Niger : les conséquences logistiques des sanctions de la Cédéao
Les sanctions de la Cédéao contre le gouvernement du Niger impactent lourdement les opérations logistiques aux frontières. Pour éviter une famine, les autorités de la sous-région doivent trouver une solution.
Le coup d’État au Niger du 26 juillet créé un trouble important localement. Lorsque le général Abdourahamane Tchiani prend la présidence du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie, le pays se retrouve confronté à une pression de la Cédéao (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest). Elle décide de fermer les frontières dès le début du mois d’août.
Un casse-tête logistique
Derrière l’évènement politique se dessine des équations à plusieurs inconnues à résoudre d’un point de vue logistique. En effet, la fermeture des frontières est d’abord perçue comme une catastrophe humanitaire pour les responsables du Programme alimentaire mondial. Les denrées alimentaires et les médicaments ne peuvent arriver dans le pays. Il s’agit aussi d’un casse-tête logistique. « Avec les crises successives, les chargeurs des pays de l’hinterland prennent des mesures destinées à réduire les dommages et à mitiger les risques : ils se tournent vers des solutions alternatives en termes de ports et de corridors pour sécuriser leurs approvisionnements », nous a confié Armand Hounto, expert portuaire, spécialiste des corridors africains.
Malanville : une file de camions patiente
En effet, selon Africanews, des files de camions s’amoncellent à la frontière entre le Bénin et le Niger. À Malanville, indique Africanews, la file de camions s’allonge jour après jour. Ainsi, l’article cite le cas d’un chauffeur qui a chargé au port de Cotonou des marchandises depuis plus de 50 jours. Dans son camion, des sacs de riz qui pourrissent sur place. Et ce cas n’est pas isolé. Face au blocage, les chauffeurs routiers enregistrent tour à tour des faillites de leurs entreprises.
Une situation qui se décline au Ghana et au Nigéria
De plus, cette situation ne touche pas uniquement les flux des sociétés privées. L’ONU a déclaré que 7300 t d’aide alimentaire destinées au Niger sont bloquées en transit. Par ailleurs, la frontière avec le Bénin n’est qu’un exemple. Les autres points de passage vers le Niger sont bloqués. Le Ghana souffre du manque d’approvisionnements en produits agricoles, comme les oignons. Et la situation se décline aussi au Nigéria.
Trouver des alternatives
Pour les chauffeurs, le temps est venu de trouver des solutions logistiques alternatives. Certains décident d’emprunter des « voies illégales », continue Africanews. D’autres optent pour le passage avec des pirogues pour traverser le fleuve Niger. Or, le prix du trajet a décuplé en quelques jours. De plus, les forces de sécurité renforcent les contrôles des frontières.
Entreposer les conteneurs dans d’autres ports
Pour les opérateurs logistiques, la situation prend une tournure compliquée. Selon Centrimex, commissionnaire spécialisé sur l’Afrique de l’Ouest, plusieurs actions peuvent être entreprises. En premier lieu, le groupe « redirige les conteneurs vers d’autres ports avec l’aval des clients et sur demande de leur part », indique un responsable du groupe. Il s’agit surtout d’une solution transitoire. « Plusieurs de nos conteneurs sont encore stationnés dans le port de Cotonou au Bénin. Il n’y a malheureusement pas d’alternative que d’attendre que l’embargo de la Cédéao soit levé », continue le responsable.
Les clients s’impatientent
Néanmoins, « certains conteneurs arrivent à traverser. Ils enregistrent un transit time de plus de 20 jours. Mais, avec un risque permanent, d’autant plus que les assurances ne couvrent pas cette zone. Les clients s’impatientent, à juste titre, mais pour l’instant nous n’avons pas trouvé de solution alternative », nous a confié Sana Touré, directrice de l’agence Centrimex de Rouen.
Emprunter le corridor Lomé-Burkina Faso
D’autres solutions existent en empruntant les corridors depuis le Port autonome de Lomé vers le Burkina-Faso pour rejoindre ensuite le Niger. Une solution qui présente des risques en termes de sécurité. En effet, la situation au Burkina-Faso reste encore tendue. Ensuite, cette voie signifie le franchissement de deux frontières avec les coûts que cela engendre.
La Guinée Conakry, porte maritime pour contourner les sanctions
Ce coup d’État au Niger rappelle ceux qui sont survenus au Mali et au Burkina Faso. Pour faire face aux conséquences économiques, les opérateurs logistiques maliens ont profité de la situation pour se tourner vers la Guinée Conakry. dont le gouvernement proche des autorités militaires maliennes, a proposé de servir de porte d’entrée. Alors, les flux traditionnellement dirigés vers le Port autonome de Dakar se sont détournés sur la Guinée.
La cannibalisation du trafic par les ports alternatifs

Bien plus, pour Armand Hounto, « nous sommes dans une situation classique de cannibalisation du trafic par des ports alternatifs. La situation pourrait se figer après la crise, privant les ports de transit « naturels » d’une partie substantielle du volume destiné à l’hinterland. Pour preuve, les ports ivoiriens ambitionnent toujours de revenir à la situation de 2002. À cette époque, selon la Banque Africaine de Développement, 80 % de l’import/export du Mali passait par le Port autonome d’Abidjan. En effet, pendant la crise politique ivoirienne, Le port autonome de Dakar avait réussi à cannibaliser au détriment d’Abidjan, une part substantielle du trafic malien. »
L’Algérie au secours du Niger
Enfin, une solution semble prendre forme sur le terrain de la diplomatie. Le gouvernement nigérien accepte la médiation de l’Algérie. Le ministre algérien des Affaires étrangères doit se rendre prochainement à Niamey pour mener les offices de médiation entre le Niger et la Cédéao. Une opération politique pour l’Algérie mais aussi une concrétisation de sa politique africaine. Effectivement, Alger construit la Transsaharienne. Elle part d’Alger pour rejoindre Niamey, Ouagadougou, Bamako et Ndjamena. Pour les opérateurs logistiques, cette route peut permettre de désengorger les ports d’Afrique de l’Ouest pour desservir les pays sans littoral, au détriment des ports de Cotonou, Lomé et Tema
Repenser la desserte des pays enclavés
La crise politique du Niger imprime sa marque dans les opérations logistiques. En tant que pays enclavé, le Niger, comme ses voisins du Mali et du Burkina-Faso, prend une place importante. Toute la question tourne autour des corridors vers ces pays sans littoral. De ce point de vue, « la desserte de l’hinterland a toujours été au cœur de la concurrence portuaire en Afrique de l’Ouest et du Centre, nous explique Armand Hounto, expert portuaire et Président du cabinet International Trade Partner (ITP). Après la crise, les ports de transit alternatifs pour relier le Niger, le Burkina-Faso et le Mali réussiront-ils à conserver les parts de marché cannibalisées ? Il faudrait questionner la capacité des nouveaux bénéficiaires (États et autorités portuaires) à élaborer des politiques de mobilité des marchandises en transit. Les ports de transit « naturels » quant à eux, devraient, dès à présent, engager une réflexion globale capable de soutenir une dynamique de renforcement de leur compétitivité et de leur attractivité. Sans oublier que la mise en service prochaine de la transsaharienne constitue un défi supplémentaire ».