Lignes régulières conteneurisées : la fiabilité entre dans la nouvelle normalité
Le taux de fiabilité des lignes régulières conteneurisées ne dépasse pas les 50% cette année. Une situation qui dure depuis plusieurs mois. Pour les opérateurs, il faut faire avec cette nouvelle normalité.
Le propre d’une ligne régulière est de partir et d’arriver aux horaires prévus. Or, aujourd’hui le constat est alarmant. Selon les analyses menées par Sea Intelligence, le taux de fiabilité des lignes assurant des liaisons est-ouest atteint 55,8% en mai. Une moyenne calculée sur 34 lignes maritimes assurées par plus de 60 armateurs.
Jusqu’à 10 jours de retard
Dans son communiqué, Sea Intelligence souligne que ce taux demeure le meilleur de l’année. Il progresse de 3,8% comparativement à celui d’avril. Une bonne nouvelle qui doit être relativisée. En effet, en comparant ce taux à celui de 2023, il enregistre une baisse de 11%. De plus, le nombre moyen de jours de retards s’élève, en mai, à 5,1 jours. Ainsi, un navire attendu pour le lundi arrive, en moyenne, le vendredi. Cela signifie que certains arrivent en temps et en heure quand d’autres peuvent accuser jusqu’à 10 jours de retard.
La nouvelle normalité du maritime
Pour les observateurs du marché maritime, les attaques des Houthis contre les navires et le déroutement des navires par le sud de l’Afrique entraînent « une nouvelle normalité du transport maritime ». Dans ces conditions, les chargeurs doivent composer avec cette fiabilité à périmètre variable. En effet, selon les analyses de Sea Intelligence, les compagnies maritimes ne sont pas à ranger dans la même catégorie. Ainsi, pour revenir aux analyses de mai, le groupe CMA CGM demeure l’armement le plus fiable avec 57% de navires respectant les horaires. En mai 2023, l’armement marseillais affiche un taux de fiabilité de 68%.
Une fiabilité à 40% pour certains
Au total, ce sont sept armateurs qui passent la barre des 50% de fiabilité. Outre le groupe CMA CGM, cette catégorie comprend Evergreen, Mærsk, Wan Hai, Hapag Lloyd, OOCL et Cosco. Dans le bas du tableau se retrouve PIL, Yang Ming et HMM avec à peine plus de 40% de taux de fiabilité. Avant la pandémie, les armements se targuaient d’un taux de fiabilité avoisinant les 85%. Pour les armements, les perturbations sur les routes maritimes et la congestion portuaire expliquent cette situation. Une réponse faite globalement. Interrogées, les compagnies maritimes ne souhaitent pas s’exprimer sur ce sujet.
Ignorer la dé métronomisation
Jérôme de Ricqlès, expert maritime chez Upply, nous a confié son sentiment sur ce sujet. « Sommes-nous sincères lorsque nous abordons la notion de fiabilité des services? Cette interrogation demeure légitime pour évaluer les services de lignes maritimes conteneurisées « dites » régulières ? Permettez-moi d’en douter car cela revient à ignorer volontairement la dé métronomisation volontaire des services telles que nous pouvons la vivre depuis la fin des années 2010. » Il rappelle les facteurs qui ont amenés les compagnies maritimes à sacrifier la régularité. En premier lieu, il cite la surcapacité chronique et endémique du secteur. Ensuite, la régularité entraîne une hausse de l’offre et donc une baisse des taux de fret. Encore, les chargeurs ont pris comme un dû ce cadencement sans être prêts à payer pour.
La stratégie des blanks sailings
Face à la situation, les compagnies maritimes ont commencé, en 2019, à pratiquer des stratégies de blanks sailings. Et Jérôme de Ricqlès de préciser : « Un blank sailing défensif, c’est prendre la décision de ne pas respecter un cadencement régulier hebdomadaire par port quoi qu’il en coûte, afin de disposer d’un délai supplémentaire pour mieux remplir son navire. La compagnie peut ainsi faire partir son navire pour son voyage océanique, certes en retard, mais si possible au break even en contrepartie de la non-qualité. C’est alors qu’intervient la notion de yield management, qui consiste à optimiser en continu la recette par espace sur un navire. » La pandémie et les confinements en Chine ont démontré la capacité du secteur à aller encore plus loin en adoptant une stratégie de blank sailings offensifs, qui consiste non plus à annuler des escales pour limiter la casse dans un marché baissier mais au contraire à maîtriser les capacités sur un marché en hausse. »
L’industrie néglige les services
Cette analyse de la situation doit aussi se faire en regard des taux de fret. Pour Paul Filleau, EMEA Tender Manager chez DP World, que l’augmentation des taux ne va pas de paire avec la qualité des services. « Cette situation est en partie due à des événements survenus en Mer Rouge, mais ce n’est pas la seule explication. » Et, il constate que « notre industrie semble se concentrer presque exclusivement sur les taux, en négligeant les services qui devraient y être associés. »
Les armateurs n’ajustent pas leurs services
Cette situation ne semble pas alarmer les armateurs. « Pendant ce temps, les transporteurs n’ont pas ajusté leur niveau de service pour répondre à ces nouveaux défis. Au contraire, il semble que l’absence de réactions visibles les ait confortés dans l’idée que ces problèmes passeraient inaperçus. » Quant aux commissionnaires en transport, ils semblent absents du débat, note Paul Filleau. Pour appuyer cette affirmation, il rappelle que « ces derniers mois, nous (transitaires) passions des bookings sans connaitre les taux / services. Il est donc naturel que cela ait conforté les transporteurs. »
La congestion portuaire fait partie des défis actuels
Du côté des transitaires, la réponse à ce manque de fiabilité est plus nuancée. « La gestion des fluctuations et imprévus liés aux retards, aux annulations de voyages, et à la congestion portuaire fait partie intégrante des défis actuels auxquels nous devons faire face », nous a confié un responsable de Centrimex. Il s’adapte en s’engageant dans une démarche de communication constante avec ses clients « en leur expliquant les raisons des retards et des perturbations, et en proposant des solutions proactives pour minimiser les frais additionnels induits ».
Une déclinaison sur les routes nord/sud
Présent sur les lignes est-ouest mais aussi sur des services vers l’Afrique, Centrimex souligne que les retards observés par Sea Intelligence se décline aussi sur les routes nord/sud. « Les compagnies maritimes vont souvent privilégier les routes les plus rémunératrices, ce qui peut affecter la qualité de service sur d’autres flux considérés comme secondaires, y compris certaines liaisons Europe-Afrique. » Ces perturbations dans la fiabilité des services entraînent des saturations d’espaces, des annulations de réservations, des surcharges appliquées sans préavis. Pour le commissionnaire, « nous faisons notre possible pour négocier des rabais en cas de retards, il est rare que les compagnies maritimes acceptent de telles compensations, invoquant souvent des clauses contractuelles qui les protègent ».
Le désengagement des commissionnaires d’une obligation de résultat
Cette explication opérationnelle amène Jérôme de Ricqlès à constater un désengagement des commissionnaires de transport de leur traditionnelle obligation de résultat en matière de délais en faveur de « clause dites « d’équilibre économique » entre les parties ». Une notion qui signifie que le commissionnaire ne peut plus s’engager sur un délai de mer « car les compagnies maritimes, qui sont leurs sous-traitants, ne les respectent plus, de façon normalisée et maintenant sans complexes. »
Les armateurs oublient qu’ils sont des fournisseurs
Quant aux chargeurs, ils restent peu diserts sur le sujet. Ils semblent se satisfaire de cette situation, s’accordent les différents observateurs interrogés sur le sujet. Entre l’orthodoxie nord européenne et la souplesse méditerranéenne, la seconde stratégie semble gagner. Pour l’AUTF, le constat est clair : « les armateurs revoient leur plan de navigation comme ils l’entendent. » Cependant, « ils ont oublié qu’ils sont des clients des chargeurs », rappelle Jean-Michel Garcia, délégué aux transports internationaux de l’AUTF.
Des sanctions difficiles à mettre en œuvre en pratique
Quant à mettre en place des sanctions, le sujet est simple en théorie mais s’applique plus difficilement dans la pratique. Un retard de trois jours sur une liaison d’un mois représente à peine 10% du temps de transport. « Toute la question demeure de savoir si ce délai de 10% est acceptable. » Parce que, les retards et autres perturbations dans les services de lignes régulières ont des implications financières pour les industriels. « Le maritime est une industrie de service. Il est nécessaire de leur rappeler. »