Corridors et logistique

Centrimex : un opérateur au cœur de l’Afrique

Commissionnaire et transitaire spécialisé sur l’Afrique, Centrimex travaille avec les importateurs africains. Face aux crises politiques survenues dans la bande sahélienne, le commissionnaire analyse le marché et les conditions logistiques.

Le marché africain est en pleine croissance. De nombreuses industries s’implantent localement. Elles travaillent sur l’agroalimentaire, les produits de consommation courante, l’acier. Cependant, ce marché demeure complexe et nécessite de réaliser des opérations cousues-mains. Ces caractéristiques, Centrimex les surmontent. Avec une histoire de 75 ans, une notoriété, une structure et du personnel stable, la société dont le siège est situé à Vitrolles, a su se faire un nom dans le monde de la commission de transport en Afrique.

Un opérateur tourné vers le maritime

Centrimex demeure un commissionnaire tourné majoritairement vers le maritime. Ce mode de transport représente aujourd’hui 90% des flux. L’aérien entre pour 10%. « Notre principal marché reste l’Afrique de l’Ouest et du Centre que nous approvisionnons en grande partie par voie maritime », explique Philippe Haddad, président de Centrimex. La majorité des flux aérien se réalise sur les liaisons entre l’Europe et l’Afrique. Cependant, les flux suivent le sourcing des clients. Or, de plus en plus, les importateurs utilisant l’aérien s’approvisionnent en dehors de l’Europe.

L’Asie et l’Inde dépassent l’Europe

Du côté du maritime, Centrimex constate un nouvel équilibre entre l’Europe et l’Asie. En effet, si, quelques décennies plus tôt, les trafics maritimes étaient à l’origine de l’Europe, les choses changent. Aujourd’hui, la société basée à Vitrolles constate une prédominance des trafics sur l’Afrique avec les pays d’Asie du Sud-Est, d’Inde et de Chine. « Nous réalisons une courte majorité de nos trafics maritimes depuis ces destinations. Et cela s’explique par notre clientèle qui se compose principalement des importateurs africains », souligne Éric Liautard, directeur commercial de Centrimex.

Suivre les changements de sourcing

En effet, en travaillant avec les importateurs, Centrimex s’adapte. Au fur et à mesure des années, les importateurs africains ont voulu se démarquer de leurs concurrents. Alors, ils délaissent parfois les industries françaises pour s’approvisionner dans d’autres pays européens, voire en Asie ou en Amérique. « Nous devons avoir la capacité de suivre les changements de sourcing de ces importateurs pour conserver et développer nos parts de marché », nous confie Éric Liautard.

Le marché français délaissé

Pour pouvoir répondre à cette demande, Centrimex s’appuie sur un réseau d’agents transitaires dans le monde. « Ce mouvement, confie Philippe Haddad, a démarré il y a environ trois décennies. À l’époque, ce type de démarche se faisait rarement. Actuellement, nous disposons de partenariats avec des compagnies comme la nôtre dans d’autres pays européens. Nous gérons les expéditions et les transitaires locaux se chargent des opérations. » Et pour appuyer ses dires, Philippe Haddad dresse un constat peu réjouissant pour la France. En effet, les importateurs africains semblent délaisser le marché français. Les produits de base désormais consommés sur le continent africain  de moins en moins d’Europe et encore moins de France.

Une implantation en propre en Chine

Ainsi,  55% des flux maritimes sur l’Afrique opérés par Centrimex sont originaires de Chine et d’Asie. C’est dans ce cadre d’un nouvel équilibre des trafics que Centrimex a décidé de s’implanter en propre en Chine, à Shanghai et Shenzhen. Ce volume regroupe principalement les trafics de conteneurs complets. Les conteneurs en groupage (LCL) sont drainés vers les entrepôts français de Rouen et de Vitrolles. Les marchandises en provenance de marchés d’Asie ou d’Amérique sont regroupés dans ces plateformes. Les conteneurs pour un ou plusieurs clients sont constitués pour être ensuite expédiés par voie maritime vers l’Afrique.

Des volumes en baisse et des transferts de fonds plus lents

« Avec les crises politiques, les opérations physiques sont mises à mal, le souci majeur tient aux transferts de fonds », Philippe Haddad, président de Centrimex.

Or, en travaillant pour le compte des importateurs africains, Centrimex s’expose aux crises politiques et économiques que le continent peut traverser. Les récents bouleversements politiques dans les différents pays de la bande sahélienne ont eu un impact sur les opérations logistiques. Pour le président de Centrimex, les volumes se réduisent vers ces pays. Cependant, si les opérations physiques sont mises à mal, le souci majeur tient aux transferts de fonds. « Nous avons des termes de crédit parfois importants avec nos clients africains. Alors, quand survient une crise politique dans le pays, cela peut rallonger encore les délais pour les transferts d’argent », précise Philippe Haddad. Et cette difficulté de transfert monétaire s’est notamment révélée lors de la crise du Niger. Les fonds ont été bloqués pendant plusieurs semaines. Aujourd’hui les choses s’améliorent mais à un rythme lent.

Les perturbations avec les pays enclavés

Du point de vue opérationnel, les bouleversements politiques des pays enclavés de la bande sahélienne perturbent les chaînes logistiques. « Ces changements affectent principalement les pays enclavés comme le Mali, le Burkina Faso et le Niger », indique Éric Liautard. Et c’est surtout aux frontières que la situation se complique. Ainsi, lors du coup d’État au Mali, Centrimex disposait de conteneurs à Dakar ou embarqués à bord de navires. « Nous étions en recherche de solution pour les sortir », continue le directeur commercial. Alors, comme alternative, Centrimex a utilisé les ports mauritaniens. Cependant, le passage de la frontière entre la Mauritanie et le Mali s’est avéré tout aussi compliqué. « Il a fallu que nous nous rendions sur place pour débloquer la situation », raconte Philippe Haddad.

Le corridor ferroviaire depuis Abidjan sous-dimensionné

Et cette situation au Mali tend à se décliner. Aujourd’hui c’est au Burkina Faso que la situation se complique. Centrimex a  dû revoir l’utilisation de la liaison ferroviaire depuis le port d’Abidjan pour se rendre dans le pays, le service étant sous-dimensionné. Dans ces conditions, les conteneurs sont acheminés par le Ghana. Malgré tout, des événements peuvent survenir et bloquer ce corridor. « Notre connaissance du continent nous permet d’anticiper en prévoyant des plans alternatifs. Cela nous a évité d’avoir des conteneurs bloqués pendant plusieurs semaines. » Ces retards dans les acheminements ont pour conséquence des retards de paiement. Alors, les transitaires qui travaillent en Afrique doivent avoir « les reins solides financièrement ». C’est pourquoi Centrimex voit la concurrence changer souvent. De nombreux opérateurs tentent de s’implanter. Des sociétés qui jettent parfois l’éponge au bout de deux ou trois ans face aux conditions de paiement et à la nature particulière du marché.

De la Côte d’Ivoire au Ghana

Dans ce contexte, l’opérateur ferroviaire entre Abidjan et Ouagadougou apparaît comme un exemple symptomatique. Sitarail est une société passée dans le giron du groupe MSC après le rachat de Bolloré. Elle assure des liaisons ferroviaires depuis Abidjan en Côté d’Ivoire vers  le Burkina Faso. Un service que Centrimex  a pour le moment délaissé au profit de solutions plus adaptées. Une situation qui incite à emprunter d’autres corridors. Ainsi, face à ces difficultés, Centrimex déplace sa logistique destinée  au Burkina Faso par le Ghana, et notamment le port de Tema. Deux raisons militent en faveur de ce choix. D’une part, le port de Tema dispose d’une desserte directe et plus importante depuis la Chine. Les importateurs locaux ont transféré leur sourcing dans l’Empire du milieu depuis de nombreuses années pour en faire son premier partenaire commercial. D’autre part, même si le Ghana est un pays anglophone, les procédures ne sont pas plus compliquées qu’avec les pays francophones. Alors, le choix du Ghana s’impose malgré des coûts plus élevés mais avec une fluidité et une fiabilité meilleure.

S’adapter au marché local

Dans ce chapitre des concurrents, le groupe Bolloré a longtemps occupé les premières places sur le continent africain. Depuis son rachat par Ceva,  Philippe Haddad reste dans l’attente de voir comment la nouvelle structure va évoluer. Même si Ceva conserve des cadres de Bolloré Logistics qui connaissent bien le continent,  il va lui falloir s’adapter au marché local. Philippe Haddad pense tout de même que Ceva restera numéro 1.

Rachat des ports de Bolloré par MSC: pas d’amélioration du service rendu

« Nous ne constatons pas d’amélioration dans le rendu de service », Éric Liautard, directeur commercial de Centrimex.

Par ailleurs, en Afrique, le système portuaire revêt une importance de premier plan. Il absorbe la majorité des flux. Le rachat des terminaux du groupe Bolloré par MSC a laissé imaginer de grands changements à venir. Pour Centrimex, la situation reste identique. Il est encore trop tôt pour voir les évolutions que ce changement va apporter. « Nous ne constatons pas d’amélioration dans le rendu de service », indique Éric Liautard. En effet, les ports africains subissent des problèmes d’infrastructure. « Il ne sert à rien d’avoir le terminal le plus moderne sans avoir des infrastructures pour stocker et évacuer les conteneurs », explique Philippe Haddad. Des investissements sont nécessaires mais, le marché africain doit composer avec les puissances politiques et  ethniques locales.

L’impact de la crise en mer Rouge

Les crises politiques en Afrique peuvent parfois compliquer le marché. Aujourd’hui les pays de la côte occidentale du continent subissent aussi les effets des événements en mer Rouge. Un impact qui se répercute sur les taux de fret. Après avoir enregistré une baisse en 2023, ces taux subissent des hausses. Et pourtant, les liaisons avec les pays du golfe de Guinée se réalisent sans emprunter le canal de Suez qu’elles soient originaires d’Europe ou d’Asie. Seuls les pays du nord de l’Afrique de l’Ouest, comme le Sénégal, la Gambie ou la Guinée Conakry sont desservis par des navires qui viennent de Méditerranée.

Un retournement de situation après le Nouvel an chinois

Dans ces conditions, les liaisons Europe-Afrique et Asie-Afrique ne devraient pas subir de hausses des taux de fret. Cependant, les armateurs ont décidé de faire une moyenne des coûts sur toutes les lignes. Une situation qui dure depuis un mois. Pour la direction de Centrimex, elle pourrait aller jusqu’au Nouvel an chinois prévu vers la mi-février. Ensuite, les prévisions économiques ne tablent pas sur une croissance des volumes en 2024. Alors, les relations entre l’offre et la demande seront en faveur des donneurs d’ordre. Et la direction de Centrimex table sur des taux de fret plus en adéquation avec le marché.

Digitalisation: peu d’écho auprès des clients

Autre sujet d’actualité en Afrique, la mise en place de processus de digitalisation et de numérisation des documents. Centrimex s’est impliqué dans ce sujet. La société a investi dans ce domaine. Elle a fait appel à des société extérieures pour créer des applications pour le suivi des marchandises notamment. Mais, cet engouement n’a pas eu d’écho auprès des clients de Centrimex qui n’ont que peu utilisé les outils. « En Afrique, le relationnel est important. Les clients n’ont pas encore le réflexe numérique. Ils préfèrent appeler l’agence plutôt que de consulter des outils numériques. » Les clients qui sont le plus connectés sont ceux qui travaillent sur le marché informel. Or, ces opérations échappent aux commissionnaires. Aujourd’hui, Centrimex développe et continue d’améliorer ces outils. « Nous travaillons à orienter et convaincre les clients. »

Offrir des prestations pour les exportateurs africains

A présent, Centrimex réfléchit à faire évoluer ses filiales locales. Jusqu’alors , les implantations africaines de Centrimex n’ont jamais réalisé d’opération de transit local. L’objectif est de transformer certaines filiales pour réaliser ce type d’opérations, « pour certains clients », précise Philippe Haddad. De plus, continue le  Président, il ne s’agit pas de faire de la douane. L’idée est d’offrir un service pour des clients exportateurs. Des changements qui concerneront les agences locales comme au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Cameroun.

Une implantation à Dubaï

Après avoir consolidé ses positions en Afrique de l’Ouest, Centrimex se développe avec une implantation à Dubaï. Le choix de cette implantation tient au sourcing des clients. De nombreux clients de Centrimex en Afrique font appel à des commanditaires basés dans l’Émirat arabe. De plus, de nombreux produits, ajoute la direction de Centrimex, se consolident à Dubaï pour être ensuite acheminés sur les pays d’Afrique de l’Ouest.

Un département pour les projets industriels

Autre diversification, Centrimex s’est implanté à La Réunion pour y faire de l’import. De plus, la société a ouvert, il y a quelques années, un département pour les projets industriels. Ce dernier  travaille notamment sur des projets dans la filière  des énergies et des industries lourdes. « Ce département œuvre principalement en Afrique mais ne s’y limite pas. Nous regardons également sur d’autres destinations dans le monde pour développer notre activité de projets industriels », confie Philippe Haddad.

Centrimex regarde vers la RDC

Si Centrimex travaille beaucoup sur l’Afrique, le groupe a développé au cours des années des volumes depuis l’Europe sur la Chine.  En effet, depuis plusieurs années, la société traite des trafics de bois, de lin et de commodités au départ de France,  vers la Chine, le Vietnam et l’Inde. Il s’agit en majorité de grumes et de bois sciés qui sont empotés en conteneurs. En Afrique, Centrimex regarde la situation en RDC. « Ce pays présente un potentiel intéressant à développer », confie Philippe Haddad. La population y est importante et les productions sont importantes. La concurrence y est plus diffuse. Les opportunités existent mais « c’est un pays complexe ». Une difficulté que la société de Vitrolles sait surmonter.

 


75 ans de relations avec l’Afrique

Centrimex s’impose comme un des principaux opérateurs de transport sur l’Afrique. La société apparaît en 1948. Elle est créée par Raymond Haddad, père de l’actuel président, Philippe Haddad. À l’origine, elle s’appelle Raymond Haddad et Compagnie. Elle est une société de trading entre la France et Dakar, située à Vitrolles, près de Marseille. Au cours des années 50, elle évolue vers la commission de transport. Aujourd’hui Centrimex est présente en France (Marseille, Paris Roissy, Le Havre et Rouen), à Anvers en Belgique et à Gênes en Italie. Elle dispose de nombreuses antennes en Afrique de l’Ouest : Côte d’Ivoire, Burkina-Faso, Congo, Sénégal, Cameroun, Mauritanie, Madagascar, Afrique du Sud, Gabon, Togo, Bénin, Ghana, Mali et La Réunion. Centrimex a développé son savoir-faire en Afrique. Cependant, le groupe réalise des opérations avec la Chine, tant au départ d’Europe, qu’à destination de l’Afrique. Alors, en 2006, Centrimex a décidé d’ouvrir des bureaux à Shanghai et Shenzhen. Et pour répondre à la demande de ses clients, la société de Vitrolles pose un pied au Moyen-Orient. Elle ouvre un bureau aux Émirats Arabes Unis, à Dubaï cette année.