Prospectives

Conteneurs : la bulle des taux de fret explosera, sans savoir quand

La hausse des taux de fret continue depuis le mois de mai. Cette « bulle » doit exploser selon certains quand d’autres prédisent le retour à des niveaux équivalents à celui de la période post-Covid.

Les taux de fret dans la conteneurisation grimpent depuis le début de l’année. Pour Jérôme de Ricqlès, expert maritime chez Upply, « Les taux de fret maritime ont encore grimpé au mois de mai, davantage en raison du contexte géopolitique que d’une surchauffe de la demande. » Et, cette hausse des prix s’accompagne d’une « difficulté d’accès aux capacités sur certaines routes, comme entre l’Asie et l’Europe ».

Une capacité moins productive

Une analyse que le consultant britannique Drewry ne suit pas dans son entièrement. Les armateurs ont ajouté des navires sur les routes est-ouest pour compenser le déroutement des navires par le cap de Bonne-Espérance. Selon les dernières estimations du consultant, la hausse du nombre de navires atteint 24%. Une augmentation de la flotte qui se traduit par une progression de la capacité de 17%. Cependant, du point de vue opérationnel, ces ajouts se traduisent par une hausse de 2% de la capacité mensuelle à 1,1 MEVP. La raison est simple : ces navires doivent emprunter la même route et sont donc « moins productifs » qu’avant la crise du détroit de Bab el Mandeb. Sur le transpacifique, les armements ont ajouté 9% de navires en plus mais « avec une capacité mensuelle qui a augmenté de 0% », continue Drewry.

La surcapacité éclatera

De plus, au cours du premier quadrimestre de 2024, l’entrée de nouveaux navires a généré environ 1 MEVP de capacité supplémentaire, sans que cela n’est un effet immédiat. La situation est plus préoccupante sur la fin de l’année. Les prochaines livraisons prévues pour 2024 pourraient jouer un effet de levier plus important. Pour l’expert maritime d’Upply, « la résurgence du phénomène de surcapacité semble inéluctable. Il est encore trop tôt pour en tirer des conclusions budgétaires, mais le climat et la conjoncture annoncent des changements à plus ou moins brève échéance. La surcapacité éclatera, avec des effets probablement dévastateurs. »

Le retournement probable du marché en fin d’année

L’impact de ces conditions sur les taux de fret sont indéniables. Plusieurs points de vue s’opposent. Du côté d’Upply, « le scénario de la période Covid et des taux de fret à 5 chiffres ne devrait pas se répéter. » Il estime que la nécessité de reconstituer les stocks ne se fera pas à tous les prix. Les chargeurs activeront d’autres leviers, comme le report de commandes ou l’approvisionnement dans des marchés plus proches. Pour Drewry, la haute saison, qui a démarré, annonce les prémices d’un retournement de marché en fin d’année. D’ailleurs, cette saison n’a rien de comparable avec la situation de 2022. En effet, selon les chiffres de la NRF (National Retail Federation), les volumes importés aux États-Unis sont inférieurs de 12% à ceux de 2022.

Passer la barre des 10 000 $/FEU

De son côté, Ovrsea, constate « l’emballement du marché ». Il cite Sea Intelligence qui estime une hausse des taux de fret à 19 000 $/FEU (équivalent 40’) entre l’Asie et l’Europe. Un chiffre qui pourrait atteindre 21 000 $/FEU pour les liaisons Asie-Méditerranée orientale. Une situation qui dépasserait celle de 2022 quand les taux ont atteint 14 000 $/FEU. Dans un premier temps, la barre des 10 000 $/FEU pourrait être dépassée dès le début du mois de juillet. De son côté, Drewry rappelle l’évolution du World Container Index. Il a perdu 31,7% entre janvier et avril à 2705$/FEU. En mai, cet index a gagné 74% pour atteindre la barre de 4700$/FEU.

La congestion portuaire en Asie revient

Un autre phénomène accompagne cette hausse des taux de fret : la congestion dans certains hubs d’Asie. Le délai de mise à quai dans certains ports a augmenté de 43% entre le troisième trimestre 2023 et le deuxième trimestre 2024. Et pour confirmer la situation, Drewry confie que la congestion des ports en Asie est la même que pendant la pandémie. Alors, les mouvements sociaux dans les ports de la côte Est des États-Unis inquiète.

Une situation qui s’étendra au moins jusqu’à l’automne

Face à cette accumulation de phénomène, une lueur apparaît avec la décision du canal de Panama d’autoriser le passage de 34 navires par jour. Quant à savoir quand les attaques des Houthis contre les navires cesseront, la réponse reste difficile à apporter. Un sondage réalisé par Drewry auprès de 90 chargeurs et commissionnaires, indique la fin des déroutements des navires de la mer Rouge au cours du premier semestre 2025. Avant même la fin des hostilités dans le détroit de Bab el Mandeb, il est certain, pour Ovrsea, que la situation va rester sous tension tout l’été, voire jusqu’à la Golden Week de début octobre en Chine. D’autres pensent que cette situation pourrait s’étaler jusqu’au Nouvel an chinois de 2025.

 

Ainsi, la bulle de la conteneurisation va exploser. Cependant, les analystes ne se départagent pas pour estimer la grosseur de la bulle, ni sur la fin de cette bulle. Dans son analyse, Jérôme de Ricqlès place l’éclatement de la bulle à plus brève échéance. « La surcapacité éclatera, avec des effets probablement dévastateurs. » Une position que ne partage pas Ovrsea. Il prodigue un conseil aux chargeurs : « réservez dès que possible, n’espérez pas de baisse de taux de fret. Opter pour les tarifs les plus élevés peut même vous assurer, malheureusement, de trouver de l’espace à bord. » Une position naturelle pour un commissionnaire qui, après avoir été entre les mains de Bolloré Logistics, fait désormais partie du groupe CMA CGM.