés ou en passe de l’être. Quels sont les prochains défis à relever pour que cette fusion devienne pleine et entière ?

L.A : Au niveau de l’organisation, nous sommes opérationnels. Les équipes sont formés, les procédures se mettent en place. Une organisation comme la nôtre évolue. Elle s’adapte aux conditions sociales et du marché. Nous avons un travail à continuer sur les filiales que chaque port a créées. Il faut déterminer, pour chacune, son périmètre d’action.

P&C : Quelle stratégie envisagez-vous pour les trois ou cinq ans à venir ?

L.A : En effet, nous construisons notre plan stratégique à trois ans. Il repose sur trois piliers : économie, climat et ressources humaines. Ce plan a été adapté avec le regroupement des deux ports. Du point de vue du climat, il se décline en quatre volets : production locale, importation, économie circulaire et capture du CO2.

Une réflexion sur les tarifs

Du point de vue économique, nous examinons la situation à plusieurs niveaux. Nous avons une réflexion sur les tarifs portuaires. Chaque port a ses tarifs. Nous avons gardé la grille de chaque port et notamment sur la politique commerciale dans le futur. Actuellement, nous profitons de cette période d’examen pour benchmarker les tarifs dans les ports voisins. Il nous faudra un délai avant de parvenir à une décision. Nous estimons que d’ici deux ans nous disposerons d’une politique commerciale claire, sans pour autant obligatoirement aboutir à un tarif unique pour les deux ports. Nous restons ouverts à différentes solutions sans grande révolution.

Il faut garder en mémoire qu’il n’appartient pas aux autorités portuaires de décider de leurs escales et du lieu de leurs opérations logistiques. Ce que nous pouvons faire, c’est de regarder les espaces actuels, la disponibilité et d’en parler avec le client. Nous réalisons une étude économique que nous présenterons et discuterons avec nos clients dans les prochains mois.

Une réflexion sur les trafics plus qualitative plus que quantitative

Derrière ce plan stratégique, nous réfléchissons plus en terme qualitatifs que quantitatifs. Nous avons imaginé plusieurs scénarios. À chacune de ces hypothèses, nous attribuons des évolutions de trafic. Notre objectif commun est de se placer comme un hub dans la transition énergétique mais aussi comme un leader dans l’économie circulaire.

P&C : Avez-vous initié des trafics intra-portuaires par voie ferroviaire ou fluviale entre les deux entités pour assurer une véritable complémentarité logistique ?

L.A : Il existe déjà une filiale du port de Zeebrugge, Port Connect, qui assure des liaisons entre les deux ports. Elle est spécialisée dans le transport par barges. Elle a aussi développé un service ferroviaire pour le transport de conteneurs. Il existe des potentiels de développement de cette structure. Port Connect participe à l’intégration des deux plates-formes.

P&C : Le port d’Anvers-Bruges renforcera sa position sur le marché français ?

L.A : Cette question n’est pas facile. Prenons l’exemple de la région Hauts de France. Le potentiel de développement de cette région est tel qu’il y a de la place pour Dunkerque, Haropa et Anvers-Bruges. Nous pouvons aider cette région tous ensemble.